Publié le Jeudi, 19 Janvier 2012 10:11- Écrit par Mussa Acherchour
En 1993, une aventure surréaliste mena la célèbre romancière française, Françoise Sagan (1934-2004), à s’embrouiller dans les dédales d’une grosse affaire d’argent où ses liaisons connues avec le président Mitterand ont été encore une fois au centre de toutes les péripéties.
Elle a cependant l’air d’en assumer tous les aboutissants. «Je me demande ce que le passé nous réserve», écrivait-elle dans l’un de ses romans, paru en 1991 : Les faux-fuyants. Ses rapports privilégiés de longue date avec François Mitterand devaient-ils, pour autant, lui donner le sentiment d’être impunie et de le rester plus longtemps ?
La romancière avait été sollicitée par un homme d’affaire pour user de son influence auprès du président français et permettre la négociation d’un contrat d’exploration pétrolière du groupe Elf en Ouzbékistan. Les commissions promises suscitent la polémique et intéressent la justice.
La soixantaine passée, celle que François Mauriac appelait «le charmant petit monstre» n’en finit pas de surprendre. Elle ne montre pas trop de soucis d’être mêlée à une intrigue «indigne d’elle» selon l’expression du commentaire du journal, elle qui dit n’avoir jamais rien compris aux questions financières.
Tout commence pour elle lorsqu’une enquête des impôts découvrit un versement de 4 millions de francs, ordonné sur son compte en 1994 par un homme d’affaire français qu’elle avait connu lors d’une rencontre à laquelle assistait son ami François Mitterand. En voulant négocier l’entrée du groupe Elf en Ouzbékistan, «jeune Etat d’Asie centrale dont le sol regorge de richesses», l’homme d’affaire en question s’impatientait d’obtenir le feu vert du Quai d’Orsay. «Il s’est dit alors qu’une petite introduction, raconte l’écrivain, à l’Elysée suffirait pour que la France puisse mettre la main sur ces trésors». En d’autre terme, elle pourrait jouer les messagers.
Elle avoue avoir, dès le départ, accepté de percevoir en contrepartie sa part des commissions, mais payée par le gouvernement ouzbek. Si elle a mis les pieds dans une mare aux crocodiles, «c’est plus par goût du danger», estime l’auteur de l’enquête. L’écrivain entame alors les premières démarches auprès de son ami le président. Et elle réussit à arracher le feu vert pour le groupe pétrolier français de se rendre à Tachkent. Ce dernier finira par obtenir le permis d’exploration quelques mois plus tard.
Lorsqu’un ministre du pays asiatique, en visite à Paris, se désespère d’obtenir une audience, Sagan intervient de nouveau en écrivant au chef de l’Etat : «Repartir sans vous voir correspondrait à une humiliation, peut-être même à une rupture de ce superbe contrat. (…) J’ignore si vous êtes au courant, et à tout hasard, je prends le risque de vous déranger. » Le ministre sera reçu à l’Elysée.
Pendant ce temps, l’homme d’affaires, philanthrope malgré lui, se proposait de l’aider financièrement.
En évoquant une fois devant le président l’affaire en suspens, celui-ci l’interrompt : «Françoise, je vous aime bien en espiègle Lili, mais pas en Mata-Hari ». Un autre confident, qui était présent ce jour-là, affirme avoir entendu le chef de l’Etat signifier qu’il tolérait le fait que «Françoise» allât percevoir sa part du gâteau pour tout ce qu’elle aurait consenti pour faire aboutir le marché. Ses partenaires iront même jusqu’à menacer le patron du groupe la veille de son départ, à l’arrivée de la droite au gouvernement. Sagan lui écrit : «J’espère que tu ne penses pas te soustraire à tes obligations. »
Les choses commencent alors à se gâter pour l’auteur de Bonjour tristesse. Dans une autre missive adressée au président ouzbek en personne, elle se montre plus formelle : «M. Guelfi, (l’homme d’affaire, ndlr ) m’avait promis que mes différentes démarches seraient récompensées par vos soins et par son intermédiaire aussi bien matériellement que moralement. » La démarche est restée infructueuse.
«Un soir, raconte-t-elle, j’ai dîné avec Mitterand. Un peu confuse, je lui ai dit : “je ne suis plus très sûr qu’il y ait du pétrole là-bas”.» Vous savez ce qu’il m’a dit ? : “Chère Françoise, vous ne croyez tout de même pas que je comptais sur vous pour approvisionner la France en pétrole ! » Moralité: on ne compte pas sur les écrivains, fussent-ils des plus clairvoyants, pour gérer les affaires sérieuses de l’Etat.
La femme de lettres française, pour ce qui la concerne, trouve aujourd’hui sa consolation dans le plaisir de se remémorer tout cela et d’en faire sa petite histoire. Pour son prochain roman sans doute.
Son histoire avec Mitterand
L’attrait qu’exercent les hommes du pouvoir sur les hommes et femmes de lettres, et vice versa, a de tout temps défrayé la chronique. Les médias contemporains et la critique s’y sont intéressé de plus prés. La moindre anecdote y est répercutée. Evidemment, la tâche devient plus facile quand les uns et les autres s’y prêtent sans hypocrisie. Ce qui est le cas d’un certain nombre d’histoires dont celle ayant lié Françoise Sagan à François Mitterand durant 25 ans.
Ce dernier, amoureux déclaré de la littérature, aimait s’offrir des privautés avec des auteurs (davantage avec des «auteures», comme l’écriraient les pionniers de l’antiféminisme français du siècle dernier) relativement libertaires. Cela lui a bien réussi, d’autant qu’en terme de projets culturels, son pays, la France, en aura été richement gratifié à son époque.
Sagan s’en souviendra aussi longtemps que persisteront toutes les polémiques qu’elle ne cesse de susciter, souvent à son corps défendant.
Toute la France l’a appris en 1986, lorsque l’écrivain faillit succomber à un malaise cardiaque pendant son séjour à Bogota, où elle faisait partie la délégation qui accompagnait le président. Suite à quoi elle est sur-le-champ transférée à bord d’un Mystère 5 présidentiel vers un hôpital parisien. Là, elle reçut la visite des centaines d’anonymes venus lui exprimer toute leur émotion et leur admiration. Pendant sa lutte contre la mort qui dura 15 jours, Mitterand était à ses côtés, suspendant toutes ses activités officielles… Au même moment, un scandale éclatait au grand jour, laissant la classe politique française dans tous ses états. Il s’agissait d’une affaire suspecte de vente d’arme. Dés son rétablissement, l’auteur de La laisse se met à défendre farouchement son ami le président, clamant haut son innocence. Elle le décrit comme le plus honnête, le plus propre, et à l’occasion le plus tolérant de tous les hommes politiques français. Cela ne l’empêchait guère néanmoins de «ne penser qu’à son prochain roman. »
L’œuvre de Sagan
Elle connut le succès à l’âge de dix-neuf ans en 1954 avec son premier roman, Bonjour tristesse, pour lequel elle reçut le prix des Critiques. Son univers romanesque est resté le même dans presque tous ces autres romans : la noblesse parisienne faussement intellectuelle dont les membres mènent une vie superficielle et «errent à la recherche d’une réalité plus convaincante que le monde où eux même évoluent –Paris, Saint-Germain-des-Prés, les musées, les salons, la Côte d’Azur, le whisky et l’insupportable légèreté des sentiments. »
Avec son style simple et pénétrant, ses descriptions sobres et ses personnages facilement repérables, Sagan a pu s’imposer sans difficulté et gagner l’intérêt d’un large public qui lui est resté fidèle.
Parmi les ouvrages qui l’ont rendue célèbre, citons : Dans un mois dans un an (1957), La Chamade (1965), Le lit défait (1977), De guerre lasse (1985), La laisse (1989).
Au théâtre, elle s’est consacrée à la comédie des mœurs pour y monter, comme dans ses romans, les problèmes sentimentaux d’une société de privilégiés désabusés. Françoise Sagan a également publié une biographie de Sarah Bernhardt en 1987.
Mussa Acherchour
2 février 2012
LITTERATURE