CultureJeudi, 09 Février 2012 10:00
Lettre à Cheikha Remiti : Houwa Goudami wana mourah (lui devant et moi derrière) (Titre d’une chanson de la Diva)
En 1978, encore étudiant à l’université d’Oran, j’étais l’un des premiers qui ont osé interviewer la diva cheikha Remiti et publié cet entretien. Aux yeux du système de Boumediene, cette grande dame symbolisait l’interdit. Le tabou. Elle fut casseuse de toutes les constantes dogmatiques et conservatrices de cette époque politique. Trente ans plus tard, peut-être un peu plus, la mort de la diva Remiti le 16 mai 2006 et son enterrement comme en catimini, m’a attristé. Enterrer la honte ! Rien ou presque n’a changé. Grand salut à Beyouna, une autre Remiti ! La diva Remiti est plus forte, plus grande, qu’un ministère appelé : ministère des Affaires étrangères. Pourquoi je vous parle de cette Diva algérienne? De Sidi Bel-Abbès en passant par l’Olympia de Paris, et jusqu’aux États-Unis d’Amérique, la Diva est similaire à l’Algérie plurielle. Elle n’avait dans sa bouche, sur ses cordes vocales, que cet arabe algérien. Dans la bouche de la Diva, la langue algérienne se métamorphose en langue universelle. Autour d’elle, dans sa voix rocailleuse et transparente, la Diva incarnait les Algérie(s) (selon l’expression du poète algérien Jean Sénac, lui aussi mort, assassiné dans une cave ! sans suite.). La Diva faisait plaire au Kabyle de Aïth Yenni, au Chaoui de Arris, au Mozabite de Ghardaïa, à l’Algérois de Sostara, à l’Oranais de Sid el Houari, au bechari de Belbala… à l’immigré de Montréal et à celui du XVIe arrondissement de Paris… “Digoulle (Charles De Gaulle) a embrassé ces tatouages”, me disait la Diva, en exposant devant mes yeux éblouis ses mains osseuses et mystérieuses. Elle avait en elle, âme et corps, tout ce que resserre cette belle et triste Algérie: la langue algérienne, la chanson, les tatouages, la spontanéité, la franchise, le courage, l’aventure et l’âme du peuple algérien. Après Kateb Yacine, c’est cheikha Remiti (Allah Yarhamha) qui a fait connaître l’Algérie aux petites gens dans les quatre coins du monde. Non-savante, selon la définition de l’anthropologue Levy- Strauss, la Diva Remiti détenait le secret d’une culture prophétique. Elle était visionnaire et vraie. Pourquoi je vous parle de la Diva Remiti ? À travers Remiti, toutes les voix du patrimoine juif algérien sont réveillées: Rénette l’oranaise (1915-1998), Maurice al Medioni (1928-2006), Lili Bonich (1921- 2008) et les autres. Et derrière la Diva, en elle, la mémoire profonde de Tolède musulmane, juive et chrétienne nous interpelle. En tant qu’écrivain, la voix magique de la Diva Rémiti suscite en moi toute cette mémoire. Fidèle à la langue de Lahkdar Benkhlouf, Benguitoune, Belkheir, el Khaldi … La Diva Remiti a sauvé la langue de ma mère, de vos mères. La langue dialectale, parce qu’elle est le génie populaire, elle fait peur aux ennemis de l’art libre et de la liberté du dire. Le plurilinguisme dérange la médiocrité (salut mon maître Mostefa Lacheraf). Mes chers : Si Mohand Ou M’hand, Kateb Yacine, mon père et Cheikha Remiti, je suis le fruit de cette Algérie grande par sa peur, par son courage, par son vin, par sa prière, par ses langues, par son unité, par son histoire glorieuse et par Vous. Salam. (Fin).
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
9 février 2012
Chroniques