Chronique du jour : A FONDS PERDUS
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Les journalistes en herbe sont désormais avertis : les dispositions de la loi française du 29 juillet 1881 relatives aux abus de la liberté d’expression ne s’appliquent pas seulement aux médias traditionnels, notamment la presse écrite, mais également à un blog. Ainsi en a décidé la plus haute juridiction française, la Cour de cassation à laquelle l’évolution du droit algérien n’est pas insensible.
Loin de là. Aux termes d’une récente décision, elle a retenu que l’applicabilité de la loi du 29 juillet 1881 en matière d’abus de la liberté d’expression ne suppose pas que les faits dénoncés soient constitutifs d’une infraction de presse, mais seulement qu’ils soient susceptibles de l’être, consacrant ainsi la primauté de cette loi (du 29 juillet 1881) sur l’article 1382 du code civil en matière de presse, lorsque les termes dénoncés sur un blog sont diffamatoires ou injurieux. Le délit en question, la diffamation consiste juridiquement à imputer des faits susceptibles de nuire à l’honneur ou à la considération d’une personne déterminée, nommément désignée ou clairement identifiable. En l’espèce, l’auteur du blog cherchait à discréditer une personnalité politique auprès des électeurs. Cette entreprise reposait «sur une présentation générale le tournant en ridicule à travers le prisme caricatural d’une vision orientée et partiale de sa politique locale ou de sa personnalité». Pour la Cour de cassation, le fait pour une personne de reprocher à une autre de l’avoir dénigrée sur son blog internet, et dans des termes de nature à lui causer un préjudice, peut assigner cette personne en paiement de dommages-intérêts, fermeture du blog litigieux et publication de la décision sur le fondement de l’abus de la liberté d’expression, réprimé par la loi du 29 juillet 1881. En conséquence, le dénigrement sur internet ne peut être sanctionné, au titre de l’abus de la liberté d’expression, que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881. Outre les blogs, les réseaux sociaux n’échappent également pas à la surveillance du juge français qui vient de condamner un salarié pour «injure publique» sur Facebook. L’affaire remonte à novembre 2010 lorsqu’une batterie de propos insultants et vulgaires sont postés sur le profil Facebook CGT-FAPT Webhelp à la suite du suicide d’une salariée : «Journée de merde, temps de merde, boulot de merde, boîte de merde, chefs de merde». Il s’agit d’un profil public animé par plusieurs salariés de l’entreprise, mais les propos ont été attribués à un représentant des travailleurs, délégué syndical CGT. «Les expressions incriminées excèdent les limites de la critique admissible, y compris lorsqu’elle s’exerce dans un cadre syndical», ont estimé les juges. Le tribunal correctionnel de Paris l’a condamné à payer 500 euros d’amende et 1 euro de dommage et intérêts à chacune des parties civiles. Voilà qui n’autorise pas tout le monde à écrire n’importe quoi, encore moins à s‘ériger en journaliste. Un statut professionnel incompatible avec une autre activité rémunérée, comme vient de la décider la cour de cassation française(***). En l’espèce, il s’agit d’une avocate qui a été chargée, pendant plus de 6 ans, de l’animation de la rubrique juridique d’un magazine. L’intéressée livrait hebdomadairement un article de fond, à caractère juridique, publié sous sa signature, ce contre quoi elle était rémunérée sous forme d’honoraires, sur facture et sans que lui soient remis des bulletins de salaire. Se fondant sur la durée de sa collaboration, elle intente une action en requalification de celle-ci en contrat de travail. Elle réclame, par la même occasion, que certaines sommes lui soient allouées. Son action trouve un écho favorable auprès de la juridiction prud’homale. Le Conseil de prud’hommes de Paris qui a accueilli ces demandes est déclaré incompétent par la cour d’appel de la même circonscription. La revue éditrice a fait valoir que la collaboration de l’avocate avait lieu dans le cadre d’un système de piges rémunérées sous forme d’honoraires, et qu’une relation professionnelle sous forme de contrat de travail était exclue. Saisie d’un pourvoi, la cour de cassation a, le 7 décembre dernier, confirmé la décision des juges du fond, après avoir réitéré que le statut de journaliste professionnel est réservé à «toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources». Elle ajoute que «sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle». Il s’ensuit que la qualité de journaliste professionnel est strictement réservée à celui qui réunit deux conditions indispensables :
- il apporte à l’entreprise de presse une collaboration constante et régulière ;
- il en tire l’essentiel de ses ressources.
La demanderesse, par ailleurs avocate, apporte certes une collaboration constante et régulière, mais elle ne tire pas de cette collaboration l’essentiel de ses ressources. Elle ne peut alors prétendre au statut de journaliste professionnel et au bénéfice de la présomption de salariat prévue dans le code du travail. La presse semble résolue à se prémunir de l’hégémonie de ses collaborateurs occasionnels avec lesquels elle n’a, d’ailleurs, pas toujours entretenu les meilleures relations. Pierre Bourdieu avouait sa «joie d’être attaqué souvent assez violemment par tous les grands journalistes français. Parce que, rétorquait-il aussi violemment, ces gens qui se croient des sujets n’ont pas supporté de découvrir qu’ils étaient des marionnettes». De là à ce que la Sécu s’en mêle, Bourdieu n’espérait pas tant.
A. B.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/01/31/article.php?sid=129619&cid=8
(*) Arrêt de la cour de cassation, Chambre civile, rendu le 6/10/2011, cassation sans renvoi.
(**) ZDNet.fr, mercredi 18 janvier 2012.
(***) Arrêt de la cour de cassation, Chambre sociale, rendu le 7/12/2011, rejet.
31 janvier 2012
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