CultureJeudi, 02 Février 2012
Lettre à Kateb Yacine : quand l’Algérien algérianise son français
Même si l’école algérienne est sinistrée. Les enfants algériens ont appris le français à l’école d’indépendance plus qu’à celle de la période coloniale. Au cours de cinquante ans, cette école algérienne sinistrée a apporté à la présence de la langue française plus que ce qui lui a été donné par l’école coloniale pendant un siècle et trente-deux ans. 1962-2012, un demi-siècle après, depuis cinquante ans, les Algériennes et les Algériens vivent un mensonge linguistique, politiquement incorrect. Un mensonge linguistique qui perdure. Dans le discours polico-politicien, le français est une langue étrangère. Langue d’ennemi d’hier, pour quelques-uns il l’est même aujourd’hui. Et dans le quotidien, dans le vécu algérien, toutes les classes sociales confondues trouvent cette langue mielleuse, fascinante, rêveuse et prometteuse. à en croire les mauvaises langues, même les conseils des ministres se font dans cette langue. Loin de toute démagogie, loin de tout discours opportuniste, loin de tout nationalisme enrhumé, j’appelle à un débat culturel serein entre les élites algériennes, afin d’éclaircir le statut de cette langue étrangère. étrangère, mais vivante et grandissante. La présence de la langue française dans l’usage quotidien, dans les espaces culturels, dans l’imaginaire individuel et collectif, cette présence nous impose une autre définition du concept “étranger”. Cette situation de la langue française, particulière en Algérie populaire, politique et institutionnelle, nous interpelle en tant qu’élites afin d’apporter une réponse intellectuelle à la question suivante : “Sur le plan épistémologique, qu’est-ce qu’un étranger dans ce temps d’aujourd’hui” ? Les jeunes d’Algérie d’aujourd’hui, ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans un pays étranger, ceux qui sont nés pendant la décennie islamiste rouge, parlent le français. Leur français à eux, et avec une poétique locale extraordinaire. Ils violent la langue. Le seul viol permis, c’est celui exercé sur une langue qu’on aime jusqu’à la haine.
Lettre à mon père Hadj Si Benabdallah : Sabah el kheir (bonjour)
Dans les années soixante-dix, accompagné par mon frère aîné, et avant de sortir pour aller m’inscrire en première année du collège, mon père lui a lancé l’expression suivante : inscris-le dans une classe arabisée. Il a marqué un silence puis continue : d’après la radio nationale, l’avenir du pays sera entre les mains des arabisants. Je n’ai rien compris. Et j’ai traîné ce propos de mon père en moi. Trente ans plus tard, jusqu’au jour où j’ai lu cette expression et prophétique de Kateb Yacine et qui demeure d’actualité : “Si on est des Arabes, pourquoi veut-on nous arabiser, si on n’est pas des Arabes, pourquoi nous arabise-t-on ?” La politique saisonnière a empoisonné la cohabitation des langues en Algérie. Comme dans un théâtre, elle a partagé les langues entre les groupes sociaux. Ainsi, l’arabe s’est trouvé distribué au groupe social religieux. Dès les premières années de l’indépendance, l’imaginaire algérien a enfermé l’arabe dans une vision religieuse. Les livres de la raison, ceux d’Aboul Alaa El-Maari (973-1057) ou d’Ibn Rouchd (1126-1198) et d’autres se sont vus bannis. L’arabisé ou l’arabisant, génération en génération, s’est aperçu otage de l’idéologie du parti des Frères musulmans véhiculée par un ensemble d’enseignants coopérants égyptiens. Et cette situation, sous d’autres formes, perdure jusqu’à nos jours. Avec cette arabisation ou plutôt coranisation, l’arabe, langue des Mille et une nuits, d’Imru` al-Qais, d’El Halladj… s’est vu violé par le populisme religieux. Un combat pour libérer l’arabe de son contenu idéologique religieux est une urgence scientifique, artistique et culturelle.
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
2 février 2012
Chroniques