le 10.12.11 | 01h00
Il est un tableau du peintre hollandais, Johannes Vermeer (1632-1675), qui constitue, à mon humble avis, un véritable relais entre la composition musicale et la graphie littéraire.
Cette œuvre de petit format (24.5 x 21 cm), «La Dentellière», a sommeillé très longtemps quelque part en Hollande avant de réapparaître à la fin du XIXe siècle, faisant le bonheur des amateurs de grand art. On y voit une jeune fille, dans un intérieur très modeste, mais significatif au plan de l’agencement, penchée méticuleusement sur son ouvrage de dentellerie, exprimant un état d’âme apparemment banal si l’on ne s’y attarde pas un peu. Cette dentellière nous dit que le détail fait la grandeur de la vie ; c’est même la cellule vivante des œuvres d’art et d’esprit. Représentant spécifiquement l’art baroque dans l’Europe du XVIIe siècle, l’œuvre de Vermeer (au total 35 tableaux) et, tout particulièrement celle-ci, pourrait faire l’objet de différentes approches. L’une des plus intéressantes serait d’en faire le point de départ ou de chute d’une sensibilité artistique alliant le beau où qu’il se trouve, en musique et en littérature.
Je m’offre donc le prétexte pour avancer qu’il n’y a pas uniquement de la dentelle de soie, de coton ou de lin, mais qu’il existe bel et bien une manière de broder tout court, ou de faire de la dentelle, en musique ou en littérature. J’irai jusqu’à dire qu’il s’agirait là d’un mode intrinsèque à ces deux disciplines, certes non voulu, mais qui se manifeste et s’ordonne au fur et à mesure de la progression créative. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire de la littérature et de l’art. Le détail ne constituerait-il pas l’essence même de l’œuvre d’art, quelle qu’elle soit ? L’écriture symphonique n’est-elle pas un ensemble de phrases mélodiques et contrapuntiques bien structurées et agencées ? Le roman, lui, n’est-il pas une suite de phrases, de mots, voire de phonèmes et de monèmes, donc d’idées qui se profilent à l’horizon de l’humain et se rythment à merveille grâce, justement, à cette formidable dentellerie qui ferait rougir dans son boudoir Pénélope elle-même ?.
Dans ce même esprit, on ne peut s’empêcher d’évoquer le talentueux Marcel Proust (1871-1922) comme le plus grand dentellier du XXe siècle dans son roman-fleuve, A la recherche du temps perdu. A l’image de la dentellière de Vermeer, et selon le témoignage de sa gouvernante, Céleste Albaret, Proust n’a déposé son attirail que le jour de sa mort. Il en est tout autant de celui qui se mettrait devant son piano dans l’intention de déchiffrer une partition avant de l’exécuter avec virtuosité. Glenn Gould (1932-1982), le fameux pianiste canadien, nous livre un aspect de ce travail de dentelle lorsqu’il exécute les 48 préludes et fugues du «clavier bien tempéré», de J.S.Bach (1685-1750), autre summum de la musique baroque. Ce virtuose ne fait en réalité que broder et superposer les mélodies de cette œuvre monumentale qui constitue le bréviaire de tout prétendant à la virtuosité pianistique, rejoignant en cela, et d’une manière indirecte, le fin travail de Vermeer.
Affirmons, à la suite du poète Paul Valéry (1871-1945), qu’il ne s’agit que de «fins éclairs» qui s’assemblent au départ, à l’insu de tout créateur, pout nous mettre au fait de la beauté dans toute sa grandeur. La beauté est grande effectivement, et c’est à l’homme de la découvrir, même dans un espace aussi réduit que celui de la dentellière de Vermeer, du clavier bien tempéré de Bach, de l’écriture discursive de Marcel Proust et de la virtuosité pianistique de Glenn Gould.
Merzac Bagtache
© El Watan
5 février 2012
Non classé