le 08.02.12 | 01h00
Le romancier français François Beaune, adepte des écritures du réel, souhaite collecter des histoires vraies, celles racontées par des gens ordinaires sur leur vie.
Le jeune romancier français François Beaune, 34 ans, veut marcher sur les traces de l’écrivain américain Paul Auster, 65 ans, pour raconter des histoires dites par d’autres. A la dernière année du siècle dernier, l’auteur de La nuit de l’oracle, décide de collecter des «histoires vraies» après avoir lancé un appel sur les ondes de la NPR (radio publique américaine). Les auditeurs lui envoient 4000 histoires. Il en sélectionne 220 pour écrire True tales of american life (histoires vraies de la vie américaine) rassemblées par thème. «J’ai lu ce livre de Paul Auster et j’ai repris son idée. Je me suis dit qu’avec le cadre méditerranéen et les changements qu’on observe aujourd’hui dans la région, il serait intéressant de partager des histoires vraies que les gens choissent de livrer, au-delà des frontières, à partir de récits de leur vie. Des histoires qu’ils estiment importantes à raconter», a expliqué hier François Beaune, à la librairie des éditions Chihab, à Bab El Oued, à Alger, lors d’un débat sur ce projet. Un projet participatif retenu pour la manifestation «Marseille-Provence, capitale européenne de la culture 2013».
François Beaune visitera 13 ports méditerranéens pour rassembler des histoires racontées par les gens. Après Barcelone, Tanger et Alger, l’écrivain français ira à Tunis, Benghazi, Alexandrie, Haïfa, Ramallah, Beyrouth, Lattaquié, Izmir, Athènes et Palerme. «Les histoires peuvent être racontées dans toutes les langues de ces pays. Les Méditerranéens n’ont pas en commun que la feta ou les olives noires. Ils vivent autour d’une même mer. Ils sont d’abord des individus qui ont des choses à dire. C’est finalement de la micro-histoire qu’on va faire croiser avec la grande histoire. Dans le livre de Paul Auster, la guerre du Viêtnam est évoquée à travers la vie ordinaire des gens», a-t-il souligné.
Il a cité, en exemple, la mésaventure d’une jeune étudiante française à Barcelone, fin novembre 1975, quelques jours après la mort du dictateur Francisco Franco. «Souvent, on met les écrivains derrière des tables où des piles de livres, nos livres, sont posés. On attend que les lecteurs viennent nous voir pour qu’on leur dédicace l’ouvrage. Quelle est l’utilité d’un écrivain ? Quel est ce métier ? A mon avis, l’utilité sera que l’écrivain est derrière une table et que les gens lui racontent leurs histoires. L’ambition d’un écrivain serait de retranscrire le monde contemporain, écouter la parole des gens», a plaidé l’auteur de L’homme louche. François Beaune travaillera avec des relais dans chaque pays, notamment des réseaux associatifs, des artistes, des étudiants, des lycéens et des enseignants.
«L’idée est que les lycéens collectent les histoires dans leur entourage. De cette matière première, qui sera du son ou de la vidéo, ils feront un travail de restitution orale de l’histoire. Une histoire qui peut être drôle ou triste (…). Je n’ai pas peur du risque d’exotisme. Je vais dire aux gens de me raconter ce qu’il leur plaît. Je n’impose rien. Je ne cherche pas de fiction, de nouvelles ou de contes. Je veux des histoires vécues qui sont vraies dans la mesure où la personne qui la raconte considère qu’elle est vraie. Je ne vais pas vérifier, je ne suis pas flic. Les gens peuvent tricher, mais je ne vois ce qu’ils gagnent en contrepartie», a-t-il expliqué, disant que la vérité est parfois déformée avec l’évolution des récits. Selon lui, le choix des histoires sera déterminant pour éliminer ce qui peut paraître superflu. Il a reconnu que le choix ne sera pas neutre.
«Quand on aura constitué cette bibliothèque d’histoires vraies, fin 2012, comment fera-t-on pour ouvrir ses portes ? Ma subjectivité d’écrivain décidera des histoires à retenir pour écrire un livre et faire des sonores pour Arte Radio. Tous les artistes autour de la Méditerranée feront la même la chose en donnant leurs propres versions de ces histoires. Je vais essayer de montrer le plus brut de ces récits en gardant la liberté de faire un roman ou une nouvelle à partir d’une histoire qui me plaît. Je vais choisir les meilleures histoires, celles qui m’ont le plus touché», a relevé l’auteur de L’ange noir.
Il a indiqué que les étudiants des Beaux-Arts de Tétouan au Maroc feront des bandes dessinées à partir des histoires collectées. Des musiciens, comédiens, cinéastes, calligraphes algériens peuvent, d’après lui, en faire autant. François Beaune, qui restera un mois à Alger et à Oran, souhaite travailler avec l’Ecole des beaux-arts d’Alger et le théâtre régional de Béjaïa. Une boîte aux lettres sera ouverte à la librairie Chihab et à l’Institut français d’Algérie (IFA) pour recevoir les histoires.
Un comité installé à Marseille se chargera de la traduction de tous les récits. Un site internet a été ouvert pour publier en droit libre l’intégralité de ces récits www.histoiresvraies.net. Les personnes intéressées peuvent transférer directement leurs histoires à ce site sans passer par l’initiateur du projet. La matière récoltée sera donnée au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille dont l’ouverture est prévue pour 2013.
Fayçal Métaoui
© El Watan
8 février 2012
LITTERATURE