Disparate, hétéroclite ou cafouilleuse, Oran est d’abord et avant tout une ville, un pied ancré dans la vase médiévale et un autre sur le béton de la modernité. Et du reste, elle n’arrive à se départir ni de l’un, ni de l’autre, ni même à sauter pieds joints sur le socle franc de ce troisième millénaire. Coincée.
À l’évidence, Oran donne l’impression, en fin de parcours, d’éviter le présent, tiraillée qu’elle est entre un passé dont elle détourne pudiquement la tête et un avenir qui la fait courir comme un forcené, dans tous les sens, sans appui, sans repère. Un front de mer huppé qui est sa marque de fabrique et son image d’Epinal, des bretelles bitumées qui s’enchevêtrent jusqu’à donner le tournis, des immeubles de souveraineté qui en jettent plein la vue avec leurs baies vitrées et leurs ossatures en acier, un hyper hôtel étoilé de la dernière génération des Sheraton, un aéroport de classe internationale, une corniche aux relents de Provence, une forêt de maquis et de garrigues, une montagne à la toison verte piquée d’un fort et d’une basilique qu’illuminent des phares, tout cela énivre le voyageur et attire les touristes comme la lumière attire les moustiques les soirs d’été. Mais sait-on ce qui se passe dans l’arrière-cour une fois franchies les portes du jardin ? La ville manifestement cache mal ses pustules, ses verrues, ses lésions, ses blessures, ses entailles, ses lézardes. Bref, ses cours de miracles, où il ne fait pas bon circuler après 18 heures en hiver et 19 heures en été. La place Valéro est devenue un coupe-gorge, Sidi El Houari ne fait pas mieux. Ras El Aïn et, plus haut, les Planteurs, étalent sur les pentes escarpées du Murdjadjo leur laideur, leurs baraques, leur gangrène. M’dina D’jdida, avec ses ruelles byzantines, ses impasses tordues, ses marchés à la sauvette, à la tire, ses pickpockets, ses retraités, ses maraudeurs et ses marchands de tout et de rien reste un grand souk populaire où l’informatique la plus pointue se mêle au musc et au benjoin, la zlabia fourrée au miel aux essences de Paco Rabanne. Tout cela dans une débauche de couleurs, d’arômes, de senteurs de crasse et de poussière pas possibles. Enfin, Petit lac, autre quartier “maudit”, symbolise le mémorial d’un grand gâchis de tourbe et de stuc pareil à une crêpe d’où s’évacuent toutes les rancœurs de la sebkha et toutes les frustrations d’un exode si mal réussi.
MUSTAPHA MOHAMMEDI
Oran qui rit, Oran qui pleure MUSTAPHA MOHAMMEDI
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17 février 2012
Mohamed Benelhadj