(*) L’un de ses fidèles compagnons lui avait raconté un songe dans lequel le saint de Bagdad sidi Abdelkader el-Djilani lui recommandait: «-Dis à Choaïb d’aller de ville en ville afin d’enseigner la vérité dont il était dépositaire !»
A son retour du pèlerinage il rejoignit d’abord Séville où il professa avant de se rendre à Cordoue. Puis Il finit de s’établir à Bougie «qu’il préférait à beaucoup d’autres villes, disait-il, parce qu’elle aide à la recherche de ce qui est licite et permis». Et où se regroupait, à cette époque, une brillante élite intellectuelle en même temps qu’une nombreuse population andalouse ; le cheikh espérait y trouver la solitude favorable pour permettre à l’âme de se libérer de toutes les servitudes afin de se consacrer uniquement à l’amour de Dieu. Toutefois les savants recherchaient sa compagnie pour ses enseignements, ses méthodes et ses immenses connaissances ; on assure même que des copistes l’assaillaient pour pérenniser ses sentences et ses merveilleux poèmes. Ce fut sans doute à Bedjaïa que sidi Boumedien se lia d’amitié avec l’ancêtre des Benmerzouk, Ahmed qui se mit au service du grand maître. (*)
(*) Du reste tous les descendants de cet aïeul seront gardiens, durant plusieurs générations, du tombeau de cheikh sidi Boumedien à el-Aubbad (les Dévots) et qu’ils se transmettront de père en fils cette dignité.
Nous savons également qu’Ahmed eut pour fils Abou Abdallah Mohammed ibn Ahmed, né le 27 juillet 1165, un savant légiste d’une immense réputation. Il fut admis au nombre des familiers du palais par le Sultan Abou Yacoub Youcef el-Mansour.
La renommée de Choaîb était d’autant plus grande qu’elle finissait de devenir brillante grâce aux vertus qu’Allah lui accordait. Partout où il passa le nombre de ses disciples grandissait. Dans les pages qui suivent nous reproduisons des témoignages éloquents sur les affinités spirituelles de sidi Boumedien lors des rencontres qu’il fit avec des personnages «qui réunirent en eux des enseignements initiatiques» dérivés des grandes écoles ou plus souvent encore de remarquables esprits du Tasawwuf.»
En premier lieu, dans le Tome I de ses voyages, Ibn Batouta nous raconte un évènement assez singulier vécu par le Cheikh Boumedien à Damas :
«- On raconte que le vertueux cheikh Ahmed Errifâ’y, demeurait à Om Obeïdah dans le voisinage de Ouâcith et qu’entre lui et le saint Aboumedien Choaïb, il y avait ue grande amitié et une correspondance continuelle. On Assure que chacun d’eux saluait son ami matin et soir et que l’autre lui rendait les saltations. Le cheikh Ahmed avait prés de sa zaouia des palmiers, et une certaine année en les coupant selon son habitude il laissa un régime de dattes en disant : «ceci sera pour mon frère Choaîb». Ce dernier faisait cette année-là le pèlerinage et les deux amis se retrouvèrent dans la noble station de Arafat. Le domestique de cheikh Ahmed appelé Raslân était avec son maître pendant que les deux amis avaient lié conversation et que le cheikh racontait l’histoire de la grappe de dattes, Raslân lui dit : «si tu l’ordonnes, ô mon maître je l’apporterai tout de suite à ton camarade. Avec la permission du cheikh, il partit immédiatement et apporta bientôt le régime de dattes, qu’il déposa aux pieds des deux amis.
Les gens de la Zaouia ont raconté que le soir de la journée d’Arafat ils virent un faucon gris qui s’était abattu sur le palmier, avait coupé la grappe et l’avait transporté dans les ars.
A l’Occident de Damas est un cimetière connu sous la dénomination de Tombeaux des martyrs, on y voit plusieurs tombes entre autres celle du serviteur de Dieu le pieux Raslân, surnommé le Faucon cendré !»
Ensuite nous passons au deuxième témoignage :
Sidi Abd el-Khalaq Tûnsi, disciple d’Aboumedien Choaïb déclare avoir entendu son maître parler d’un homme appelé Mûssa et-Tayyar «qui volait dans le ciel et marchait sur l’eau !» :
«- Un homme, disait le cheikh, venait au début de l’aube afin de m’interroger sur des thèmes sur lesquels les gens sollicitaient des explications.
Un jour je fus certain que mon visiteur ne pouvait être que ce Mûsa et-Tayyar. Cette nuit fut pour moi longue à l’attendre tant mon impatience était grande. A l’aube on frappa à ma porte ; la personne qui venait chaque fois m’interroger se présenta devant moi
«-Es-tu Mûsa et-Tayyar, lui demandais-je ?
«- Oui me répondit-il !»
Ensuite, il me posa sa question, reçut mon explication, puis finit de partir. Le Lendemain, il était revenu mais cette fois-ci accompagné d’un autre personnage.
«- Mon ami et moi me confia-t-il avons fait la prière du sobh à Bagdad. Aussitôt après nous avons rejoint la Mecque juste au moment où les croyants s’apprêtaient à accomplir la prière du sobh à laquelle, bien évidemment nous avons pris part. Nous sommes restés dans l’enceinte d’el-Haram ech-Charif jusqu’à la prière du Dohr. Notre devoir à peine achevé alors même que nous répétions le salut rituel, nous avons pris la direction d’el-Qûds nous nous y trouvâmes à l’instant où les gens se préparaient à la prière du Dohr. Alors, mon compagnon me demanda si on pouvait les accompagner ? Je lui répondis que non !
C’est pour cette raison que nous nous présentons devant vous vénérable maître afin de savoir pourquoi nous avons refait notre prière du sobh à la Mecque et pourquoi nous ne sommes pas autorisés à refaire celle du Dohr à el-Qûds ?
«- Sachez, leur assura sidi Abû Medien Choaïb, qu’à la Mecque se situe la Source de la Certitude (Aïn el-Yaqîn) alors qu’à Bagdad on trouve la Science de la Certitude (Ilm el- Yaqîn). Et bien évidemment la Source de la Certitude prime sur la Science de la Certitude, ce qui interdit de faire ailleurs les prières accomplies à la Mecque !»
Les deux compagnons satisfaits de ce renseignement finirent de quitter le cheikh»
On attribue au cheikh Abou Abbes el-Morsy (mort le 27 Février 1286, suppléant d’abou el-Hassan Chadily) le récit suivant :
«- Sidi Abû Medien, qui était d’une bonne taille, blond tirant sur le roux, avec des yeux bleus et doux, auquel on demanda : quelles sont les sciences que tu possèdes et quel est ton rang ? Les sciences que j’ai acquises, répondit-il sont au nombre de 71 ! Quant à mon rang, je suis le 4 ème des Lieutenants et le premier des sept Remplaçants !»
«- Dans l’une de ses conférences, sidi Boumedien fut interrogé sur l’Amour de Dieu : le premier degré de l’amour répondit-il, consiste à invoquer constamment le nom de Dieu ; le second à se rendre familier avec Celui que l’on invoque, et le troisième, qui est le plus sublime, à détacher l’attention de toutes choses et n’avoir en vue que Dieu seul.»
«Précisons à l’occasion que la fonction que revendique Ibn Arabi (nous y viendrons ultérieurement) dans la sphère de la walâya (dans la progression méthodique dans la Voie) qu’à son point de vue, le seul maître dont il dépende ne soit et ne puisse être que le Prophète !
A cet effet cheikh al-Akbar emploie le verbe âyama pour décrire sa rencontre en mode physique avec l’imâm de la droite celui-ci a entre autres charges celles d’éduquer les afrâdes et la distinguer de sa rencontre en mode subtil avec l’imâm de la gauche.
Concernant l’identité du personnage qui assumait lors de sa rencontre avec Mahieddine la fonction d’imâm de la gauche certains indices suggèrent qu’il s’agit d’Abû Madyan. En effet Ibn Arabi affirme à maintes reprises que le saint de Bougie fut l’imâm de la gauche et qu’il succéda une heure avant sa mort au pôle précédent. Cette information lui a dit-il été communiquée par Abû Yâzid el- Bîstânî lors d’une vision ; de plus, il ressort clairement du récit qu’Ibn Arabi n’a jamais rencontré cet imâm de la gauche autrement qu’en esprit. Or dans une notice de Rûh el Qûds Ibn Arabi rapporte qu’Abû Madyan lui envoya un jour le message suivant : «En ce qui concerne notre rencontre en mode subtil, c’est entendu elle aura lieu ; quant à notre rencontre corporelle en ce monde, Dieu ne la permettra pas !
L’Imâm de la gauche comble, de ses bienfaits, sur ordre divin, les créatures sans qu’elles ne s’en rendent compte.» Et Ibn Arabi d’ajouter : «Il m’a comblé en m’annonçant une bonne nouvelle Par ailleurs, il m’a interdit de m’affilier (al-intîmâ) à ceux des maîtres que je fréquentais et me dit : «Ne t’affilie qu à Dieu car aucun de tous ceux que tu as rencontré n’a autorité sur toi. Mais c’est Dieu Lui-même qui t’a pris en charge dans Sa Bonté ! Mentionnes si tu veux les vertus de ceux que tu rencontres mais ne t’affilie pas à eux ; affilies-toi à Dieu !» (*)
(*) Il ressort de ce récit que quiconque attribue de son propre chef à Choaïb Abû Madyan un prétendu engagement aux côtés de Saladin se rend coupable d’une hérésie condamnable sans absolution !
«- il avait le don d’intuition et de lecture des âmes pratiquant au plus haut degré l’abandon à la volonté divine (tawakkoul) et l’insouciance du monde, il avait réalisé aussi pleinement que possible la station où l’on sait entendre partout et comme il convient la voix de Dieu!»
«- Sa maxime devrait figurer au fronton de tous les édifices publics : c’est la corruption du peuple qui enfante le tyran et c’est à la corruption des grands qu’est due l’apparition des fauteurs de troubles !»
«-Il insistait sur la nudité spirituelle n’arrive pas à la liberté parfaite celui qui doit encore quelque chose à son âme le coeur qui refuse les désirs est en paix !»
Cheikh Abû Medien disait : «L’aspirant (el mûrid) n’est véritablement tel, que lorsqu’il trouve dans le Coran tout ce à quoi il aspire. Dieu a dit que le cœur de son serviteur croyant Le contient : c’est cette descente du Coran dans le cœur du croyant que consiste la descente divine dans le cœur !»
«- Sidi Boumedien est qualifié de Ghoûts. Le Ghoûts est le Grand Secours, le sommet de la hiérarchie des saints !»
Comme le lui avait prédit Abou Ya’zâ Sidi Boumedien épousa par la volonté d’Allah la jeune femme noire qui lui donna un bon garçon Medien prénommé Abou Mohammed Abd-el-Haqq qui vécut à lombre de son glorieux père. Il mourut au Caire où il fut inhumé dans la mosquée du cheikh Abd- el- Qadir Ed-Dechtouty au lieu dit Birkat el-Qara’ (L’étang des courges) en dehors du rempart oriental de la ville. Au-dessus de son tombeau qui est visité par les fidèles, s’élève une coupole magnifique.
( A ce moment de notre récit nous ouvrons une parenthèse : ceux qui s’étaient fait l’écho de spéculations invraisemblables sur la nature des relations du calife Abou Youssef Yacoub el-Mansour avec le grand saint sidi Boumedien Choaïb se sont couverts d’opprobre, l’histoire finira de les jeter dans l’oubli pour avoir travesti la vérité !
Qui est le roi Abou Youssef Yacoub el-Mansour ? C’est le quatrième héritier du trône d’Abdelmoumèn Benali le fondateur de la dynastie Almohade laquelle érigea le plus brillant empire maghrébin de l’Atlantique au Tripolitaine et y compris l’Espagne musulmane. Le sultan Abou Youssef Yacoub fut assurément le plus illustre des califes : il aima la culture et les arts, protégea les artistes, les savants, les soufis et les hommes de Dieu. Puissant chef militaire, il infligea de cuisantes défaites aux rois chrétiens d’Espagne ! (*)
(*) A notre avis, pour cette raison, entre autres, les historiens coloniaux (les tout venants) prompts à dénigrer notre passé et notre religion, se sont fait un devoir de colporter sur ce noble prince des ragots incroyables !)
La vérité est toute autre : vers la fin de son règne AbouYoussel Yacoub el-Mansour s’était retiré du pouvoir qu’il avait confié à sa famille. Il s’adonna à l’ascétisme et aux œuvres de piété Selon l’auteur de la Risâla Ibn Abî Mansûr Safi-Eddin, le sultan avait depuis quelques temps décidé à s’engager dans la Voie ; il consulta à ce propos une sainte femme de Marrakech, laquelle lui avait recommandé de s’adresser à sidi Boumedien. Apprenant le vœu du sultan celui-ci se serait alors exclamé : «En obéissant à mon roi, j’obéis à Dieu, Gloire à Lui !» Cependant, s’adressant aux envoyés du sultan Yacoub, Abû Medien leur dit : «Mais je n’arriverai pas jusqu’à lui, je mourrai à Tlemcen. Saluez votre maître et dites lui que c’est auprès d’Abû el-Abbes el-Merînî qu’il trouvera la guérison, conclut le savant Ibn Abî Mansûr Safi-Eddin» ( A ce sujet Ibn Arabi rapporte dans le Muhâdarât al- abrar T.II p.92 que le sultan se plia aux désirs d’abû Medien !) Abû Yacoub Yussef mourut en 1199
Le vieux patriarche avait quitté Bougie, certes fatigué et malade, mais toutefois le cœur serein et l’âme en paix. Afin de dissiper les inquiétudes de ses accompagnateurs- remplis d’égards et pleins d’attention pour leur illustre hôte, le cheikh s’ouvrit à eux, leur confiant que «sa mort était prochaine et que Dieu avait décrété qu’elle ne devait pas survenir dans cette région. Le maître ne pouvait bien évidemment se soustraire à l’arrêt divin; c’est pourquoi le Très Haut lui avait envoyé de bonnes âmes afin de le transporter au lieu où il devait mourir!»
Ils voyagèrent dans les meilleures conditions. Sous la protection et l’aide d’Allah ils finirent d’atteindre le territoire de Tlemcen. «-Comme ils arrivèrent au bord de l’Isser au sommet d’une colline dominant Aïn Taqbalet, le vieillard voyant au loin le rîbât d’el-Aubbad qu’il connaissait bien, murmura : que ce lieu est propice au sommeil ! On installa le campement; le cheikh, tourné vers la Mecque, fit la «chahada, puis on l’entendit dire; «-Allah Haqq !Allah Haqq !» Ensuite, il rendit l’âme à son Créateur. Son corps fut transporté à «mesdjid errahma» où on l’enterra aux côtés de son frère en Dieu, Sidi Abdeslam Tounsi sur la tombe duquel Sidi Boumedien Choaïb avait tant prié.. Les Tlemceniens lui firent d’émouvantes funérailles : ils s’y rendirent en foule ; la pompe fut des plus solennelles et des plus grandioses. C’est en ce jour, nous dit Ibn Khaldoun qu’eut lieu la conversion au tasawwuf du cheikh Abou Ali Omar Ibn el-Abbès es-Senhadji, plus connu sous le nom d’el-Habbak (voir «L’Histoire des Beni Abd el-wâd d’après Yahyia Ibn Khaldoun»
En ce 13 Novembre 1197, une légende populaire merveilleuse court à Tlemcen, elle raconte ceci :
«- Lorsque, comme le veut la tradition, les gens s’alignèrent derrière le corps de Sidi Boumedien afin de prier pour lui, on vit venir un homme très beau de visage et très élégamment vêtu. Cet homme s’approcha, et, après avoir prié pour le mort, il s’écria : Dieu qui a permis que les âmes prient sur les corps, soit loué ! Après quoi il se retira. Nul ne sut d’où cet homme était venu, ni où il alla. On pense que c’est l’âme de sidi Boumdien laquelle, après avoir pris la forme d’un homme, vint prier pour son propre corps.»
On le voit : celui qui est devenu le saint protecteur de la cité mille fois bénie de Tlemcen, a choisi guidé par la volonté divine «cette terre parsemée de tombeaux, d’ermitages et de qoubba, ce lieu qui invitait au repos, el- Aubbad le séjour des hommes pieux où il avait déjà vécu des moments qui le préparaient à devenir le plus grand, le Qotb, le centre du rayonnement mystique, le ghoûts le suprême recours des âmes en peine »
Sidi Boumedien Choaïb ne partit rejoindre «la demeure éternelle, qu’après avoir formé mille cheikh directeurs de conscience. Il est l’un des éducateurs les plus éminents ; d’ailleurs sa renommée dispense de le faire connaître : il s’appelait Choaïb !» (*)
(*)Dans l’ouvrage «Soufis d’Andalousie» d’Ibn Arabi, en page 112, il est dit que le cheikh Mûsâ Abû Imrân es-Sadrani, de Tlemcen est disciple d’Abû Madyan. (qu’il avait, apprend-on selon d’autres sources renoncé à succéder sur le trône de son père ) et qu’il est «d’entre les Abdal. Il fit beaucoup de choses étonnantes», parmi lesquelles celle d’entendre un serpent mythique lui expliquer ceci : «- Que sur toute la surface de la terre aucune créature n’ignore la condition d’Abû Madyan depuis qu’Allah a révélé et proclamé Son amour pour lui. Parmi toutes les choses animées ou inanimées, il nen est aucune qui ne le connaisse et ne l’aime !»
(*) Abd-el-Haqq al-Azdi de Séville (mort en 1185) qui fut kharib de bougie lors de la révolte ds Bânu Ghaniyya entretenait d’étroites relations avec Abû Madyan qui sera selon les propres termes de cheikh el-Akbar «le maître par excellence d’Ibn Arabi Sidi Boumedien a très peu écrit ; on a cependant de lui quelques œuvres poétiques, des qaçida ainsi que divers recueils de sentences dont un, l’abrégé de Tohfat el-Arib, a été publié et traduit en latin par Fr. de Dombay.
Un dernier mot pour conclure : une note figurant en page 451 «des Voyages d’Ibn Battouta T.I» précise ceci : « les descendants de sidi Boumedien Choaïb, le saint protecteur de Tlemcen, ont fondé au XIVème siècle, le waqf (fondation pieuse) Abû-Madyan le long du mur du Temple de Jérusalem, autour de la Porte des Maghrébins de la Mosquée El Aqsa, enclavant le Mur des Lamentations !»
5 février 2012
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