L’exil est une semence du désespoir dans l’air, une frustration qui respire, des jours qui passent sans prévenir personne. L’exil, une complainte qui chante dans le ciel, un oiseau qui ne retrouve plus arbre où se poser, des nostalgies itératives et angoissantes, des vœux sans lendemain, une grisaille bleue qui danse devant les yeux stupéfaits. L’exil est une usurpation de soi, des désirs souvent en attente, un vent d’incertitude qui souffle sur les esprits, une sempiternelle inconstance, des insomnies assassines, des sommeils perturbés, des rêves avortés, des déceptions qui s’enchaînent et pullulent comme des champignons. L’exil est somme toute « un supplice plus pire que la mort » pour paraphraser les mots de l’écrivain française Madame de Stael (1766-1817). Mais l’exil serait-il pour autant menteur? La réponse coule vraiment de source, le titre de l’ouvrage du sociologue algérien de renommée internationale Abdelmalek Sayyad (1933-1998) «la double absence: des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré» est plus qu’illustratif. En ce sens, le double mouvement migratoire: «émigration-immigration» est construit sur un mythe: le mensonge. D’aucuns voient en lui l’incarnation d’un univers prometteur et meilleur, d’autres une évasion salvatrice d’un monde pourri tandis que la majorité le conçoit comme une simple voie de garage. Autrement dit, la pire solution que puisse choisir un être humain sur terre. Mais l’acte d’émigrer est-il souvent négatif? Pour certains, émigrer, c’est quitter sa terre maternelle, devenir un déraciné, couper les amarres avec ses origines, rechercher une vie meilleure sous d’autres cieux plus cléments, plus accueillants et plus humains. L’émigration est perçue dans ce cas-là comme un défoulement après une longue asphyxie, une quête sérieuse d’un nouveau souffle, un enterrement de traditions anciennes, de loin forts surannées, et par-dessus tout un besoin de paraître autre que ce que l’on croit être. Pour résumer, l’exil est un pur travestissement de la réalité dans la mesure où s’exiler, c’est évidemment vieillir doucement et lentement mais sûrement. Pris en ses multiples facettes, le concept de l’exil change de couleur et de saveur au fur et à mesure que l’on essaie de saisir son sens réel car il est cette brindille enflammée pouvant provoquer un grand incendie, cette profonde blessure silencieuse, innommable et aux douleurs inextinguibles, cette entaille dans la conscience, dure à guérir, ces chagrins dormants qui cachent en leurs plis des destins brisés et des parcours ratés. Il est pour les fins connaisseurs, un échec programmé, pour les débutants une aventure risquée et pour les intermédiaires un pis-aller. Que faire? Que pourrait-on en espérer?
Il s’avère que dans ce sauve-qui-peut général, les traversées de désert sont fort diverses alors que l’issue est unique: le désenchantement devant les faces superficielles du monde. L’exil est, on ne peut plus, un choix forcé que les circonstances nous imposent. C’est pourquoi, il est déchirure, rupture et coupure par rapport au passé et aux origines. A dire vrai, l’être humain sensible ne se ressource qu’à la fontaine de l’enfance perdue, ne s’attache qu’aux souvenirs des lieux, des paysages et des traces qui l’ont marqués, ne se lie d’amitié affective et effective qu’avec la mémoire de ses parents, grands-parents et proches qui l’a tatouée. Ces êtres affables et magnanimes qui sortent soudainement de son champ de vision et d’affectivité. L’être «expatrié», acculé à la solitude méditative, ne savoure que les brises d’automne aux embruns de figues mûres, de raisins alléchants, de pastèques ainsi que de melons qu’on partage en fins gourmets en petite famille. Mais pourrait-on déraciner un arbre? On serait tout bonnement amené à répondre par l’affirmative, en revanche, on accepte moins cette assertion lorsqu’il s’agit d’origines. Les racines et les origines sont selon l’écrivain libanais Amin Maalouf à quelques détails près différentes, car si les premières s’enfouissent et se détériorent dans le sol, les secondes se renouvellent et rejaillissent de diverses manières. L’identité est par conséquent un puits et non pas un arbre puisqu’elle nous abreuve de son esprit et nous donne la force d’avancer et de progresser dans le temps et l’espace. Dans ce cheminement et par l’intermédiaire de sa sève qui est dans ce contexte-là: la culture, la langue, les us et les coutumes du pays d’origine, elle permet à l’arbre qui est dans cette image métaphorique le «patriotisme» de s’épanouir et de donner ses fruits. Encore faudrait-il préciser que le mot identité provient étymologiquement du mot latin «identitas» qui veut dire «le même», «l’identique», et «le semblable». Cependant, en arabe «Houiya» ou «Haouiya» est un terme quelque peu distinctif puisqu’il désigne sans le citer nommément la troisième personne du singulier «houa» c’est-à-dire «lui».
D’où cette référence distante à une collectivité désignée d’un point de vue neutre dans la culture arabo-musulmane. «Houiya» en est à cet égard un terme «différenciatoire» (moi différent par rapport à lui, aux autres) alors que le terme latin «identitats» est «assimilatoire» (moi identique à lui, aux autres). Notons au passage qu’exile et identité sont une doublure dans la mesure où il est si difficile de concevoir la réalité de l’exil sans passer par son corollaire qu’est l’identité. De même qu’il s’avère non moins certain de mieux connaître son identité sans passer par la terrible épreuve de l’exil. En ce sens, l’identité est «objective» car elle tourne autour des notions de la civilisation, de culture, des racines et des richesses immatérielles de la patrie d’origine et «subjective» dans la mesure où l’être humain s’y identifie. Mais l’esprit de l’aventure et de la découverte nous presse le pas et foule au pied et les conventions sociales et les rituels de vie. Il nous pousse entre autres choses à aller plus loin prospecter et butiner à la recherche de nous-mêmes à travers l’autre.
Ce prisme à travers lequel se reflète notre identité, cet étranger à notre psychologie, à nos habitudes, à nos manières de voir et surtout à nos idées et perspectives qui va nous révéler à nous-mêmes «une nouvelle connaissance est une nouvelle co-naissance» dit-on aux époques anciennes. Ainsi l’identité serait-elle une quête perpétuelle de soi et l’exil une usurpation et un vol à l’arraché de soi.
Cet exil-là où les odeurs des printemps qu’on a passés au «bled» deviennent simples réminiscences d’un passé qui n’a pas de nom, cet exil-là où l’on saute sur des occasions, cet «expatriement» qui nous écrase par ses miroitements et nous oblige de ce fait à s’adonner à ses étreintes et à caresser des rêves inassouvis, de partir, partir, loin pour ne plus se ressouvenir, effacer les espaces qui nous interpellent, les traces et l’odeur des mains qui nous ont touché, les silhouettes ayant frôlé nos corps, les regards qui ont croisé nos yeux, le rythme chaloupé des berceuses enfantines, les ondes positives des brises qui nous ont effleuré un soir d’été autour d’un thé familial, et comble de malheur, cet exil-là nous pousse à oublier «le bled» qui nous a vu grandir. Ce terme-là à sensations provoque d’ailleurs en nous un sentiment de douceur mêlé d’éloignement et d’ennui jumelé de tristesse. Cela est vrai d’autant plus que la patrie des origines reste à jamais notre unique confident, notre âme inspiratrice, les rides qui nous sillonnent le front et plus que tout autre chose notre amour du cœur.
En ce sens, on peut volontiers dire que l’exil n’est pas seulement «territorial» mais aussi et surtout «spirituel» car même si l’on s’expatrie corporellement, nos pensées s’accrochent obstinément à ce qui nous est familier, à ce qui nous est consubstantiel, maternel et fraternel. Raisons ayant peut-être fomenté cette étroite imbrication entre la terre, l’identité et la mère. Cette dernière est à l’image de la patrie, un être irremplaçable, affectueux et plein d’égards envers ses enfants. La mère est à la fois porteuse d’une charge d’amour symbolique sans commune mesure en notre for intérieur et d’un désir d’accaparement sans partage de nos êtres, la mère est un aimant qui nous attire pour nous engloutir dans sa tendresse. Dans son roman célèbre «Nedjma», le poète algérien Kateb Yacine (1929-1989) met en évidence ce rôle d’épouse, de maîtresse, de concubine, de mère et de sœur de la belle «Nedjma». Cette dernière signifiant «étoile» n’est autre en réalité qu’une précipitation symbolique de la patrie originelle «al-Jzaîr» aux consonances météoriques sur une «Algérie» colonisée, déchirée, blessée et surtout «exilée» d’elle-même. L’expatriement de «Nedjma» est en partie du à sa perte, à ses divagations et à ses multiples questionnements. Qui est-elle? Que cherche-elle? D’où vient-elle et qui sont ses origines? Du sang mêlé à l’origine obscure, il n’y a qu’un pas à franchir, une bavure à commettre, un destin à transgresser et «Nedjma» en paye les frais dans sa chair et son esprit car ses amours éphémères ne sont qu’une preuve supplémentaire de la déchéance de son identité et de sa chute dans les abîmes. Si l’on veut «Nedjma» incarne l’origine perdue et l’identité éparpillée de la mère, de la sœur, et de notre patrie «l’Algérie» puisqu’elle-même née de liaison illégitime, en perpétue les frasques et crée l’ambiguïté.
A suivre
18 février 2012 à 19 07 05 02052
A ce titre, ni «Kamel», son
mari, ni les quatre autres
amants (Lakhdar, Mustapha,
Rachid et Mourad) n’ont pu
vraiment conquérir le coeur de cette
«séductrice» sauvage et insatiable.
On peut tout de même affirmer
que «Nedjma» est l’identité
elle-même dont l’apprivoisement
nécessite de la patience, de la finesse,
de l’art de séduire et surtout
de la malléabilité émotionnelle
d’autant plus qu’elle est une construction
continuelle et diversifiée
avec différentes composantes psychologique,
sociologiques et humaines.
L’image de l’Algérie décrite
par l’éminent Kateb Yacine mérite
à elle seule le nom de «l’exil»:
exil à la fois de sens, de sentiments,
d’amour charnel et d’amour platonique.
En termes plus simples, «exil
intérieur». On est en quelque sorte
en présence d’une dichotomie
aberrante entre appartenir à quelqu’un
et s’appartenir à soi, c’est-àdire
que ces variables (moi et soi)
livrent bataille l’une à l’autre sans
arriver à un accord commun. C’est
peut-être aussi de cette logique que
le mot «Al-Jzaîr» (îles éparpillées)
tire son nom. A dire vrai, tout le
génie du grand Kateb s’y trouve
exploité. C’est inéluctablement
dans cette étape cruciale que naît
l’espace de «la marge». Les êtres
fragiles, sensibles, les «honnêtes
hommes» comme on dit qui regardent
le monde, l’observent et l’analysent,
refusent de se compromettre
et d’accepter la déformation de
la réalité car disons-le en termes
plus clairs, l’exil est menteur vu que
la perte qu’il présage ne vient
qu’après coup, après les pas osés
que l’on enjambe, les incessantes
démarches que l’on entreprend, les
projets que l’on échafaude et tout
le toutim. Certes on est tous quelque
part des «ici-liens» dirait l’humoriste
franco-marocain «Djamel
Debbouz», des hommes qui habitent
dans le petit coin, des femmes
qui préparent le couscous, des gamins
chahuteurs mais naïfs et des
filles pudibondes mais malicieuses.
Néanmoins, on a appris tout de
même à être nous-mêmes là où
l’on est plus et autre là où l’on est,
c’est l’exil de mots qui nous berce,
l’exil de l’imaginaire qui nous hante
et celui de la pensée qui nous lie.
C’est pourquoi on n’est plus exilé là
où l’on nous exile et exilé là où l’on
ne nous exile pas. C’est extrêmement
difficile à comprendre car il y
a un peu de philosophie là-dessus
et que tellement les réflexes humains
agissent par contradiction, trouver
l’essence des choses dans la clarté
des phénomènes s’avère impossible.
On ne doit pas perdre de vue
en ce sens que si l’on est à priori
des «ici-liens», c’est-à-dire, des citoyens
du monde, on serait à tout
le moins amené à accepter ce destin
de «nomades», ces êtres en chair
et en os qui se déplacent, émigrent
et quittent leurs territoires dans un
mouvement de transhumance qui
les mène aux frontières de l’inimaginable.
De tout temps, ce sont les
gens de la marge qui ont façonné
l’histoire humaine. Ceux-là même
qui sont trempés de souffrances, mis
à l’écart par les regards désapprobateurs,
et taxés de parias. Des
«hommes du silence» qui regardent
en spectacle le monde bouger, en
train de livrer ses secrets et de déambuler
à travers les rues. Des hommes
de marge qui refusent d’émarger
leur empreinte au bas de page
de l’histoire. Ceux-là qui, au lieu
d’engranger les amertumes ainsi
que de déceptions et devenir des
«hommes de ressentiment» qui se
taisent et s’immergent dans ce que
le philosophe allemand Friedrich
Nietzsche (1844-1900) appelle «Die
Kulturluge» (le mensonge de civilisation),
s’arment toutefois de cette
fameuse «culture de résistance» chère
à l’éminent intellectuel américano-
palestinen Edward Said (1935-
2003). Laquelle culture qui privilégie
l’observation à l’action, la contemplation
à l’agitation, la précision
aux dérapages sémantiques car observer
est plus qu’un art, il est, on
ne peut plus, un talent. Observer ces
regards qui foudroient, ces sourires
frelatés et hypocrites, ces mots pleins
de demi-teintes et ces fausses apparences
qui veulent nous tromper
en permanence est la mission du
marginal. Mais qu’est qu’un marginal?
La réponse est la suivante: c’est
un être unique et divers, pluriel et
isolé, à la fois ambigu, transparent
et obscur, un être aux vies qui s’entrechoquent
et aux destins plus que
contradictoires. Il est cet «autre» être
«solitaire mais solidaire» comme le
résume le philosophe Albert Camus
(1913-1960).
Les exemples dans l’histoire en
sont légion à commencer par
Edward Said lui-même, né en Palestine,
le penseur passe la plusgrande
partie de sa jeunesse en
Égypte pour émigrer par la suite
aux États Unis. Trois vies du «citoyen
du monde» fort distinctes
mais un seul destin d’«homme marginal
». Voué aux gémonies enPalestine
et en Égypte parce qu’il est
chrétien et aux États Unis parce
qu’il a refusé de cautionner et d’hypothéquer
l’avenir de «Jérusalem»
par les faucons et les néo-conservateurs
de la maison blanche. Étant
chrétien, il a ressenti une certaine
mise à l’écart dans des sociétés foncièrement
musulmanes dans le
coeur et l’âme. Néanmoins, à cheval
entre deux cultures, il a su incarner
la stature d’un «intellectuel
organique» au sens gramscien du
terme, celui qui fédère sans les
mélanger les notions de l’objectif et
du subjectif, du général et du particulier,
la cause de son peuple et la
question de l’humanisme universel.
A en croire ses dires, de son vivant,
des milliers de lettres de
menaces lui parviennent à son domicile
afin de le dissuader de son
engagement. L’épopée d’Edward
Said est incontestablement semblable
en bien des points à la personnalité
«juive» résistante, le célèbre
linguiste américain «Noam Chomsky
» qui, lui, subit un «exil intérieur»
et à l’intérieur du territoire de son
propre pays en raison de ses prises
de positions courageuses en faveur
des causes justes dans le monde au
rang desquelles l’on trouve l’épineuse
tragédie du peuple palestinien,
cette grande «hogra» de tous les siècles:
«un patriote exilé et un exilé
dans le patriotisme» telle est l’image
que l’on peut coller à la personne
de Chomsky. Ce profil n’est pas
le seul apanage des deux personnalités
citées, l’écrivain français
«Jean Giono» (1895-1970) à titre
d’exemple est, quant à lui, la représentation
pure et simple d’un «objecteur
de conscience» ayant rejeté
catégoriquement les guerres et les
conflits en Europe et dans le monde
entier «je préfère être un allemand
vivant qu’un français mort»
déclare-t-il en 1937 pour clarifier sa
positon de pacifiste qui l’a mis dans
une posture un peu risquée vis-àvis
de son pays à la veille de la seconde
guerre mondiale. Mais Giono
a continué d’assumer son destin
du «marginal» jusqu’au bout en se
posant à la périphérie des êtres et
des choses et en s’octroyant la mission
d’ «exilé du territoire des pensées
communes» et des paradigmes
imités et imitables de la «bienpensance
», voire les modèles prêtsà-
porter de l’intelligentsia. Aussi
étrange que cela puisse paraître, la
marge ou les marges avaient été tout
au long de l’expérience de l’homme
sur terre, un exemple de dynamique
sociale, de vivacité d’esprit,
et de la turbulence d’inventivité, la
race humaine puise son énergie
créatrice de ce terreau fertile que
furent ses cotes négligées et ses éléments
disparates, l’apport de l’exil
au patrimoine immatériel de l’humanité
demeure par contre un chefd’oeuvre
d’art mal exploité. En découvrant
son réel être, Giono a découvert
l’exil de l’imaginaire, cette
création «idéaliste» qui l’a porté au
summum de la littérature mondiale.
On peut s’exiler spirituellement
parce qu’on porte une idée qui dérange,
une théorie subversive, des
schèmes de pensée qui pourraient
sortir du cadre général. Le penseur
tunisien Ibn Khaldoun (1332-1406)
a, lui aussi, vécu les terribles péripéties
de l’exil, entre respectivement
trois pays la Tunisie, terre de sa naissance,
l’Algérie, terre d’adoption et
du coeur où est née sa fameuse
oeuvre «Prolégomènes», plus exactement
à «Tahert», actuelle Tiaret,
capitale de la dynastie des «Rostémides
» et l’Égypte, terre de la politique,
des tractations et de sa mort.
L’expérience de ce célèbre concepteur
de «Ilm Al-Umran», ce qui peut
se traduire en nos ères modernes
par le vocable de «sociologie», est
iconoclaste car son statut de cadi,
instituteur, exégète, historien et interprète
ne s’est affirmé réellement
que grâce à ses différents périples
«exils» entre les pays arabo-musulmansc
(Syrie, Égypte, Ouzbékistan
et Asie mineure). Sa rencontre décisive
avec Tamerlan (1336-1405),
ce guerrier turco-mongol qui eut l’intention
de conquérir l’Égypte et la
Syrie qui furent à l’époque en grande
partie sous la férule des Mamelouks
a été une occasion en or pour
lui afin de s’affirmer en tant qu’historien
qui subjugue par ses qualités
et ses connaissances un roi terrible
et sanguinaire.
En ce sens, l’exil est formateur
et instructif, les gens qui voyagent
s’illustrent souvent par leur
compréhension facile du monde
puisque, il est bien de le rappeler,
l’exil ne s’effectue pas seulement
entre un pays et un autre, mais
même entre un village et un autre,
une ville et une autre. On ressent
qu’on est exilé dès qu’on franchit
le seuil de la porte vers la sortie, le
bercail est un lieu de recueillement,
de tranquillité et de sûreté morale.
Ainsi l’exil est-il dans ce contexte
pluriel et se manifeste de différentes
manières: attachement, chagrins,
rupture, adieux… etc. Mais le
plus souvent, c’est l’exil spirituel qui
provoque plus de dégâts moraux à
l’âme humaine dans la mesure où
il la pousse inexorablement dans
ses derniers retranchements de survie.
En réalité, l’humain où qu’il soit
est sujet à l’inconstance.
En conséquence, il lui est difficile
de voir en précision sa réalité
intérieure telle qu’elle est et telle
qu’elle se présente. Le roman
«voyage au bout de la nuit» de son
auteur français Louis-Ferdinand
Céline (1894-1961) raconte justement
cet exil dans l’horreur et l’abjection,
«Barmadu», le protagoniste
principal, incarnation subtile de
Céline, se sent hors de lui dans un
univers indifférent aux valeurs et à
la morale consensuelles du groupe
social, un monde de guerre, somme
toute, atroce où tout est voué à
l’ignominie et au désordre. Ce genre
d’exil se trouve également mis en
évidence par l’écrivain anglais Joseph
Conrad (1857-1924) dans ses
deux célèbres romans «au coeur des
ténèbres» et «Nostromo» où il se livre
à une dissection minutieuse de
l’âme humaine primitive et sauvage
que voilent les concepts de civilisation
et de modernité sous les fausses
parures de progrès. Encore faudrait-
il revenir hinc et nunc et à juste
raison sur le concept d’ «El-ghorba
» qui rejoint dans sa signification
polysémique ce «coucher du soleil»
qui embrase les coeurs. Ce lieu sombre
où il n’y a plus du soleil, plus de
chaleur, plus de sourires, à part ceux
de l’inspiration profonde qu’invoque
la froideur des souffrances. Mais
«El-Ghorba» est-elle la vraiment l’interprétation
la plus exacte du mot
exil? La réponse est inéluctablement
dans l’expectative car personne à ce
jour ne pourrait nier qu’indépendamment
de son pouvoir de nuisance
sur les esprits, l’exil est également
un renforcement et un enrichissement
de l’humain en ses fondements
psychologiques et sociaux.
* Universitaire
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