Par système historique, il faut entendre avant tout, la conception générale, explicite ou implicite au-travers de laquelle l’historien ou le chroniqueur voit les évènements se dérouler et leur donne un sens, une interprétation globale.
Une certaine manière de comprendre la société et de se la présenter existe toujours dans l’opinion générale de ses contemporains qui le lisent et le comprennent. Non pas que l’idée que nous devons avoir de telle ou telle société à une époque donnée, doive se calquer exactement sur ce qu’ont pensé les générations qui y ont vécu, mais plutôt, l’opinion de ces dernières est pour nous une indication précieuse pour saisir, à travers les idées et les conceptions d’un âge, le niveau atteint à cet âge par le développement de la société et de la civilisation.
C’est ainsi qu’au travers des idées que se faisaient des auteurs comme IBN KHALDOUN de la société de leur temps, nous saisissons que la fusion des éléments Berbères et Arabes n’étaient pas achevées au Moyen Age. Autre exemple, les historiens du des XIIIème et XIVème siècles ont souvent représenté les guerres entre Etats centralisés et tribus nomades comme des guerres de puissance à puissance.
Pour eux par conséquent, les forces des émirs nomades étaient de nature à contrecarrer des formations étatiques déjà anciennes et plus différentes ; nous en déduisons que le glissement vers le partage de l’autorité et des bénéfices y attachés c’est-à-dire vers le féodalisme l’emportait sur la centralisation monarchique issue de la première conquête arabe.
Il y a ainsi à considérer chez un historien non seulement la contribution apportée à la connaissance des faits eux-mêmes (leur dates, leur relations directes de cause à effet) mais aussi l’architecture générale de l’œuvre son côté apologétique, l’anathème qu’elle jette ou la louange qu’elle élève, la démonstration qu’elle prétend faire ; tous ces aspects sont révélateurs de conceptions et des mentalités d’une époque, et donc des rapports sociaux réels.
L’étude des systèmes historiques en tant que tels est donc indispensable, d’abord et premièrement parce que ces systèmes reflètent les étapes du développement historique, deuxièmement parce qu’il y a une dialectique propre à la science historique elle-même, tout système d’idées et de conceptions étant en liaison étroite avec les précédents systèmes. Principalement pour nous, aujourd’hui, il n’est pas question d’ignorer ce qui a été écrit et pensé jusque-là su l’Histoire de l’Algérie.
Les systèmes antérieurs ont dégagé plusieurs notions maîtresses : fusions progressives des divers éléments qui composent le peuplement algérien, fréquence des conquêtes étrangères, dualité entre nomades et sédentaires, entre ville et campagne, profondeur du phénomène de lislamisation et d’arabisation et enfin, importance de l’influence française et européenne en général.
A côté de ces notions qui expriment une large part de vérité s’en trouvent d’autres plus contestables, surtout dans la signification qu’on a voulu leur donner ; c’est la division de l’histoire nationales en période dites : romaine, arabe, turque, française comme s’il ne fallait voir dans l’histoire de l’Algérie que l’aspect contact avec les autres peuples et influences de l’extérieur.
Deux caractéristiques essentielles se laissent discerner dans les diverses manières dont on a conçu, jusqu’ici, l’histoire de l’Algérie : la première est qu’on a trop souvent ramené cette histoire à une suite ininterrompue de conquêtes et de dominations étrangères, la seconde c’est l’occultation de son originalité par rapport à l’histoire de l’Afrique du Nord.
Sur le premier point, c’est un fait que tour à tour, romains, grecs, vandales, arabes, turcs, français se sont succédé. En effet, l’Afrique du Nord a fait l’objet de convoitise, les peuples qui l’ont environnée y ont vu une terre de conquête, une terre de barbares hérétiques à réduire, coloniser et convertir. Cette situation absolument historique explique la diversité d’origine des historiens aux points de vue étrangers qui ont eu à nous rendre compte de notre passé.
La seconde caractéristique réside dans le fait que l’Histoire de l’Algérie a été englobée dans l’histoire générale de l’Afrique du Nord. Rares sont les ouvrages qui traitent de l’Histoire de l’Algérie en particulier. Le nationalisme et le panislamisme ont joué même un rôle dans la consolidation de cette tendance. C’est que le nationalisme a cherché ses assises idéologiques dans des concepts qui devaient être suffisamment larges et populaires. L’Histoire de l’Algérie, presque oubliée dans les mémoires encore mal connue des dirigeants et des cadres eux-mêmes, n’offrait pas encore ces concepts. Par contre, étaient familiers aux peuples dominés les idées de fraternité et de destin commun face au joug colonial.
Enveloppée dans l’Histoire générale de l’Afrique du Nord, notre Histoire Nationale n’a donc pu voir de bonne heure se dégager ses propres lignes. Pourtant, l’Histoire de l’Afrique du Nord n’est que l’histoire d’un ensemble multinational, comme qui dirait l’histoire de l’Europe ou du bassin méditerranéen. L’histoire des ensembles et, de proche en proche, l’histoire universelle sont absolument libre utiles et rendent compte de certaines lois et de certains enseignements, mais ni l’une, ni l’autre ne peuvent remplacer l’histoire nationale qui demeure pour un peuple l’instrument le meilleur pour prendre conscience de ce qu’il est et de ce qu’il veut.
L’Histoire universelle ne vient qu’après et sur la base des histoires particulières aux peuples qui composent l’humanité entière. C’est d’abord l’Histoire Nationale qui permet aux groupements humains de restituer aux évènements les dimensions et la signification les plus adéquates à leur être et à leur besoins.
Ainsi, au XIIème siècle, la montée de l’empire Almohade domine l’histoire de l’Afrique du Nord, mais en Algérie et en Tunisie, ce qui était essentiel, c’était en réalité, sous le couvert de la lointaine autorité de Marrakech, la lente diffusion et l’installation des tribus Hilaliennes qui modifiaient profondément l’organisation politique et la structure de la société. De même, pour citer un autre exemple, les rivalités entre Bougie et Kairouan pour la possession de Constantine sous les Zirides et Hammadites au Xème et XIème Siècle, les rivalités entre Mérinides, Abdel Wadides et Hafcides au XIVème et XVème siècle apparaissaient essentiellement aux yeux des historiens de l’Afrique du Nord comme étant une conséquence de la division du pays, alors qu’en réalité elles ont beaucoup plus l’indice que des déterminations historiques et économiques poussaient déjà à la formation de nationalités différentes. Or ce point de vue, beaucoup plus riche et beaucoup plus significatif, n’est mis en lumière que si les évènements sont considérés sous l’angle national.
Il importe donc de noter que si les systèmes historiques ont eu généralement en vue l’histoire de l’ensemble nord-africain, il convient maintenant de dépasser cette façon de voir ; non que nos voisins de l’Est et de l’Ouest ne méritent ni considération ni estime, mais seulement parce que le niveau atteint par notre développement national et notre conscience révolutionnaire exige ici un particularisme qui, loin d’être un chauvinisme ou un patriotisme étroit, permet au contraire d’atteindre un certain degré d’authenticité émanant de la fibre nationale.
En conclusion, les systèmes historiques antérieurs ont leurs insuffisances à côté de leur valeur. L’enseignement à retenir c’est que notre Histoire ne doit pas verser dans le cosmopolitisme et l’oubli du particularisme national, elle ne doit nullement être réduite à l’histoire des conquêtes et de leurs conséquences directes.
2 février 2012
Contributions