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L’intellectuel et le complexe de colonisé Par Mohand Bakir

28 janvier 2012

Contributions

 

Plutôt que de se prêter à l’échange et à la discussion, A. Lahouari préfère se lancer dans un long panégyrique à la gloire de son ami et idole Ali Yahia Abdennour. Le rapport au droit international, l’instrumentalisation des droits de l’homme au service du projet d’État théocratique, et bien d’autres points de débat, soulevés dans le cadre de l’échange «l’intellectuel, et…», qu’accueillent les colonnes du Soir d’Algérie, sont ignorés avec dédain. L’intellectuel préfère recourir à des démarches obliques, en lieu et place de la confrontation d’idée, saine et loyale.
Son choix est d’abord de tenter de faire de mes positions un élément rédhibitoire et disqualifiant, qui détournerait le lecteur du fond de mon argumentation et, par la même occasion, le dispenserait, lui, A. Lahouari, de relever le débat sur le fond. «Le discours habituel de l’antiislamisme primaire aujourd’hui totalement dépassé», voilà donc ce qui suffit à clore le débat ?! Une exclusive qu’il prononce et assume même si elle l’aligne sur les attitudes islamistes. Mes positions anti-islamistes, clairement et explicitement assumées, s’appuient et promeuvent un authentique attachement au respect des droits de l’homme, une appropriation décomplexée des conquêtes les plus avancées en matière de droit et de démocratie, et de sécularisation de la gestion de la cité. En fait, on assiste là une dérobade que mon contradicteur tente de camoufler par la focalisation sur ce qui paraît être, à ses yeux, le maillon faible de ma réponse : l’objection que j’oppose à son appréciation, complaisante et intéressée, de l’apport et de la place qu’aurait Me Ali Yahia Abdennour dans l’évolution du droit en général et de la doctrine des droits de l’homme en particulier. Alors, qu’il en soit ainsi. Débattons de, et à partir de, ce qu’il perçoit comme mon talon d’Achille.
A. Ali Yahia n’est pas le démocrate qu’on nous dit
À quelques «détails» près, Addi Lahouari retrace l’itinéraire de ce militant nationaliste. Je procéderais donc en apportant des compléments et/ou des rectifications au panégyrique en question. Comptant parmi les fondateurs de l’UGTA, Abdennour Ali Yahia se retrouvera à la tête de la Centrale syndicale après sa libération de résidence surveillée en 1961. Il le restera jusqu’au moment où il est élu à la Constituante, puis comme député de Tizi-Ouzou. Il n’a jamais été ministre de Ben Bella, et en septembre 1963, au moment de la création du FFS, il se joint à Aït Ahmed et à Ahmed Taleb. Mais le compagnonnage sera de courte durée. Avril 1964, il se rallie à Ben Bella qui le coopte au comité central du FLN. Benjamin Stora situe ce ralliement en avril 1964, mais sur le site Algeria-Interface il est situé au moment de la guerre des sables, qui a opposé l’Algérie et le Maroc (Algeria-Interface, 2005). Après le coup d’État, «le 10 juillet 1965, il est nommé par le colonel H. Boumediene au ministère des Travaux publics et des Transports, puis le 24 septembre [1966] au ministère de l’Agriculture et de la Réforme agraire en remplacement d’A. Mahsas. Il quitte cette fonction gouvernementale le 7 mars 1968» (Stora, 1985). Sur ce départ du gouvernement aussi, les détails que comportait l’article du site Algeria-Interface font interroger sur le goût au complot et à l’intrigue que semble affectionner Ali Yahia Abdennour : «Ali Yahia devient ministre des Travaux publics puis ministre de l’Agriculture. Un poste qu’il quittera précipitamment en décembre 1967 pour se réfugier quelque temps en Kabylie. Il est en effet dans le secret du putsch manqué du chef d’état-major Tahar Zbiri contre Boumediene»(Algeria-Interface, 2005). 
A. Lahouari prend des libertés avec les faits

Il faut donc supposer, au moins implicitement, que Addi Lahouari se réfère à d’autres sources que les miennes, pour affirmer que son idole «est député et ministre, mais quelques mois plus tard, il est en désaccord avec le gouvernement de Ben Bella et donne sa démission. Il revient au gouvernement avec Boumediene qui le sollicite, croyant que celui-ci allait institutionnaliser les rapports d’autorité, mais démissionne aussitôt et se retire des affaires publiques» !! C’est, à peu de choses près, trois ans ! La notion du temps chez Addi Lahouari est quelque peu élastique. Mais gageons qu’il a écrit son texte un vendredi aprèsmidi, qu’il n’a pas eu la présence d’esprit de le relire avant de l’envoyer à la rédaction. Que ses vigilants amis ont attiré son attention sur ces «erreurs matérielles», et que l’auteur compte sur l’attention du lecteur qui fera que, par lui-même, il corrigera tout cela. Amen ! L’objet implicite de la réponse d’Addi Lahouari n’est pas de rétablir des faits d’histoire. Non. Ce qui lui importe, de toute évidence, c’est de redorer le blason de son égérie, quitte à prendre toutes les libertés avec les faits. Ainsi, pour qu’Ali Yahia n’ait pas été seulement «le ministre de Boumediene », il lui invente un passage fictif au gouvernement de Ben Bella. Et, lorsque, à l’évidence des faits, il le reconnaît ministre d’un gouvernement issu d’un coup d’État, il le disculpe en lui attribuant une démission illico presto : «mais démissionne aussitôt»… au bout de trois ans. Les sources de M. Lahouari sont soit défaillantes, soit de mauvaise foi. 
Comment vit-on la torture à partir d’un ministère ?

Il est intéressant de connaître le témoignage de M. Ali Yahia sur la question. Comment il vivait, du haut de son ministère, et de son passé de fondateur et d’ancien secrétaire général de l’UGTA, la torture que les milliers de syndicalistes et de militants de gauches, opposés au coup d’État, subissaient dans les geôles de son régime. Il pourrait même nous expliquer si son action a pesé dans la démocratisation de la représentation syndicale, ou des départements ministériels où il est passé. C’est le type de question que la rédaction de ses mémoires le mettrait en devoir de traiter. Bien sûr, s’il lui venait la lumineuse idée de les rédiger. C’est aussi, en principe, ce type de question qui devrait jaillir dans l’esprit, éclairé, d’ardents partisans des droits de l’homme tels que se proclame Addi Lahouari. Non, pour le moment, heureusement, nous resterons dans les contenus «implicites» qui suffisent à vous hisser au sommet de la hiérarchie de l’érudition. Et au vu de ce que réalise «l’implicite», disons tant mieux que nous en restions dans le tacite et qu’il ne s’est pas décidé à expliciter sa connaissance. Il ne se trouverait aucun cerveau capable de l’assimiler une fois révélée !
L’opacité comme atout

L’histoire de la création de la Ligue algérienne des droits de l’homme reste à faire. Pour le moment, la paternité de l’initiative échoit, selon les milieux, et les interlocuteurs, à Ali Yahia ou à une autre personnalité tout aussi controversée parce qu’issue de la haute hiérarchie de la redoutable sécurité militaire. Les véritables initiateurs, précurseurs du combat pour les droits de l’homme, laissent malheureusement faire. L’opacité du débat politique, le manque de visibilité des luttes, et leurs faiblesses politico-idéologiques instituent l’activisme comme mode de légitimation et de valorisation. C’est dans le cadre de cette opacité que j’interprète, faut bien apprendre d’autrui, l’étonnement d’Addi Lahouari de me voir l’interpeller sur son appropriation de la thèse de la «régression féconde». Il commence par faire passer cette thèse pour de simples écrits, avant d’en revendiquer la revalidation par «le printemps arabe», et de finir par assimiler, à mon grand étonnement, la science sociale à de la divination !! Grand Dieu ! Ce type de thèse, si la vie la valide, serait de nature à fonder une école de pensée. Et A. Lahouari «passe dessus, comme passeraient des gens bien séants !» (????) – comme dit le proverbe de chez nous –.Le militant se dispense de léguer son expérience avec le regard lucide et le recul que lui offre la longévité de son existence. Pour être juste, il faut souligner qu’Ali Yahia n’est pas le seul dans ce cas. Il y en a d’autres, dont l’aura surfaite ne tient que grâce aux mêmes artifices, et à la même complaisance qui empreint les débats et luttes politiques. À chacun sa rente. Si Ali Yahia Abdennour ne se posait pas en porte-voix de l’islamisme (son dernier faire-part nous annonce un scénario à la «libyenne » (Mesbah, 2011)), je me sentirais une obligation de retenue et de respect dû à son âge et à sa contribution au combat national. Mais dès lors qu’il se place comme acteur de la scène politique, il lui faut en assumer les implications. 
Quand le maître se mue en cheikh

Me Ali Yahia a été l’avocat de Madani Abassi, Benhadj et autres Boukhamkham. S’il est louable que tout justiciable soit défendu devant les tribunaux, la situation diffère lorsque l’avocat franchit le Rubicon et se mue en défenseur de la théocratie. C’est ce qu’il fait, lorsque, sur les pas de Chadli Bendjedid, il ancre l’islamisme dans les évènements d’octobre 1988. Nonobstant tout ce qu’il détient comme informations sur la grève insurrectionnelle de juin 1991, ou sur les préparatifs paramilitaires issus des résolutions secrètes du «congrès de Batna», il continue de défendre l’idée, si chère à Bouteflika, qui pose l’arrêt du processus électoral comme la primo-violence. C’est ce qu’il fait, enfin, lorsque, en artisan du contrat de Rome, il concède «la primauté de la loi légitime», et avalise le principe du transfert de la souveraineté du peuple vers le clergé islamiste. Le credo que lui prête A. Lahouari : réunir Saïd Sadi et Ali Benhadj ; et celui de l’actuel chef de l’État : concilier entre le qamis de Belhadj et la mini-jupe de Khalida !! Quel triomphe pour les droits de l’homme ! 
La mémoire en contradictrice

Même à se dispenser de remonter jusqu’au milieu des années soixante, pour situer l’apparition des premiers groupuscules islamistes, il est impossible de situer la survenance de l’islam politique dans la scène algérienne, en deçà de novembre 1982. L’examen de cette période suffit largement à montrer le caractère belliqueux et violent de ce courant. Des caractéristiques qui ne lui sont ni imposées ni insufflées par une quelconque manipulation. Le 2 novembre 1982, un commando islamiste opère une descente à la cité universitaire de Ben Aknoun pour interdire aux étudiants d’organiser une assemblée générale élective qui délogerait les islamistes du comité de cité. Ceux-ci avaient accaparé les structures estudiantines depuis les années 1977-1978. L’action de ce commando se solde par la mort d’Amzal Kamal et l’évacuation d’un lycéen atteint de graves blessures. Il faut s’arrêter sur le comportement des assassins d’Amzal ; elle est illustrative du niveau de perfectionnement de leur violence. Transpercé de plusieurs coups de sabre, l’étudiant agonisait sur le parterre du foyer de la cité universitaire. Ses assassins, pour engager définitivement son pronostic vital, vont aller puiser plusieurs seaux d’eau glacée, et les verser sur son corps pour le mettre en hypothermie, s’assurant ainsi qu’il succombera à ses blessures. Cette opération commando va s’accompagner d’un déploiement politique. Les islamistes organisent, avec Sahnoun et Madani, des meetings publics à la place Audin, en plein centre d’Alger, et avancent leur exigence d’islamisation de l’État. L’Algérie durant les années 1980 va connaître sa première expérience de subversion islamiste, avec son lot d’attentats et d’assassinats. Nahnah, de son côté, s’était essayé quelque temps au sabotage, avant de développer des réseaux d’acheminement de volontaires vers l’Afghanistan. Ils reviendront dans les années 1990 déployer leur «science» de la mise à mort dans nos villages et hameaux. En novembre 1991, des semaines avant l’arrêt du processus électoral, les soldats du 15e GGF de Guemmar sont attaqués, assassinés, leurs corps seront émasculés et affreusement mutilés. Ils ont des noms, ils étaient de chair et de sang : Achour El-Ayeb, Bouabdellah Mâamar, Baâr Mourad, Dragmia Mourad, Hadjira Amar, Hamez Essaïd, Kasri Ahmed, Medjadj Bouamama. Tout comme le premier universitaire assassiné a un nom, Abderrahmane Bellezhar. Tout comme… 
Le silence complice sur le vrai coup d’État

Depuis le début de l’agression islamiste sur l’État issu de novembre, Ali Yahia et ses amis n’ont eu de cesse de travailler à la légitimation du FIS et de sa nébuleuse terroriste. Ils reviennent sans cesse à l’arrêt du processus électoral, tout en sachant pertinemment que celui-ci a été évincé par un autre coup d’État. Sur ce coup d’État là, ils gardent le mutisme le plus total. Tout en disqualifiant l’État théocratique, Boudiaf était déterminé à faire du «11 janvier » l’amorce de la liquidation du système rentier en place. Le coup d’État réconciliateur du 29 juin1992 mettra un terme à cette orientation de rupture pour la remplacer par une orientation de maintien du système (Bakir, 2011). Le véritable coup d’État est donc celui-là, et sa vocation a été d’isoler et de marginaliser les démocrates, pour ouvrir la voie à l’émergence du national-islamisme comme cadre de recomposition du système. 
Le complexe de colonisé

Je terminerais en revenant à la légèreté dont a fait preuve Addi Lahouari dans la rédaction de ses écrits. Elle traduit un véritable complexe de colonisé, et lorsqu’il intervient dans le débat de son pays, il se croit libéré de toute contrainte intellectuelle, alors qu’ailleurs il se fait un point d’honneur à s’astreindre à une rigueur et à une précision sans faille.
M. B.

Travaux cités
*Algeria-Interface. (2005, 03 12). Ali Yahia Abdennour, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. Récupéré sur Algeria-Interface: http://web.archive.org/web/20050 312142054/www.algeria-interface. com/new/article.php?article_id =410
*Bakir, M. (2011, 01 19). Boudiaf ou l’impossible compromis. Récupéré sur www.ledoirdalgerie. com: http://www.lesoirdalgerie. com/articles/2012/01/19/article. php?sid=128983&cid=41
*Mesbah, S. (2011, janvier 6). Ali Yahia Abdennour : La grande question est de savoir comment l’armée va réagir au lendemain des élections législatives. Récupéré sur El Watan :http://www.elwatan. com/actualite/ali-yahia-abdenour- la-grande-question-est-desavoir- comment-l-armee-va-reagir- au-lendemain-des-elections le gislatives-06-01-2012-153716_109.php
*Stora, B. (1985). Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens. ENA PPA, MTLD (1926-1954). Paris : L’Harmattan.

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/01/28/article.php?sid=129419&cid=41

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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