CultureMardi, 07 Février 2012
Slimane Azem a été censuré pendant plus de 25 années sur les ondes de la radio algérienne. Une liste de chanteurs frappés d’interdiction de passer sur les trois Chaînes de la Radio nationale avait été dûment établie par les services de la Présidence dans les années 1960/70. Une translation fait état du nom de Slimane Azem qui aurait été ajouté curieusement au stylo et au bas de la page. A-t-il donc été censuré officiellement par l’État ou par des personnes anonymes ? La réponse n’est jamais venue encore à ce jour. Voilà pourquoi l’événement a balancé entre l’informel et le formel. Chacun est allé alors de sa version mais sans clarification sur le sujet. Nous retenons toutefois que l’institution officielle radiophonique dans son ensemble n’a plus diffusé ses chansons depuis 1962 à 1988. C’est tout de même assez curieux. De son côté, Slimane Azem, très affecté par cette interdiction, enregistrera une chanson accusatrice sous forme de fable qui met en scène trois chiens encerclant l’artiste sur la pochette du disque. Les trois bêtes sont différentes l’une de l’autre suivant une description ciselée. Le premier est roublard, le second virulent et méchant et le troisième même traînant le poids pesant de l’âge est frappé de la maladie du racontar. Les portraits ainsi décrits étaient suggestifs. Les soupçons et la rumeur se sont alors davantage amplifiés. Mais le ou les auteurs de la “censure” ne croyaient pas si bien faire. En effet, Slimane Azem, déjà adulé par le public, devient une icône de la chanson engagée et politique. Ces textes anticipaient sur la gabegie des pouvoirs successifs qui conduisaient le pays droit dans le mur. Il disait tout haut ce que tout le monde disait tout bas. La vente de ses disques, bien que produits en France chez Pathé Marconi, atteint un nombre incroyable en Algérie. Ils circulaient sous le manteau bien sûr. L’artiste devient indétrônable au hit-parade de la chanson kabyle et engagée encore à ce jour. Pour avoir chanté une chanson de Slimane Azem à l’occasion d’une fête au lycée Abane-Ramdane en 1972, j’ai été gratifié d’un avertissement administratif inscrit à mon dossier scolaire. Jamais je ne su pourquoi. Pourtant et à notre grande surprise une tentative avait été entreprise par Saïd Hilmi en 1973. Au milieu d’une de ses émissions, il passa une chanson de Slimane Azem. Depuis plus rien. Le flou est encore devenu plus opaque. Est-il réellement interdit officiellement d’antenne ou pas ? Il eut fallu attendre l’année 1988 et après les événements du 5 Octobre pour voir Slimane Azem revenir sur la scène radiophonique. C’est grâce à Sid Ali Naït Kaci et Belaïd Tagrawla, alors animateurs de l’émission “Timlilit n tmedit” (au rendez-vous du soir), qui ont pris sur eux l’initiative, mais aussi le risque de reprendre la diffusion des chansons de l’artiste interdit. Ils n’ont jamais été inquiétés pour autant par leur hiérarchie. Depuis, les chansons de l’opposant passent régulièrement sur les ondes de la Chaîne II. En janvier 2003, une institution étatique relevant directement de la présidence de la République, en l’occurrence le Haut-Commissariat à l’amazighité (le HCA) lui consacre en même temps qu’à El-Hesnaoui un hommage appuyé durant deux journées d’études organisées à Alger. C’est dire que la part de la censure vacillant entre l’officialité et la manipulation volontariste reste encore un sujet abordée avec beaucoup de passion à chaque hommage rendu à l’éminent artiste poète. Quand saura-t-on la vérité ?
A. A.
kocilnour@yahoo.fr
7 février 2012
Chroniques