Tamanrasset se perche à l’embarquement comme un long périple. L’idée d’y être suscite déjà l’envie de ne plus repartir. A 2780 mètres d’altitude dans le majestueux plateau de l’Assekrem le vent glacial soufflait à petites doses sur les moines qui y vivent encore. Le père Foucauld fondateur de cette confrérie en 1905 y a élit refuge. Le givre matinal ne se différencie point de celui qui gèle l’asphalte dans les piedmonts du Nord. Une spiritualité inavouée inspire l’âme et détend les méninges cervicales. La vie, ici demeure toujours en attente de se poursuivre dans un ailleurs qui ne finit jamais. L’air s’abstient de s’identifier à ceux qui se sont font un supplice de couvrir les cieux du Nord. Il est doux et gentil. Anesthésiant les allergies, il commissionne la vitalité et la fait succéder à l’atrophie. La ville des hommes bleus n’est plus ce qu’elle fut. Un hameau paisible et empli de quiétude. Elle est devenue un ensemble d’artères laissant l’écoute aux vrombissements des moteurs mazoutés. La ville étrangle la féerie de toute la région. L’évolution sociétale à un trait identique à ce qui se passe sous d’autres horizons nationaux et vous confirme l’existence dans un esprit pur algérien.
Les chiffres avancés là ne pouvaient se contenir dans la «vasteté» du territoire. Les nuances qu’offrait le relief dans les rapports officiels que dans la tête des citadins ne semblaient pas obéir à une palette de maitre. La couleur y était ocre et rougeâtre. Alger était là pour surélever la vision de l’autochtone qui, lui n’entrevoyait dans la loi qu’une sacralisation de sa quotidienneté. C’est l’habitude séculaire qui faisait office d’un code non écrit. Les savantes interventions de spécialistes voulaient dépoussiérer un peu les plis tassés de vieilles lois en bute à l’évolution de la pratique. Le commerce dans son sens ne pouvait être une cohérence expresse de dispositions et de cahiers de charges farcis de marque de fabrique, de label ou de marques déposées. Il ne se confinait qu’en une et unique opération atavique. Le troc. Echanger une valeur contre une autre quel que soit son volume, sa morphologie ou son utilité marginale. Là, l’économie est censée se faire loin de l’arène de Zighoud Youcef ou de l’hémicycle aux mains toutes levées. Elle se pratique à l’honneur, au nif. La parole paraphe la transaction et ratifie l’accord conclu. Le meilleur tribunal en cas de conflit n’a pas d’infrastructures judiciaires. Une tente, un regroupement une tasse de thé ; la résolution est vite trouvée.
La douane ne doit plus exprimer l’icône d’une barrière. Elle célèbre sa journée internationale dans une statistique dénombrée favorisant l’ouverture et cédant le pas à la fluidité des flux et des reflux. La frontière définie longtemps comme domicile principal de prédilection pour ces institutions étatiques, a connu au fil de la mutation humaine de nouvelles définitions. Du démantèlement des clôtures et débroussaillement des mentalités, l’armée des gapians et des gabelous en a fait une virginité. La frontière n’est plus un mur ni une nationalité. Elle est certes «un tracé physique, délimité et bien borné» qui estampille la souveraineté territoriale d’un Etat, sans qu’elle ne soit bornée à l’émeri. Les plus lourdes bordures subsistent dans les écritures légales. Elle devait, cette frontière se contenir dans un accord et dans la chaleur d’une main à serrer de part et d’autre. Ainsi le besoin universel de transcender le contrôle négatif en une amitié commerciale saine et utile, allait se faire dans l’échange et la mutualité. Des experts venus de la métropole tentaient de dénouer l’écheveau du maquis réglementaire forcé à s’absoudre dans une pratique que seule l’histoire en sait déboucler. Le troc dans la région est comme une réunion de famille. La douane en organisant un tel regroupement l’aurait bien compris. Le souk aux milles marchandises étalées donnait la force sensationnelle de se transposer par enchantement dans l’une des scènes d’un Baghdâd évaporé ou d’un Nadjaf disparu. La sobriété des marchands laissait entrevoir une convivialité qui ne peut se sceller qu’avec la prise d’un verre de thé pourtant made in china. Les épices, les ingrédients exotiques fusionnaient en leurs couleurs disparates avec le vif éclat des étoffes et tissus bariolés. Les animaux vivants, les viandes séchées, les rameaux d’ail et de piments rouges peignaient avec beaucoup d’ardeur l’espace de l’offre et de la demande. Dans le marché on y gouttait la vie tout en étant à pied. Radieux, l’homme de Tamanrasset et son voisin de négoce démontrent aux badauds plus qu’aux clients occasionnels l’art d’un marketing original. Le sourire et l’amabilité. L’hostilité nordique est vite écrasée par ce sens humain. La loi nationale devait tenir compte, affirmaient les séminaristes de cette manifestation pérenne dans son originalité.
L’Algérie avec ses milliers de périmètres garde toutes ses barrières dans son plan de modernisation, qui fait de la surveillance, non pas une entrave mais une assistance. Ses quantièmes, son CNIS, ses logiques sont moulés à la forme universelle. Pour preuve, l’Organisation Mondiale des Douanes a retenu Alger pour faire une conférence de recherche le 5 et 6 mars 2012 sur les usages de la quantification dans les administrations fiscales et douanières des pays en développement et émergents «La quantification est avancée comme une solution appropriée pour réguler les rapports des fonctionnaires en interne et avec l’extérieur de leur administration. Qu’il s’agisse d’atteindre un niveau optimal de recettes, d’améliorer l’efficacité des contrôles, de renforcer l’autorité politique et le contrôle hiérarchique interne, d’améliorer le rapport aux différents types d’usagers, la quantification est perçue comme une technique administrative vecteur d’objectivité».
Ces administrations perdurent à recadrer leurs missions classiques de détroit filtrant toute transaction accomplie ou à accomplir dans l’acte du mouvement international en une harmonie de passage et de traitement. Les Douanes ne constituent plus une particule du reste du monde. Dans la conjoncture mondiale actuelle régie par la puissance économique le seul desideratum de l’Etat n’arrive plus à profiler à lui seul le rôle que doit avoir sa douane nationale. L’institution douanière dans un Etat continue à être outre l’instrument régulateur qu’il fut, mais un élément fédérateur de toutes les politiques de commerce transnationales. Ainsi les douanes pourraient dans un proche avenir s’apparenter à des organismes dépourvus à degré nommé de préséances locales. Elles agiront pour le bien collectif international. Une espèce d’ONG étatique ( ?) autrement dit les «sociétés de surveillance» en cours d’usage ou d’élaboration vont voir leurs statuts raffermis dans le sens d’une stricte prise en charge de l’intérêt purement économique que national dans son sens grégaire et souverain. Ceci est conforme au concept néoconservateur qui fait prendre le politique par la seule laisse économique. Les Etats sont maintenant ainsi régentés. Les révolutions aussi.
Le douanier d’In Guezzam est un poète, un charmeur de dunes. A Tébessa il tend à faire jeûner les goinfres appâts du bon cheptel, comme à Tlemcen il aspire à éponger par son museau nu l’odeur du fuel et du gas-oil. Dans la plénitude cosmique, il scrute l’horizon pour un lendemain serein et rassuré. Du contrôle coercitif au contrôle orientatif, de la douane-saisie à la douane-conseil, le pays aux sept frontières s’est déjà câblé dans cette connectivité interplanétaire pour avoir fait de l’excellence douanière une thématique de recherche scientifique. Le Secrétaire général de l’OMD, M. Kunio Mikuriya, disait que « La connectivité englobe les liens interpersonnels et institutionnels ainsi que les passerelles d’informations». Le troc exercé à Tamanrasset illustre à merveille ce lien de connectivité. Le gars d’ici n’a rien à voir avec le virtuel informatique qui se dessine dans le building du siège de Bruxelles, qui à des milliers de kilomètres sait que quelque part dans le désert, au grand Sahara, dans les dunes dorées les liens ne sont qu’interpersonnels. Pour le lui le système harmonisé est un bon voisinage. Une bonne et loyale transaction.
Dans le verbe de Bouderbala toujours vif « la rupture épistémologique» signifiait au sens de cette connectivité ; «la découverte de nouvelles pistes d’action pour un service qui ne doit être ni méchant, ni affreux. Tout juste vigilant, doux et raffiné. L’attentif et l’art d’agir devaient suppléer l’empirisme et la laideur». Du coup des vents promotionnels de fraicheur sont venus s’incruster dans les rangs pour faire retrancher vers le nul les vieilles actions rabougries. Si l’adolescence a ainsi vaincu le mauvais pli, le téléchargement du savoir nécessite une masse de temps. Le troc chez Bouderbala dépasse la notion fugace d’un simple acte d’import-export, il constitue «un mécanisme de rapprochement».
Ainsi le patron des douanes vient à placer justement son institution comme un ligament adhésif et non comme un organe séparateur. Telle est la philosophie que dégage synoptiquement le slogan de l’OMD. En présidant ce séminaire dédié au commerce du troc, commémorant par ce fait la journée mondiale des douanes, le directeur général insistait sur le devoir de démêler le cafouillis réglementaire dans le quel semblent baigner toutes les formules de ce commerce. Des foires locales aux diverses manifestations périodiques ; la distinction doit avoir lieu. La révision et la réactualisation des textes vont s’articuler autour du bien et du mal. Le contrôle aura l’apanage d’un attirail attractif et non simplement imbu de contrainte. «Le fait de convenir au cadrage du troc ne coupe pas l’harmonie ancestrale établie entre les populations» dira Bouderbala obnubilant par ses roulades sémantiques. De nature vivrière, ce commerce de compensation est appelé à s’accroitre dans des dimensions hautement marchandes. «La douane doit l’accompagner lorsqu’il est transfrontalier» a-t-il en outre rassuré.
La douane en ce temps bimillénaire, ne consiste plus une herse sur une chaussée ou une banquette devant un tarmac. Le temps recommande pour elle de mener à l’unisson un rêve collectif : franchir les frontières affranchies avec franchise et en franchise régulée des droits et taxes. Car à la faveur des réseaux sociaux qui méconnaissent les frontières ; de nouveaux types de troc viennent de naitre. Le swap, les après-midi du troc dans certaines localités, les trocs aux plantes organisés par certaines communes en Europe promettent un avenir sans gabelle.
2 février 2012
Chroniques