Comment peuton arriver à tolérer ce genre de propos que recadrent, stupidement arguments à l’appui, des analystes zélateurs. Ces derniers avancent à chaque sortie médiatique imprégnée de xénophobie de ce ministre, la même parade ; celle qui fait partie d’un exercice de récupération politicienne dans le jeu électoral des présidentielles françaises. Une posture qui ne devrait pas justifier l’injustifiable, celui du rejet avéré d’une communauté et de sa religion. Car lorsque on stigmatise une religion en faisant semblant d’exonérer ses pratiquants. Ce n’est nullement une représentation lancée impulsivement dans le mouvement de l’ambiance.
Que Guéant ait pu commettre une maladresse aussi flagrante comme le soulignent certains médias, cela relève de l’incongru. Car comment expliquer cet acharnement que représente l’Autre, le musulman à travers les différentes campagnes orchestrées par Guéant tels que la pratique du culte sur la voie publique, les enfants d’immigrés responsables de l’échec scolaire, la fameuse circulaire sur les étudiants étrangers et bien d’autres. Aucune frange d’étranger n’est épargnée. On y travaille sûrement bien en amont avec des graphiques et des analyses sous le nez. Claude Guéant, et les autres ministres qui forment le cercle rapproché de Sarkozy sont philosophiquement d’extrême droite, c’est un truisme qui ne devrait plus étonner personne. En somme le triple A de la xénophobie
Quand le ministre de l’Intérieur tente de s’expliquer sur sa petite phrase sur la «civilisation», il s’enfonce en précisant qu’il ne visait pas la «civilisation musulmane» mais … «la religion musulmane». Que faut-il comprendre de cet enlisement dans des paradoxes aussi délirants et discriminatoires. On ne peut se ranger sur les valeurs d’une civilisation lorsqu’on se prête à un comparatisme entre les civilisations et surtout sur l’hégémonisme de la sienne par rapport aux autres. Deux préjugés racialistes et racistes qui ont fait tant de dégâts tout au long de l’Histoire de l’Humanité. Et quand on fait l’apologie des valeurs de sa civilisation en faisant fi de celle qui a tissé les liens de rapprochement entre les peuples et qui fait le berceau de l’universalité c’est-à-dire la tolérance envers l’Autre, c’est que quelque part on a défiguré à coups de scalpel son appartenance et son identité. S’abreuver d’un ethnocentrisme aveugle qui a généré tant de génocides et de malheurs pour évaluer sa civilisation, relève d’une dangereuse vision biaisée et distordue. La tolérance est la forme la plus avancée de coexistence, la renier c’est se placer inévitablement dans le champ de l’amalgame discriminatoire et meurtrier du religieux et de l’identitaire.
Le ministre en charge des Cultes et de l’Immigration continue de nourrir une vision singulière de l’Histoire, celle qui rappelle ces gens qui se hâtaient pour voir «des sauvages» mis en scène, venus de contrées lointaines lors des Expositions coloniales qui fleurissaient dans toutes les métropoles occidentales. Parallèlement, la littérature enfantine transmettait pendant des générations une image dévalorisante du colonisé qui illustrait les bandes dessinées à l’exemple de Babar, Tintin, mais aussi dans l’œuvre de Jules Verne. Le cinéma représentait et représente en grandes pompes cette campagne d’idéalisation de l’œuvre coloniale civilisatrice face à des peuples ignorants. Les massacres des amérindiens, l’holocauste, les crimes de l’esclavage et de la colonisation, les horreurs du nazisme et du communisme sont les conséquences qui dérivent de cette vision assassine qui place une civilisation au dessus de l’autre.
Ce fantasme islamophobe complaisamment entretenu et ces logiques d’infériorisation de l’Autre entraînent inexorablement l’intolérance et la peur au lieu de la connaissance et de la coexistence. De ce point de vue, la phrase de K.Marx, «ils ne peuvent se représenter eux-mêmes ; ils doivent être représentés», est toujours et plus que jamais d’actualité. Appréhender l’Autre devient alors un enjeu de civilisation et c’est ce qu’entreprend Guéant à chacune de ses sorties islamophobes. Serait ce un traumatisme durable où: «Les cultures les plus avancées ont rarement proposé à l’individu autre chose que l’impérialisme, le racisme et l’ethnocentrisme pour ses rapports avec des cultures autres.» [2]
Se complaire dans des discours d’apocalypse en galvaudant «ses valeurs» est une posture qui prône un retour illusoire aux comportements d’autrefois dont le bilan n’est nullement exemplaire car, entaché de tragiques égarements et de crimes contre la dignité humaine.
* Universitaire
Note :
[1] Edward W. Saïd, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 1997.
[2] Edward W. Saïd a décortiqué ces mécanismes dans «Culture et impérialisme», Fayard/Le Monde diplomatique, 2000.
16 février 2012
Contributions