Fabienne Le Houérou. Universitaire
le 01.02.12 | 01h00
Fabienne Le Houérou, universitaire, chercheuse, a pris le parti de raconter, de l’intérieur, la situation de la communauté copte d’Egypte, mise à mal depuis l’attentat du début de 2011, à Alexandrie. Le roman Quatre et demi, paru en ce début d’année aux éditions Encre d’Orient (Paris), nous fait ressentir la réalité du déchirement. La littérature permet ce va-et-vient nécessaire entre la réalité et la réflexion. Le roman nous prend par la main pour nous entraîner dans ce monde lointain et inconnu que l’actualité propulse dans notre salon. Fabienne Le Houérou nous en parle.
-Pourquoi vous intéressez-vous à l’Egypte ?
J’ai habité l’Egypte pendant 4 ans dans un centre de recherche en tant que chercheuse. J’avais lancé un programme sur les migrations africaines forcées. Dans ce cadre, j’ai publié trois livres, Migrants forcés en Egypte et au Soudan, en 2004, Darfour, le silence de l’araignée, en me basant sur des enquêtes scientifiques longues dans les lieux des exilés africains. C’est ainsi que j’ai travaillé à Quatre et demi, un quartier dans la grande périphérie du Caire, où cohabitaient des coptes et des exilés du Soudan.
Le 1er janvier 2011, un attentat fait de nombreuses victimes parmi les coptes. Quelques jours après, les coptes rejoignent la révolution égyptienne, place
-Tahrir. Aujourd’hui, après la victoire des islamistes aux élections, comment les coptes envisagent-ils leur existence dans ce pays ?
Les coptes ont subi un attentat meurtrier à Alexandrie alors qu’ils priaient. En pleine messe, ils ont été meurtris de plein fouet avec une violence inouïe. Ils ont conclu que le régime de Moubarak ne les protégeait plus. Cet attentat a eu un impact extrêmement important dans la détermination de la communauté copte à renverser le régime. En effet, on a dit que les salafistes avaient commis cet attentat, mais la réalité est plus complexe et plus trouble. Les coptes ont pensé que, d’une manière ou d’une autre, l’armée était impliquée. C’est la raison pour laquelle ils ont massivement participé au renversement du régime, même les plus pauvres, comme dans le quartier de «Quatre et demi» sur lequel se base le roman. Les coptes ont récemment assisté aux funérailles d’un clerc d’Al Azhar, et récemment les Frères musulmans ont pris un candidat copte contre un salafiste dans une circonscription.
Les Frères musulmans se posent comme protecteurs de la communauté copte. Les coptes sont donc l’objet de chantage entre deux grands rivaux politiques. Les coptes les plus riches ont le loisir d’émigrer, même si cela reste pour eux un choix déchirant, car ils se sentent égyptiens à 100%. Les plus pauvres savent qu’ils sont les otages des batailles électorales… Ils semblent préférer les Frères musulmans, qui n’ont jamais proféré de menaces publiques, aux salafistes. Sur le Daily-motion, un cheikh salafiste s’est récemment exprimé en déclarant : «Les coptes n’existent plus en Egypte, scientifiquement.» Des termes qui nous rappellent de mauvais moments de notre histoire.
-Le livre éclaire sur une communauté dont on parle peu lorsqu’on aborde l’Egypte, celle des Soudanais chrétiens. Est-ce pour vous une façon de nourrir un ressort littéraire, ou cette présence est-elle si importante que cela ?
En parlant des Soudanais, j’évoque une réalité que je connais pour être spécialiste de cette question. Ce sont d’ailleurs les Soudanais qui m’ont introduite dans les milieux coptes. Il y a des milliers de réfugiés soudanais au Caire. Le Caire est la capitale où il y a le plus de réfugiés urbains dans le monde. 95% de ces réfugiés viennent du grand Soudan, pays voisin, en guerre depuis 1983. Moubarak disait qu’il y avait 4 millions de réfugiés soudanais ! Un chiffre complètement faux qui a engendré un racisme anti-africain. Rappelez-vous, en décembre 2005, le régime de Moubarak avait massacré 300 Soudanais ! Ils ont été sauvagement tués sur une place où ils campaient pour manifester en faveur de leur droit d’asile. Aucun média n’a parlé de ce massacre que j’ai relaté dans un film et un article (cf Darfour le silence de l’araignée, Paris, L’Harmattan, 2009).
Les Soudanais vivaient dans le même quartier que les coptes en provenance de Haute-Egypte déplacés eux aussi. C’est une logique réelle du déplacement.
-Pourquoi avoir choisi le style romanesque pour parler de la question des coptes en Egypte ?
En réalité, la fiction vient du style et dans la manière de construire le récit. J’ai puisé dans mon expérience de chercheuse en sciences humaines. Les personnages sont réels. Je les ai rencontrés au cours de mes enquêtes et m’ont inspiré une écriture où la fiction se mélange à la réalité. C’est si difficile de parler de religion de manière scientifique : j’ai préféré la fiction. Et puis, j’avais envie d’explorer le champ poétique. La science souvent nous interdit la poésie. Or, quoi de plus vrai ? C’est la poésie des êtres qui nous fait entrouvrir une forme d’authenticité, la saveur des territoires décrits et des êtres rencontrés. La ferveur, qui tient une place importante dans le livre, ne pouvait se narrer que de manière allégorique. Cette expérience textuelle a été vraiment un voyage sur un territoire poétique.
-Vous ne faites pas que des recherches et un travail d’écriture, vous êtes aussi derrière la caméra. Pourquoi ?
La fiction vient aussi de ma manière de travailler mes enquêtes scientifiques avec une caméra. La dimension visuelle de mes textes est une réalité de ce travail à l’image que je réalise moi-même, seule avec une caméra. J’ai réalisé trois films documentaires diffusés sur différentes chaînes de télévision (Nomades et pharaons, à voir sur Daily-Motion, Voix du Darfour visible sur TV5 monde… Et bientôt sortira le film Quatre et demi).
Note :
- Les films sont visibles sur les sites dailymotion et www.imagmundi.com
- Quatre et demi de Fabienne Le Houérou, roman, Encre d’Orient, Paris janvier 2012.
Walid Mebarek
© El Watan
5 février 2012
1.POESIE