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Ah ! si vieillesse pouvait… Salem H./Kahina G.

11 février 2012

Chroniques

Soirmagazine : ENQUETE TEMOIGNAGES

Ombres furtives rasant les murs, les pensionnaires du foyer d’accueil pour personnes âgées de Boukhalfa, dans la banlieue ouest de Tizi-Ouzou, égrènent le temps au gré des jours qui s’écoulent. Les yeux hagards, ils scrutent un horizon qu’eux seuls voient. A la vue d’étrangers au centre, leurs visages s’illuminent d’un sourire plein d’espoir.
Autrefois inenvisageable en Kabylie et ailleurs, le principe de mettre ses vieux parents dans les foyers pour personnes âgées qui ont perdu leur autonomie est aujourd’hui banalisé. Le centre social de Tizi-Ouzou pour personnes âgées et/ou handicapées nous a ouvert ses portes. Sur place, le constat relève une triste réalité. Changement du mode de vie ou régression de l’échelle des valeurs, il reste que d’année en année, la pratique devient routinière. Les enfants délaissent leurs parents et les placent dans des centres spécialisés. Cependant, les raisons derrière ces placements diffèrent.
Une centenaire raconte
«Autrefois, la famille était le clan qui vivait dans un espace protégé où personne ne se sentait seul. Les grands parents étaient vénérés. Maintenant, nous nous sentons des fardeaux pour nos familles. Les enfants, absorbés par un travail stressant, ne vivent plus sous le même toit que nous, et nous constituons un véritable obstacle pour leur bonheur.» De nos jours, la vie de couple a en effet pris le dessus sur celle de la famille nombreuse. Les jeunes mariés habitent séparés des parents, et souvent très loin d’eux dans les villes dont le mode de vie n’est pas compatible avec l’éducation des vieux parents qui préfèrent la misère du village au confort de la ville considérée comme une prison pour eux. Mais la solitude et la perte d’autonomie finissent par les plonger dans les bras des centres pour personnes âgées. Selon Razika, pharmacienne : «Les brus et les filles assuraient la prise en charge des vieux parents. De nos jours, elles assument aussi le rôle de femmes actives. Une évolution sociale qui reste pourtant préjudiciable au bien-être des plus faibles.» Pour y pallier, la mode est au recours aux gardes-malades mais de jour seulement. Restent des cas où il est difficile de concilier travail et vie de famille. Le travail, un des principes radicaux de l’évolution des modes de vie : des horaires antinomiques avec l’état des personnes âgées qui ont besoin d’une présence physique et beaucoup d’affection des leurs. Autrefois, les travaux des champs, pourtant accaparants, ne portaient pas préjudice à l’organisation rigoureuse qui prévalait au sein du couple. De sorte qu’il y avait toujours une personne au chevet du parent grabataire. A ce problème s’est greffé celui des enfants que les parents actifs placent dans les crèches… Notre visite a coïncidé avec l’heure du repas de midi. Un repas complet servi par un personnel affable était au menu du jour : de la salade, des lentilles avec viande et un dessert alors que les diabétiques avaient droit à une soupe. Créé en 2003, ce centre qui a hérité de la dénomination du foyer pour personnes âgées de Yakouren accueille des personnes qui ont perdu leur autonomie, du fait de leur fragilisation par des pathologies médicales lourdes, des personnes sans ressources et sans attache familiale et des handicapés. Les conflits conjugaux et familiaux sont également à l’origine des ruptures et de l’explosion familiale. L’une des perspectives du centre est d’ailleurs la réinsertion familiale, un travail de proximité avec les familles pour récupérer leurs ascendants. La structure humanitaire de Yakouren dont le statut initial était de servir de centre de transit, devait son avènement en 1994 au comité local du C-RA de Yakouren présidé alors par un médecin.

Victime d’une dépression nerveuse suivie d’une hécatombe familiale, il atterrit au centre.

Le projet humanitaire a vu le jour grâce à la délibération du P/APC de l’époque, pupille de la nation. Il avait mis le Centre de vacances de la jeunesse et des sports à la disposition du C-RA local. Beaucoup de pensionnaires de Boukhalfa ont été délocalisés du centre qui avait mué en foyer pour grabataires, mais aussi pour des personnes de tous âges et des deux sexes trahis par la vie. Géré essentiellement par des bienfaiteurs, il a vécu par la suite des situations difficiles en raison de conflits d’intérêts. Le transfert sur fond d’émeutes des pensionnaires qui refusaient de quitter ce nid d’humanité pour une institution étatique régie par un règlement drastique illustrait cet attachement à un foyer où des liens s’étaient tissés entre les pensionnaires ayant en commun un destin tragique. C’est d’ailleurs le seul grief que les pensionnaires de Boukhalfa reprochent à leur centre. Car à Yakouren, ils disposaient de toutes les libertés pour sortir, s’absenter et veiller.
La psychologue du centre nous explique
«Il serait suicidaire de gérer le centre sans un règlement drastique, que contestent certains pensionnaires avides de liberté, car beaucoup d’entre eux souffrent de divers troubles et maladies qui ne leur permettent pas de quitter les lieux sans autorisation et/ou sans accompagnateur. Des permissions délivrées aux résidents jouissant de toutes ou partie de leurs facultés à l’image de Rachid qui a sollicité et obtenu avec le sourire une permission pour aller en ville. Des procédures indispensables pour dégager la responsabilité du centre qui renferme des personnes de santé fragile. Rachid qui parle un français sans accent nous a fait part de ses projets socioculturels. Compréhensive de sa situation, la psychologue le ramène gentiment à la réalité en lui tendant son autorisation de sortie. De nombreux pensionnaires de Yakouren regrettent bien les veillées autour du feu de bois offert par les bienfaiteurs et l’APC et ils ont encore du mal à s’habituer à la structure flambant neuf du centre qui leur offre pourtant toutes les commodités contrairement au foyer de Yakouren où ils logeaient dans des box séparés par des cloisons sommaires et des dépendances à la limité de l’insalubre. Ces derniers reconnaissent toutefois que les conditions d’hébergement et de restauration sont nettement meilleures à Boukhlafa notamment avec ce personnel aux petits soins avec les pensionnaires. 58 pensionnaires sont originaires de la wilaya de Tizi-Ouzou et le reste des wilayas d’Alger, Blida, Boumerdès, Bejaïa et Batna. Plusieurs catégories de malades sont répertoriées. Les pensionnaires souffrent de retard mental, de troubles psychiques, d’autres sont atteints d’amnésie et de la maladie d’Alzheimer marquée par une désorientation dans le temps et l’espace, de maladies organiques, troubles visuels et auditifs. Beaucoup de cas nécessitent un rééquilibrage psychologique selon la psychologue. La diversité des cas en présence rend difficile la vie aux pensionnaires ayant toutes leurs facultés. Pour encadrer les pensionnaires, le centre dispose de cinq éducateurs permanents spécialisés chargés d’accompagner les pensionnaires aux plans mental et de l’écoute, une psychologue, des assistantes médicales, une infirmière. Quatre psychologues recrutées dans le cadre social épaulent la psychologue du centre qui coordonne les groupes de paroles où la psychothérapie adaptée à chaque pensionnaire est de mise. La mort et l’élaboration du deuil pour ceux qui le désirent sont abordées par le centre qui célèbre aussi les cérémonies mortuaires. Avec la récurrence des pensionnaires originaires de la Kabylie du sud de la wilaya de Tizi-Ouzou, toute une étude sociologique est nécessaire pour en étudier les causes, même si la pauvreté semble en être la raison principale. Trop de personnes sont ainsi marginalisées par leurs propres familles du fait de leur âge, de leur état de santé ou de leurs conditions sociales. C’est dans ce contexte que le foyer se propose d’accueillir ces personnes pour les protéger et briser leur isolement.
Salim, un pensionnaire artiste
Lors de la visite des ateliers, notre attention a été attirée par des tableaux de peinture et quelques fresques murales d’un intérêt artistique évident. Des œuvres d’un artiste peintre, nous apprend la psychologue, un ancien élève de l’Ecole des beaux-arts d’Alger des années 70 spécialisé dans la restauration des monuments. «C’est le destin qui a amené Salim ici. Ce talentueux artiste qui a exposé en Italie et en Suisse a été victime d’une dépression nerveuse suivie d’une hécatombe familiale. C’est pour ces raisons qu’il s’est retrouvé au centre où il compte participer aux activités artistiques et à l’animation culturelle.» «Pour peu que tous les moyens soient mis à ma disposition par la direction.» L’artiste peintre affirme être heureux de voir les gens s’intéresser aux pensionnaires qui se sentent abandonnés par les leurs en soulignant le rôle du personnel aux petits soins avec eux.
Mokrane, un cas humanitaire
Mokrane était le confident et l’ange protecteur des pensionnaires du foyer de Yakouren. Sa chute au centre est anecdotique. Employé dans une institution publique, ses ennuis commencèrent, selon lui, avec une sombre affaire de faux abandon de poste dont il aurait fait l’objet de la part de son administration. Chose qui a poussé Mokrane à saisir le président de l’époque, Liamine Zeroual. La perte graduelle de son acuité visuelle qui a abouti à une cécité en 2007 a fini par l’achever. Une descente aux enfers aggravée par une série de malheurs qui s’abattirent sur lui : il a d’abord perdu ses deux parents à six mois d’intervalle, puis deux autres jeunes membres de sa famille dont un par noyade et un ami qui s’était montré aux petits soins avec lui au commencement de ses malheurs. Et lorsque la maison familiale s’est vidée après le mariage de ses deux sœurs qui lui vouaient une grande affection mais ne peuvaient rien faire pour lui, l’angoisse atteignit son paroxysme. Fier, Mokrane ne voulait pas constituer un fardeau pour la famille de son petit frère et choisit de se réfugier au foyer pour personnes âgées où il se dit atteint du syndrome des hospices qui lui a collé à la peau. L’acharnement administratif sur Mokrane continue à ce jour. Sa demande de logement social établie il y a 33 ans et renouvelée chaque année auprès de la daïra de Beni Douala reste lettre morte en dépit d’un solide dossier. Mokrane sent le destin et la chance l’abandonner lorsqu’un généreux bienfaiteur de Béjaïa s’est proposé de prendre en charge l’opération chirurgicale censée lui faire recouvrer la vue. Mais après plusieurs examens, il s’est avéré que son cas est irréversible. Virtuose du banjo et du mandole, Mokrane noie son chagrin dans la musique. Il a longtemps égayé les soirées du foyer avec son ami feu Mohand Saïd Oubelaïd, un grand de la chanson kabyle qui, comble de l’ironie, s’était retrouvé lui aussi au foyer d’accueil de Yakouren. Il sera assassiné dans des circonstances dramatiques à Azeffoun… Parlant et écrivant un français châtié, Mokrane se versera dans le journalisme en tant que correspondant d’un quotidien national où ses écrits sont appréciés par les lecteurs. Mais là encore, il fera l’objet d’une machination parce que ses écrits gênaient la mafia locale. Se sentant abandonné de tous, il adressa une correspondance pathétique portant demande d’asile humanitaire au ministre français Bernard Kouchner. «Un pied de nez aux autorités algériennes qui m’ont fermé toutes les portes», s’indigne-t-il, indiquant : «Mon avenir est derrière moi.» Trouvant les conditions de séjour au centre excellentes, il estime toutefois que la liberté manque cruellement aux pensionnaires avec les contraignantes demandes de permission qu’il trouve fastidieuses à son goût, suggérant un retour aux bons de sortie valables une semaine.

Fier, Mokrane ne voulait pas être un fardeau pour sa famille, il choisit de se réfugier au foyer.

Dans les yeux de certains pensionnaires se lit une détresse contenue. Rachid que nous avons rencontré dans le bureau de la psychologue rêve, quant à lui, de s’investir, une fois guéri, dans l’humanitaire en offrant le gîte aux personnes en détresse. Sensible au drame des personnes âgées du centre, la psychologue estime, quant à elle, que «quels que soient la qualité de la prise en charge et l’amour dont sont entourés les pensionnaires au centre, rien ne peut remplacer la chaleur familiale tant le vide est pesant pour les pensionnaires». Son souci premier est d’après elle de gagner la confiance des pensionnaires face à une société qui a tourné le dos aux bonnes vieilles traditions ancestrales qui vouaient aux personnes âgées un respect quasi sacerdotal de par leur lien social et intergénérationnel.

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/02/11/article.php?sid=130090&cid=52

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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