le 14.02.12 | 01h00
Avec la disparition du général Mohamed Lamari, c’est une page à la fois sombre et riche en rebondissements de l’histoire récente de l’Algérie qui est tournée. Dans sa gestion opérationnelle de la lutte antiterroriste durant la décennie noire, sous différentes casquettes militaires, Mohamed Lamari avait surtout brillé par ses coups de sang et ses déclarations décapantes contre la conduite politique de la lutte.
Et, dans ce champ de bataille, le général avait pour cible privilégiée : Abdelaziz Bouteflika. Les deux hommes ne s’appréciaient pas, et c’est un euphémisme. Mohamed Lamari a accepté à contrecœur que l’armée adoube, en 1999, Abdelaziz Bouteflika en tant que «candidat du consensus» comme ce dernier le désirait. Les deux hommes avaient des conceptions diamétralement opposées de la situation. Si Bouteflika était et est encore convaincu qu’il fallait faire le dos rond aux islamistes, Lamari, lui, était partisan d’une ligne dure qui ne transigeait pas avec le cadre républicain de l’Etat.
Cette guerre sourde entre le chef d’état-major de l’armée et son ministre de la Défense et néanmoins président de la République allait pourtant se déclarer sur la place publique. Les bureaux des Tagarins ne suffisaient plus à cet homme à l’allure martiale et au regard révolver pour dire ses vérités. Fraîchement élu, Abdelaziz Bouteflika lance un premier coup de sommation : «L’arrêt du processus électoral était une première violence !», à contre-courant de ce que pensent ceux-là mêmes qui l’ont intronisé. Puis il enchaîne plus tard par un cinglant : «Je ne veux pas être un trois-quart de Président !», à l’attention des décideurs militaires, à leur tête le général Lamari. Lors d’un crochet au port d’Alger, Bouteflika pousse également un coup de sang contre ces «14 généraux qui contrôlent l’import-import».
Allure martiale, regard revolver
La visite dure cinq minutes, mais la balle n’a pas raté sa cible. Le général Lamari, jusque-là soldat discipliné et droit dans ses bottes, n’en peut plus d’essuyer tant de critiques publiques de la part du chef de l’Etat qu’il a aidé, malgré lui, à prendre les clés du palais d’El Mouradia.
Juillet 2002. Le général entame sa riposte via une conférence de presse qu’il convoque dans l’enceinte de l’Académie militaire interarmes de Cherchell (Amia).
Une première pour un haut gradé de l’armée, qui fait ainsi irruption dans le débat politique. «Le mal que notre pays a rencontré, c’est l’ANP. Même la catastrophe de Bab El Oued (novembre 2001, ndlr), c’est l’ANP. Si ces accusations viennent de l’étranger, de milieux hostiles, qu’elles soient les bienvenues. Mais cela vient des Algériens eux-mêmes qui, par méconnaissance, par intérêt ou par calcul politicien, mettent tout sur le dos de l’armée. Pour être connu, il faut insulter les généraux et l’armée. Nous avons été traités de voleurs, de tueurs et il ne manquait plus qu’à dire que l’ANP a été importée.» Le général Lamari en avait visiblement gros sur le cœur de subir tant d’attaques frontales.
Les relations très tendues entre les deux hommes vont se compliquer encore à partir de 2003. Image saisissante : lors de la cérémonie marquant la commémoration du 41e anniversaire de l’indépendance au MDN, on aperçoit le général de corps d’armée bavardant avec les journalistes pendant que le Président décorait les officiers. Malgré le discours plutôt rassurant de Bouteflika qui promettait de protéger l’armée, Lamari a préféré garder ses distances, à une année de la présidentielle. Pour lui, la messe est dite ; il ne cautionnera jamais un deuxième mandat pour Bouteflika. Mais avant cette cérémonie, le général s’était longuement expliqué, le 18 juin 2003, dans les colonnes du journal égyptien Al Ahram.
Solde de tout compte
Cet entretien est en quelque sorte le solde de tout compte d’un soldat qui veut mourir les armes à la main. Tout au long de ses réponses, Lamari décline un contre-projet à celui de Bouteflika et met en relief le «sacrifice» de ses troupes. Sur l’arrêt du processus électoral, le général Lamari parle de «la fin d’un processus suicidaire» quand Bouteflika le qualifiait de «mère de toutes les violences». «L’interruption du processus électoral de 1991 n’est pas une violence contre la démocratie, comme l’avait affirmé M. Bouteflika, mais une sauvegarde des institutions républicaines au moment où l’islamisme était dangereux. Et nous l’avons fait», tranche Lamari.
Ultime bataille perdue
Et de jeter la pierre dans le jardin du Président, l’accusant de saper politiquement la lutte antiterroriste : «La lutte antiterroriste ne se limite pas aux efforts de l’armée et des autres services de sécurité, mais doit être soutenue par un discours politique et une mobilisation populaire. Si c’est le cas, on réussira. Autrement, on vivra dans la souffrance.»
Une attaque en règle qui sonne le branle-bas de combat du général contre le deuxième mandat de Bouteflika. Interrogé sur la présidentielle d’avril 2004, Lamari tranche dans le vif : «Cette fois, l’armée est prête à accepter un président islamiste, même si c’est
Djaballah, à condition qu’il respecte la Constitution et les lois de la République !» Le message est limpide dans la bouche du général : il n’est pas question de reproduire «l’erreur» de Bouteflika en 2004.
C’est ainsi qu’il lance dans l’arène Ali Benflis, le chef de gouvernement de Bouteflika, pour un duel fratricide inédit dans les annales politiques algériennes. Mais le général, qui pensait bien maîtriser ses troupes, s’est rendu compte qu’il n’était pas dans la confidence. Lamari a fini par comprendre que la victoire de Bouteflika était un «tir ami». En bon soldat, le général a rendu les armes au soir de la réélection de Bouteflika et s’en est allé sur la pointe des pieds prendre son repos du guerrier après avoir perdu son ultime bataille.
Hassan Moali
© El Watan
14 février 2012
Contributions