Existe-t-il un discours religieux national algérien capable de tenir tête aux discours intégristes importés ? Non. Les Algériens restent perméables, dramatiquement, aux cheikhs talk-show qui inondent les TV et les satellites. Les cheikhs genre Wajdi Ghenim, qui est venu agiter la Tunisie, sont dans nos foyers, dans les cerveaux, à l’oreille des femmes algériennes mères de famille, au cou des enfants et des adolescences. Rien ne leur fait barrage et encore moins la sous-culture des imams algériens, appelés à haranguer les électeurs récitants. Ni les islamistes en perte de légitimité «religieuse»
pour leurs compromis politiques, ni le ministère des Affaires religieuses, appendice de l’idéologie du régime. Dans la palette de la télécommande du monde arabe, on a le choix entre une chaîne de «gauche» pas encore lancée, l’ENTV et ses drones et clones, les chaînes arabes de loisirs et l’empire fantastique des chaînes religieuses. Depuis dix ans, ces chaînes transforment la société algérienne, les habits, les convictions, les rites et les traditions et même les calendriers des fêtes. Les conversations de base, celles des cafés et des rencontres de familles, sont inondées par ces fatwas «prêt à penser» et cela se sent dans la vie, la famille, l’avis de chacun. Il en naîtra, entre projet de une mosquée par mètre carré, les islamistes en puissance, la victoire des idées du FIS comme désigné par un collègue et la peur de l’autre et le conservatisme dont le régime se fait avocat, une génération prochaine talibanisée. La main étrangère ? Elle est déjà là, farfouillant le cerveau, détruisant les cultures et les héritages de nos ancêtres. Wajdi Ghenim, ce prédicateur égyptien venu en Tunisie prôner la chariaa, l’excision des femmes et le djihad, n’est pas seulement une affaire tunisienne. Nous y sommes tous face à ces prophètes sinistres qui tombent du ciel et qui ont attendu que d’autres meurent et fassent la révolution pour venir proposer leurs névroses en guise d’avenir pour tous.
Wajdi Ghenim est déjà en Algérie, dans chaque ville, dans chaque maison presque, au milieu du salon et dans la chambre à coucher. Il dit ce qu’il veut alors que nous on ne peut pas le faire. Il est à la télé alors que nous ne sommes pas à l’ENTV. Il n’a pas besoin d’agrément alors que nous si. Il n’attend pas l’avis de Ould Kablia pour parler alors que nous oui. Il peut prôner l’excision et nous nous ne pouvons pas prôner la démocratie. Il est des milliers et nous sommes seuls. Il a déjà des enfants ici alors que nous, on nous prive de nos ancêtres. La Tunisie ? Oui, mais là-bas, il y a des gens qui se sont élevés contre cet homme, ses idées, qui ont déposé plainte, qui font des marches. C’est chez nous que les Wajdi Ghenim se promènent en toute liberté et n’ont même pas besoin d’y poser les pieds. Sauf sur nos têtes et les têtes des générations à venir.
19 février 2012
Chroniques