hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Pratiquement confinée dans un silence contraint, après une décennie ponctuée de multiples erreurs d’aiguillage, l’UGTA est-elle encore en mesure de se prévaloir des anciennes conquêtes syndicales dont on sait, aujourd’hui, qu’elles furent toutes laminées ? Sans le moindre doute il est désormais difficile à Sidi Saïd ainsi qu’à ceux qui, chaque fois, lui ont renouvelé le blanc seing de son «élection», de prétendre à la qualité d’héritiers et de continuateurs du travail accompli par le prédécesseur. Même s’il est exact que l’action syndicale est, elle aussi, soumise aux réalités des contextes, voire à la nécessité d’adapter son arsenal de combat aux nécessités du moment, il n’en demeure pas moins qu’elle ne doit jamais brader les fondamentaux à l’origine de sa raison… sociale, dirons-nous !
Or, c’était précisément sur la nature même du projet syndical et de sa finalité que s’étaient bâties la trajectoire d’abord puis l’histoire personnelle d’un certain Abdelhak Benhamouda dont la commémoration de son assassinat doit avoir lieu ce samedi 28 janvier. Il importe, évidemment, peu que ce 15e anniversaire fasse ou pas l’objet de quelques recueillements vains et convenus. Car l’essentiel de son évocation consiste à remettre dans la perspective historique l’empreinte qu’il avait laissée dans les esprits attentifs aux questions syndicales sauf, paradoxalement, chez ceux qui lui succédèrent ! Il y a 5 années, jour pour jour, le défunt M. S. Mentouri, ancien ministre et ex-président du Cnes, donnait une conférence-témoignage sur ce syndicaliste que fut Benhamouda. Il considérait cette personnalité hors du commun» comme le rénovateur indiscutable du syndicalisme algérien grâce à «sa persévérance à le soustraire de l’humiliante allégeance et du statut de subordination auxquels il était jusque-là astreint»(1). Cette appréciation, que d’ailleurs d’anciens militants de l’UGTA admettent, a fini par le désigner comme l’homme de la grande rupture après un quart de siècle (1965-1990) de glacis et de caporalisation de ses dirigeants. S’attaquant, dès sa première élection (1990), aux appétits hégémoniques du pouvoir politique, il s’opposa à celui-ci en lui imposant le devoir d’écouter les contradicteurs. Un bras de fer auquel le régime n’était pas, jusque-là, habitué et dont l’UGTA sortira vainqueur. C’est ainsi qu’il parvint à rendre incontournable la négociation avec la «centrale » avant toute prise de décision. Dès lors, le syndicat devint un acteur décisif et même un frein aux stratèges technocrates qui ignorent les dimensions sociales et humaines du monde du travail. Mentouri illustre ce trait de caractère qui souligne sa détermination de la façon suivante : «J’ai été frappé, écrit-il, par son solide bon sens qui le dispensait d’argumentaires laborieux plus ou moins risqués. Au cours d’une réunion gouvernement- secrétariat national de l’UGTA, concernant la délicate question de la privatisation, il a eu, dans son style dépouillé, concis et non moins percutant cette réplique : “Si une entreprise est déficitaire qui voudra l’acheter ? Si elle est bénéficiaire, pourquoi la vendre”» ?(1). Dans le même ordre de ses hauts faits d’arme, il montra également du courage politique en s’opposant publiquement et violemment au binôme Zeroual-Ouyahia lorsqu’ils optèrent pour la ponction sur les salaires qu’il qualifia de sordide et honteuse. Selon toujours le témoignage de Mentouri, il avait à ce moment-là couru «le risque de disloquer un front fraîchement édifié avec le nouveau président de la République de l’époque»(1). L’hypothèse d’un second tournant daterait de cet épisode. Jamais vérifiée avec certitude, à travers celle-ci on lui avait prêté l’intention de s’investir plus en avant dans le jeu et les responsabilités politiques afin de mieux peser sur le véritable pouvoir d’Etat. Pourtant, il ne lui manquait pas de raisons objectives pour envisager cet autre engagement sans qu’on le soupçonnât d’ambitions personnelles. Car il avait fait le constat amer que, dans un pays profondément fracturé économiquement, se cloîtrer dans le pré-carré des questions sociales n’avait plus de sens. L’exemple de la menace par la grève générale dans un pays, à l’arrêt déjà, n’est plus un mode opératoire. En fait, à la croisée des chemins, il posait tout en se la posant à lui-même la question doctrinale suivante : dès lors qu’un syndicat majeur s’est émancipé des tutelles politiques, comment doit-il se déterminer vis-à-vis de la compétition par le suffrage et pourquoi veut-on solliciter son soutien ? Déjà en 1995, il aborda ce thème devant les cadres syndicaux au moment des candidatures aux présidentielles. «(…) Qui parmi ceux que l’on annonce représenterait le mieux les travailleurs et assumerait leurs droits ?», leur demanda- t-il. C’était donc l’idée d’imposer le concept de pacte avec celui ou celle qui aurait accepté de concrétiser le cahier des doléances du monde du travail qui, ayant échoué avec Zeroual, le conduisit à envisager sérieusement son entrée en scène dans le classique espace partisan. Un projet que Mentouri décrit comme «une formation politique rassemblant un large front républicain ouvert sur la modernité et le progrès social»(1). Après son assassinat, l’on a vite pensé que le RND était la mouture initiale de ce qu’il voulait inculquer comme credo. Mais il semble que l’on soit allé trop vite dans la transmission de ce genre d’héritage ! Peut-être était-il proche d’un autre projet avorté également par l’assassinat politique ? Celui que portait Boudiaf et dont il a génériquement formulé l’objectif. Le RPR, cet introuvable «Rassemblement de la République » qui, de nos jours, manque cruellement à la démocratie.
B. Hamidechi
(1) – Toutes les citations sont extraites de la conférence donnée par Mohamed Salah Mentouri le 28 janvier 2007.Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/01/28/article.php?sid=129420&cid=8
28 janvier 2012
Chroniques