Culture
Dimanche, 19 Février 2012 10:00
Croyez-vous aux fantômes ? Moi j’y crois depuis toujours. Je crois d’ailleurs à tout : aux vampires, aux zombies, aux sorciers et même à la baguette verte que cherchait Tolstoï jeune, cette baguette verte dont la découverte devrait transformer notre monde en îlot de paix d’amour et de bonté. Oui, je gobe tout y compris les couleuvres les plus grosses. Affaire de tempérament ? Non. De choix de vie. Mieux vaut être ouvert à tout quitte à se tromper que fermé à tout quitte à le regretter par la suite. Ne nous éloignons pas du sujet. Revenons aux fantômes. Parfois ils sont plus réconfortants que les vivants. Ainsi, il y a quelques mois, j’étais chez un bouquiniste- citons-le pour lui faire un peu de promotion méritée : la grande surface rue Victor-Hugo- où l’on trouve, souvent, les pépites les plus rares quand je vois au loin Hamid Skif. Bloqué par une vieille connaissance aussi enthousiaste que prolixe, le temps d’aller le saluer il était déjà parti. Disparu, je dirai même évanoui. N’empêche, j’étais réjoui de le voir de si bonne mine et si élégant. M’avait-il vu ? Comment le savoir avec ce regard oblique – dû à un astigmatisme – qui le caractérisait ? Allons, me suis-je dit, l’exil n’est pas trop dur pour lui. Le lendemain j’apprenais qu’il venait de décéder en Allemagne. Quoi, au moment où j’avais cru le voir il était déjà mort ? Illusion ? Vision ? Apparition ? Ou plus prosaïquement un sosie ? Je n’ai pas la réponse. Mais j’aime croire que juste avant de quitter cette terre, les humains et à plus forte raison les poètes qui sont des extralucides, font un dernier adieu à ceux qu’ils ont aimés. J’ai eu alors une pensée ému pour l’homme que j’ai connu dans les années quatre-vingt à Tipasa même où j’étais parti en reportage. Je ne le connaissais pas encore pas même de réputation. C’est lui qui vint vers moi, la main tendue et le visage rieur. Lui savait qui j’étais. Et moi j’ignorais que j’avais affaire à un poète de premier ordre qui a fait partie en 1971 d’une anthologie de jeunes poètes réunis par Jean Senac. Je ne savais pas, non plus, que cet homme chaleureux avait été arrêté dès 1973 – il avait alors 22 ans – pour un reportage jugé peu conventionnel par le régime. On parla alors de quoi ? De Tipasa et de ses charmes et bien évidemment d’Albert Camus dont Hamid aimait la prose stimulante, notamment celle du petit chef-d’œuvre qu’est Noces. Ce qui se dégageait de son caractère, me semble-t-il à l’époque, c’était une grande sérénité. En le lisant par la suite, je découvrirai sa grande colère contre toutes les injustices. Cet homme était un écorché vif qui n’envahissait pas son interlocuteur sous une tonne de jérémiades et d’imprécations, maudissant les uns et promettant l’enfer aux autres. La psychanalyse le dit très bien : on parle pour conjurer l’action. Lui parlait de poésie, de beauté et d’amour. Pour fustiger, il prenait sa plume et va alors pour les phrases assassines d’autant plus terribles qu’elles étaient ciselées. On s’étonnait alors de voir sortir de cet homme si paisible, de ce doux rêveur agréable et sympathique, des phrases aussi indignées et aussi émouvantes. Il n’avait pas besoin de rouler des mécaniques pour qu’on le prenne pour un fort en thème. La force ? Il s’en balançait. Il préférait être la vache que le boucher. Le poète errant que le beggar en 4×4. En 1997, il s’exilera à Hambourg. Le 18 mars 2011 à trois jours de son soixantième anniversaire, Hamid Skif partira rejoindre Jean Senac et Djamel Amrani, ces potes-poètes, ces indignés qui ont aimé l’Algérie à en mourir. Aimer l’Algérie à en mourir, quel plus beau sacrifice à une patrie dont les affairistes essayent de gangrener les entrailles ? Alors, alors pour être dignes de ces poètes, il nous reste à être fidèle à cette pensée qui soutient : Sustine et abstine…
H. G.
hagrine@gmail.com
19 février 2012
Chroniques