Souffles…
Réveiller Abou Nouas (762-813) de son long sommeil, en ce temps arabe morose et chaotique, c’est remémorer des moments d’un temps musulman qui jadis fut ouvert, libre et agréable. Le premier temps des premiers musulmans où jadis le poète était capable de provoquer l’insomnie chez le calife. Dérangeur ! Remueur et éclaireur de la société. Réveiller Abou Nouas de cet oubli sourd qui l’enveloppe, c’est méditer sur le courage intellectuel d’hier. Ce qui reste de courage ! C’est, aussi, regarder en face et tester la peur et la lâcheté intellectuelle d’aujourd’hui. Les eunuques, les gardiens du lit. De temps à autre, on a besoin, quand le pessimisme historique ou subjectif nous attrape, de faire appel à des symboles littéraires pour nous faire sortir de notre ghetto intellectuel. Les poètes, à l’image d’Abou Nouas, font peur aux ennemis de la liberté de l’imaginaire. À douze siècles d’intervalle Abou Nouas sème, encore, le trouble dans cet ordre établi. Sème le désordre fécond. Abou Nouas n’est pas le nom d’une bière locale. Une marque non déposée d’une bière commercialisée sans certificat iso 9001! Il est l’apôtre de la liberté d’expression. Havre de la modernité de la poésie. Malgré les douze siècles d’espacement, c’est beaucoup n’est-ce pas, Abou Nouas continue de déranger les conservateurs. Assis sur leurs trônes depuis cinquante ans ou sur un tapis volant d’un rêve islamico-américain. Même avec douze siècles qui nous séparent le poète Abou Nouas bouscule le faux calme. Intervertit. Imaginez, au vingtième siècle, Abou Nouas est interdit. Cela n’est pas de l’ordre de l’imagination ni du délire. En effet, en 2001 le ministère de la Culture égyptien a ordonné l’incinération, selon l’écrivain Djamel Al Ghitany, des tomes 2 et 3 de l’œuvre complète d’Abou Nouas. L’inquisition contemporaine. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, l’œuvre complète du poète demeure incomplète, mutilée. Un député du parti des Frères musulmans, en pleine séance parlementaire, cela s’est passé avant même que ce parti prenne officiellement le pouvoir en Égypte, a tracé un guide moral pour les romanciers : “Au moment de la création, je demande aux créateurs de mettre le Coran devant eux. Moi je ne suis pas contre le fait que la littérature pose la problématique du sexe, je peux permettre deux lignes ou trois sur le sujet mais pas deux ou trois pages” !! Les lignes rouges ! Ainsi ce courant islamiste arabe et maghrébin qui, de plus en plus, occupe une grande place dans la légalité politique, avec la bénédiction d’un Occident fatigué par ses crises financières et ses guerres, cherchant à mettre une main de fer sur les institutions culturelles, artistiques. Museler. Vis-à-vis de la culture et l’art, ce courant est doublement dangereux. D’un côté il interdit les livres contemporains (le roman du syrien Haydar Haydar), les films (ce qui s’est passé dernièrement en Tunisie), le théâtre (la condamnation d’Adel Imam en Égypte). De l’autre côté, il censure le patrimoine qui représente l’époque de la lumière à l’image de Les Mille et Une Nuits) et le diwan d’Abou Nouas et d’autres. Nous constatons que, de plus en plus, l’État religieux contemporain s’installe dans le champ politico-culturel, faisant son capital de haine, en attaquant d’un côté la liberté de la femme et d’un autre la liberté de la culture, et la liberté dans le culturel. L’État religieux viole l’imaginaire de la création.
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
23 février 2012
Chroniques