Eh bien, il ne figure nulle part pour cette rentrée. Et pour cause ? Il n’en a pas besoin après son sacre l’été dernier à Mascara. Eh oui, à Mascara et pas loin du tout de l’endroit où l’Emir Abdelkader fut proclamé « Sultan des Arabes ». Sauf qu’à défaut d’ombre d’un orme comme ce fut pour l’Emir en novembre 1832, c’est un soleil de plomb d’un mois d’août particulièrement chaud qui témoigna du bon déroulement de la cérémonie.
Entouré tel un meddah, ce troubadour de l’Algérie profonde, il ne savait où donner de la tête. Jamais, écrivain ne fut si bien entouré. Il était au milieu des personnages de son roman « L’écrivain ». Ils étaient là en chair et en os. Même ceux qu’il a omis et ceux qu’il a « sous-écrits » lui demandaient des comptes à propos de sa longue absence ? Accolades et étreintes, bourrades et bousculades ponctuées de « twahachnak », de wahch, un sentiment intraduisible dans la langue de Molière, qui ne signifie pas nostalgie et encore moins ennui et mal du pays. C’est un sentiment qui enflamme, taraude, tourmente et use les âmes. Un sentiment mêlé d’amour et de mélancolie. Un sentiment enivrant qui, souvent, est à l’origine de coups de gueule qui vous font tout balancer.
Yasmina Khadra respire, mange, dort, gueule et bouge algérien. Où qu’il soit, son esprit est ailleurs. Ailleurs, chez nous. << Je ne suis nulle part chez moi que parmi les miens, dans mon pays qui a besoin de moi, dit-il >>. En plein mois d’août à Mascara, ne manquaient plus que le commissaire Llob qui n’est pas misogyne du tout et qui existe bel et bien, et Clovis que ne gobera jamais le cadet Moulessehoul. Le Souriceau et consorts en ont fait des leurs ce jour-là. Sans limite, aucune. Tous les coups étaient permis.
On met l’accent ici et ailleurs sur que récolta l’œuvre de Khadra en Francophonistan, alors que les lecteurs éveillés attendent quelque chose de plus consistant d’une Suède où l’on joue des ficelles et du faciès. Nommé en France Chevalier de la Légion d’honneur, officier des arts et des lettres, Yasmina Khadra récoltera à tour de bras récompenses et trophées. Prix du Roman France Télévisions 2008, Meilleur livre de l’année 2008 par Lire, Prix des Lecteurs Corses en 2009, Prix des libraires, Prix Tropiques, Prix Découverte Figaro Magazine, Grand prix des lectrices Côté Femme, Prix des Lecteurs du Télégramme, Prix littéraire des Lycéens et Apprentis de Bourgogne. Prix Gabrielle d’Estrées, Prix de la Jeune critique (Autriche 2006), Meilleur Livre de l’année (Happenheim, Allemagne 2008), Prix Segalen des Lycéens d’Asie (Singapour 2009), Meilleur Livre de l’année aux Etats-Unis par le San Francisco Chronicle et le Christian Science Monitor (Etats-Unis 2005), Finaliste de l’International IMPAC Dublin Literary Award 2006, Newsweek Awards (Koweit 2005), Prix de Salon littéraire de Metz (2003), Prix des Libraires Algériens (2003), Prix Littéraire Beur FM Méditerranée, Prix de la Société des Gens de Lettres, Médaille de vermeil de l’Académie française, Prix du roman noir international (Allemagne), Trophée 813 du meilleur polar francophone, Trophée des Iles Canaries (Espagne). La conquête du Japon vient de commencer avec une tournée de l’écrivain dès ce 10 novembre à l’occasion de la sortie « là-bas chez eux » de son avant-dernier roman « Ce que le jour doit à la nuit» aux Éditions Hayakawa.
<< Croire en quelque chose : c’est d’abord ne jamais y renoncer ! >> C’est de lui. Il n’a ni pensé ni réfléchi ni rêvé ni cru ni renoncé à être traduit en hébreu, en japonais. Il est traduit en arabe aussi. Ce sont des choses qui arrivent, pardi ! C’est clair que ça va tout seul et puis c’est tout. Disons au gré des coups de plume. Etre traduit dans trente-six langues, c’est pas donné. Un tel exploit est la meilleure des récompenses après le sacre de Mascara, bien sûr. Et je m’en excuse pour ce petit de chauvinisme. Si « Morituri » et « L’attentat » viennent d’être adaptés au cinéma, le premier coup de manivelle avec Alexandre Arcady de « Ce que le jour doit à la nuit » aura lieu en janvier 2010 à El Maleh (ex-Rio Salado) dans la wilaya d’Aïn Témouchent. Et ce n’est pas notre écrivain qui lui a couru après.
Si Yasmina Khadra a du temps pour les siens et Dieu sait ce qu’il a comme « siens », c’est qu’il lui est reconnu une grande force d’esprit, et une générosité et une noblesse d’âme dignes d’une chevalerie ancrée chez les siens depuis la nuit des temps. Formé à la bonne école comme le furent des éminences tels Scipion l’Africain, Cholokhov, Soljenitsyne, Apollinaire, Clausewitz, Hérodote, Xénophon et Thucydide pour ne citer que ceux-là, et vous l’aurez coùpris qu’ils étaient tous sous l’uniforme, l’infatigable Yasmina Khadra vient de nous gratifier cette fois d’un superbe roman qui nous raconte. Il nous raconte tous. En effet, « L’Olympe des Infortunes » qui sortira le 10 janvier 2010, jour anniversaire de l’écrivain, nous propose << une escale dans l’univers des paumés ; un univers fait de tendresse et de cocasseries, de rêves invraisemblables et de possessions abusives où surgissent, parfois, de cuisantes questions sur le Mensonge et la Culpabilité. >> L’histoire se passe << dans un pays de mirages et de grande solitude où toutes les hontes sont bues comme sont tus les plus terribles secrets. >> Ce jour-là, qui sera certainement médiatisé, Moulessehoul aura 55 ans.
<< Difficile de se croire la plus belle chose qui soit arrivée à quelqu’un quand d’un claquement de doigt on se retrouve relégué au rang d’objet déclassé>>. C’est de l’écrit et ça reste gravé. Moulessehoul a compris ce qu’est donner un sens à la vie. La vie d’humain. Nous ne pouvons exiger de lui un Nobel de littérature chez une institution qui récompense plus l’homme que l’œuvre et ou la magouille a fait que Sartre lui tourna à jamais le dos par une pluvieuse journée d’octobre 1964. Yasmina Khadra venait d’endosser sa tenue d’enfant-soldat. « Un automne des chimères » que vit Sartre. Gagner les cœurs des siens est pour un enfant du pays la meilleure des récompenses. De quelque pays qu’il soit.
Les temps ont changé et l’Ecrivain s’est imposé par la force des mots bien alignés en bons voisins comme il sait le faire. A l’un de ses meilleurs lecteurs et critique qui n’a jamais rien raté depuis la gifle à Houria et qui voulait lui dédier un petit billet, il balança un câlin « Laissez-moi tranquille » qui en disait long. Les suicides moraux collectifs chez ceux qui croient façonner des opinions poussent les bouchons à fond jusqu’à toucher à ceux-là mêmes qui veulent leur relever la tête, ceux-là qui comme le dit si bien Fellag qui ne remontent pas mais creusent le fond quand ils le touchent. Non, nous ne te laisserons pas tranquille. Un Nobel de littérature, même mouillé, sinon rien ! Des flambeaux, mêmes éteints et moites, réclamés à cor et à cris nous ont bien échappés. Et puis nous avons tourné le dos, pas au flambeau, mais à Rien, dignité oblige. Des Sartre en puissance que nous sommes. Sacré Moulessehoul, sacrés Algériens !
4 février 2012
LITTERATURE