le 17.12.11 | 01h00
A la découverte d’une nouvelle plume «douce-amère» de ce pays complexe et fascinant.
-Vous faites partie de la nouvelle génération d’auteurs sud-africains, ceux de la période post-apartheid. Peut-on en savoir un peu plus sur vous ?
Je suis universitaire, professeur au département d’anglais à l’université de Pretoria. J’ai fait mes études à l’université de Witwatersrand, à Johannesburg en Afrique du Sud, mais j’ai également poursuivi des études supérieures à l’université d’Oxford, en Grande- Bretagne. Ma spécialité de recherche repose principalement sur les littératures sud-africaines. Mais je travaille également sur les littératures modernistes comme celle de l’écrivain britannique Edward Morgan Forster, sur lequel d’ailleurs je viens de publier un ouvrage.
-A côté de votre carrière universitaire, vous vous consacrez à l’écriture littéraire. Par quels chemins y êtes-vous parvenu ?
Figurez-vous que j’ai commencé à écrire dès mon enfance. J’étais inspiré par le monde de mon enfance dans la mesure où j’ai grandi dans une ferme. Mon père était fermier, il était agriculteur. La thématique de mes premières fictions portait donc sur mon univers immédiat, celui de la vie rurale, et sur l’enfant de la ferme que j’étais. Il faut dire qu’aujourd’hui, j’ai plutôt tendance à écrire des histoires urbaines, des histoires inscrites dans des contextes citadins. Je ne vis plus à la campagne et je n’ai plus rien à voir avec ce milieu. Ceci étant dit, je ne suis pas un écrivain très prolifique, ce que, franchement, je regrette beaucoup.
-Vous n’aurez donc aucun mal à nous citer les ouvrages littéraires que vous avez publiés ?
A ce jour, j’ai publié un roman, The Shadow Follows (2006), et deux recueils de nouvelles, The Shooting of the Christmas cows (1990) et The Mistress’s Dog (2008).
-Entre ces deux genres littéraires que vous pratiquez, soit le roman et la nouvelle, lequel des deux préférez-vous éventuellement et pour quelles raisons ?
En vérité, j’aime les deux genres. Mais j’ai plus d’expérience dans l’écriture de nouvelles. J’aime la précision et les subtilités que l’on peut développer dans ce genre particulier qu’est la nouvelle. Cependant, je dois dire que j’ai pris un grand plaisir à écrire mon roman. Je travaille d’ailleurs sur un prochain roman dont la publication est prévue pour l’année prochaine. Comme vous le savez, il faut «habiter» et il faut «être habité» longtemps par un roman avant de pouvoir passer à sa rédaction. Ce qui est sûr, c’est que, par maints aspects, le processus d’écriture d’un roman est différent de celui d’une nouvelle.
-Quels sont les thèmes qui nourrissent votre écriture, ceux qui vous attirent le plus et, notamment, du point de vue de la période post-apartheid qui marque votre contexte d’expression ?
Effectivement, les thèmes de la période post-apartheid s’inscrivent très fortement dans mon écriture. Cela se constate spécialement dans mon roman The Shadows Follows du fait que cet ouvrage s’est appuyé sur un travail de d’observateur que j’ai mené durant plusieurs années. J’y ai dépeint de nombreux cas sociaux et, de façon générale, ce qui affecte le plus la société sud-africaine aujourd’hui. Le roman possède une qualité que je qualifierai de douce-amère et qui reflète un mélange d’optimisme et d’anxiété, celle que je ressens moi-même, à l’instar de beaucoup d’autres sud-africains, je présume. Ce qui me passionne avant tout, ce sont toujours les questions relationnelles entre les gens, ainsi que les questions d’identité, la relation des Sud-Africains avec leur environnement et leurs origines. Je suis aussi interpellé par les moments de révélation, par les expériences ultimes dans la vie des gens et comment ils peuvent arriver à vivre et comprendre les conséquences de leurs choix, comme dans mon recueil de nouvelles, The Mistress’s Dog.
-Vous enseignez à l’université de Pretoria, mais je crois comprendre que vous ne résidez pas dans la capitale sud-africaine ?
En effet, j’habite à Johannesburg et je voyage donc pour aller vers mon lieu de travail… à Johannesburg. Je voyage quotidiennement entre les deux villes (ndlr : 54 km). Johannesburg est une très grande ville, très animée, très vivante… J’aime cette ville car elle dégage une grande énergie, mais elle porte aussi en elle une certaine violence, il faut l’admettre.
-Vous utilisez souvent le terme «violence» lorsque vous parlez de Johannesburg. Comment percevez-vous la vie au quotidien en Afrique du Sud aujourd’hui, de votre point de vue de Sud-Africain blanc ?
L’Afrique du Sud est un pays de changements continuels. Beaucoup de changements se sont déjà produits, tandis que d’autres sont en passe de l’être. De toute évidence, l’Afrique du Sud a laissé son passé derrière elle, et ce, de manière définitive. Cependant, il est vrai que le passé reste présent et jette une ombre sombre sur cette Afrique du Sud post-apartheid. Je dois vous dire que j’éprouve des sentiments partagés sur toutes ces questions. Ce qui est sûr, c’est que le fait d’avoir vécu et d’avoir été témoin des changements qui ont eu lieu, d’avoir assisté à la normalisation de la société sud-africaine, est quelque chose d’unique en soi. Cette superbe expérience me remplit de bonheur.
Mais il y a d’énormes problèmes qui ne trouvent pas de solutions, comme la violence, la pauvreté, l’éducation qui n’est pas encore adaptée pour les jeunes sud-africains noirs, etc. Tout cela me préoccupe beaucoup personnellement. En fait, ma position oscille entre espoir et préoccupation sérieuse. En tant que Sud-Africain blanc, je ressens très fort que j’ai un rôle à jouer dans notre nouvelle société et, ce, pour une raison très simple, c’est que la seule identité que je me connaisse, c’est mon identité sud-africaine.
-Pouvez-vous nous brossez rapidement une image de la scène littéraire sud-africaine aujourd’hui ?
Il est important d’abord de signaler qu’il existe ici une industrie particulièrement active en termes de maisons d’édition et de publications. Cependant, les ventes demeurent faibles car il n’y a pas assez d’acheteurs de livres. Il faut dire que les livres sont chers. Les achats de livres imprimés localement ne sont pas très encourageants. D’ailleurs, je fais souvent cette plaisanterie avec mes amis en leur disant : l’ironie, c’est qu’il existe plus d’écrivains que de lecteurs en Afrique du Sud !
-C’est en effet très expressif et sarcastique. Alors, est-ce que la littérature nationale est enseignée dans les universités sud-africaines ? Et, si c’est le cas, quelle est la réaction des étudiants vis-à-vis de cette littérature qui parle d’eux et de leur monde ?
Oui, bien entendu, la littérature du pays est enseignée dans les universités. Certains étudiants sont récalcitrants à son égard et ne veulent pas vraiment l’étudier, car ils pensent qu’elle est trop politique, voire même didactique. Ils ont des préjugés, c’est vrai. Mais si l’on réussit à aller au-delà de cette idée et si l’on réussit à la faire percevoir autrement, les étudiants peuvent réagir alors très positivement. On peut aussi leur montrer que toute la littérature sud-africaine peut ne pas faire référence à l’apartheid.
-Un personnage emblématique m’intéresse personnellement, car je travaille sur sa biographie, Winnie Mandela. Quelle en est votre perception ? Quel rôle joue-t-elle aujourd’hui ?
Je pense que Winnie Mandela demeure une figure forte dans le paysage social et politique sud-africain. C’est un personnage influent, mais elle est aussi un personnage controversé. Njabulo Ndebele, un de nos plus grands écrivains, a écrit un roman sur elle, qu’il a intitulé The Cry of Winnie Mandela. Ce livre décrit et montre son impact sur l’histoire récente de l’Afrique du Sud.
*Interview réalisée à Cape Town, Afrique du Sud, jeudi 8 décembre 2011.
Repère :
La littérature contemporaine sud-africaine est marquée par trois phénomènes essentiels : une production florissante de titres motivée en grande partie par le besoin de «résorber» le traumatisme de l’histoire récente, une émergence marquée des écrivains de la communauté noire (ainsi que d’autres communautés ethniques) qui était impossible ou difficile sous le joug de l’Apartheid et l’apparition d’une nouvelle générations d’écrivains blancs (afrikaners) qui réprouvent le système de l’apartheid, même s’ils ne l’ont pas toujours connu, adhèrent complètement aux préceptes d’une société «arc-en-ciel» prônée par Nelson Mandela, mais s’inquiètent des phénomènes de développement de la violence, de creusement des inégalités et de persistance des barrières, des différences et des préjugés. Aussi, ils produisent une littérature qui oscille entre l’allégresse d’un nouveau monde et la crainte d’un futur dramatique, une littérature forte d’un humour corrosif et d’une écriture moderne et inventive.
David Medalie se situe pleinement dans cette génération d’auteurs. Maître de conférences au Département d’anglais de l’université de Witwatersrand à Johannesburg, il a commencé à publier des recueils de nouvelles : The Shooting of the Christmas Cows (1990) et The Shadow Follows (2006). Il a été nominé pour le Prix Commonwealth Literary Award dans la catégorie du meilleur premier livre (région Afrique) et le Prix M-Net Literary Award. Sa nouvelle, Recognition, a obtenu en 1996 le Prix Sanlam Literary Award et le recueil The Mistress’s Dog a été lauréat en 2008 du Thomas Pringle Award de la nouvelle.
Benaouda Lebdai
© El Watan
5 février 2012
LITTERATURE