Le rapt du wali d’Illizi a été une levée de couvercle sur un domaine public vaste et opaque. Une opportunité pour la Libye de se réinstaller dans le noyau diplomatique de la région. Il est aussi un alibi majeur pour pourfendre la sécurité nationale. Loin d’être dans la mécanique sécuritaire, la faille serait due à la forte modestie de l’homme. Hamoudi Khalfi est un brave type disent ses amis. Votre serviteur n’y disconvient pas et y souscrit totalement. Mohamed Laid Khalfi est un wali très modeste disent ses fonctionnaires. Avec ou sans escorte, le wali reste toujours une équation à redéfinir chaque jour et résoudre à chaque circonstance. Il suscite le pouvoir, comme il suggère l’occultisme et l’incertitude. L’obligation d’aller vers sa population ; un contrat professionnel sinon un devoir de performance, serait vite rattrapée en cas de déficit ou de défaut. Ainsi la «modestie» devient au moindre accroc une antinomie à la mesure de réserve qui doit singulariser un tel personnage. Que doit-il faire ? Repenser à son avenir.
Le wali est un topographe qui doit sillonner toute la pentière de sa wilaya. La tournée des coins et des bourgades est comme les cents pas d’un penseur. Otage d’une obligation de réserve qui n’a jamais été dévoilée légalement, l’on tend à l’imaginer selon des référentiels dissemblables l’un de l’autre. Un fourre-tout, un épouvantail terrible. Le wali est le SAMU à toute émeute, le croque-mort aux hécatombes, le parapluie aux inondations, le bulldozer des destructions, le déversoir béant de l’ire populaire. Il demeure une problématique chez les uns et une prise en otage chez les siens.
C’est une entité qui tire son ancestralité génésiaque des précisions textuelles de Dalloz ou de Thémis. D’essence napoléonienne, le préfet traduit l’expansion de l’autorité de l’Etat. Il est même chez nous, par définition ; le dépositaire légal de cette autorité. A la seule différence qu’ailleurs, ils savent appréhender la notion multiforme du service public. Elle ne se résume point en l’octroi de lots marginaux sur les bords de la Seine ou de terrains multi-façades dans le lotissement Dupont.
Le citoyen persévère à s’accrocher à une haute image et affiche continuellement à l’égard du wali, une issue protectrice contre les déviations et le mépris qu’il subit par l’agression incivique du service public. Les égouts, la saleté et l’insalubrité des lieux publics, croit-il sont toujours de l’attribution du wali, quand le logement, le paradis et le punch social sont aussi de son aptitude. Il devra faire opposer le capitonnage de son parterre aux nids de poules qui pullulent dans la périphérie populiste située un peu loin de ses résidences. Le respect de l’Etat ne s’obtient pas, par l’apparat pompeux de certains cabinets qui ne servent qu’à ficeler ou déficeler les dossiers et les complots. Au moment où d’autres bureaux sobres sont bien remplis par le gabarit de l’écoute, le bon jugement et la quête du bonheur citoyen. Le respect, comme la nature aime recevoir les délices d’un franc-parler et s’abstient d’éroder la franchise d’autrui. La frayeur ou la menace n’ont jamais été de bons arguments pour parfaire les recoins d’une ville.
Pour beaucoup, le pire ennemi du wali reste sa personne. Son ego. Alors que son meilleur allié est toujours sa personne. Son ego. Il ne cesse d’évoluer en prenant ses fonctions dans un environnement qui lui est antithétique et farci de contrariétés. La courtisanerie qu’il engendre, sans le quérir parfois, les frotte manches qu’il suscite ne peuvent lui servir de tableau de bord pour une gestion dont il a seul l’art et la manière. Néanmoins, il est en toute connaissance de cause, le garant d’une politique, dans ce sens qu’il veille en permanence à l’intérêt du pouvoir confondu le plus souvent à celui de l’Etat. Les suffrages lui sont un examen fort contraignant. D’eux dépendront les éléments de sa fiche de notation, pour du moins un prochain mouvement. Ne s’exprimant qu’en vertu de la loi et de l’ordre public, son avis ne vaut que ce que lui dicte une tendance générale. Il devra deviner à l’avance cette tendance. Il est également l’otage d’une proximité. Ses élus locaux, les forces occultes que recèlent certains pans de sa population, les appuis des uns, les poussées des autres, feront en sorte qu’il est bousculé vers un équilibrisme plutôt que vers un équilibre dans le traitement des affaires publiques. Il ne peut à peine d’étouffement agir seul. En son âme et conscience. L’interférence lui est sournoisement inspirée par une contingence, une alarme ou une courte diplomatie. Malgré la fougue qui l’anime le wali d’Illizi n’aurait pas été enlevé s’il n’était pas dans l’exercice de ses fonctions. Le rapt a visé le wali qu’habitait Hamoudi. Ainsi Hamoudi serait victime d’un acte malhabile du wali qu’il incarne. L’histoire témoigne que même sous escorte, un wali fut bel et bien été assassiné. L’autre volet de la question de l’enlèvement, sous ses diverses pulsions est à creuser ailleurs. Ce n’est pas pour cette vitalité volontariste d’un wali fortement engagé au péril de sa vie que sa carrière soit raccommodée dans le prochain mouvement. Bien au contraire, son maintien ou redéploiement crédibilisera davantage la république. Sinon son cas inspirerait, par accablement léthargie et inertie pour tous ses pairs. Ne dit-on pas, pour paraphraser Jacques Attali, que parmi les fondamentaux du chef ; «le courage pour oser, la volonté pour résister au découragement» doivent céder le pas à l’hésitation et au report d’affaires ?
En vérité, à défaut d’un statut adéquat voire d’une protection statutaire eu égard à l’importance pyramidale qui le caractérise au niveau du sommet de l’Etat, ce personnel ne semble pas bien dans sa peau. Tous venus volontaires. Mieux, après moult intercessions en leur faveur. En plus du parrainage qui reste l’ultime dans son unicité, comme manifestation du principe sacro-saint de la fonction publique en matière de nomination aux hautes fonctions, soit le pouvoir discrétionnaire. Nonobstant cette position à l’apparence enviable, la nature révèle que le dégoût et la mal-vie éplucheraient comme un cancer, les journées moroses et emplies de ces grands locataires des plus belles résidences de tous les chefs lieux. Mais là aussi, chacun agrée selon son niveau culturel le degré d’opulence résidentiel. Sont-ils vraiment à l’aise dans leur équilibre spirituel ? La paisibilité de l’âme. Il est prouvé, par des ex-walis que le risque de se voir piégé, trompé, induit en erreur dans un choix ou une décision perturbe l’affabilité nocturne de leurs nuits blanches. Ce n’est pas une seule nuit, mais toutes les obscurités passées à l’ombre de la fonction. Au grand moment de vérité le wali est en face lui. Isolé, seul dans son tourbillon. Il doit trancher devant le silence de tous. Jusqu’à la délivrance du cauchemar paradisiaque qu’ils ont tenté de vivre ou le vivent délibérément. Pris entre les tenailles d’une doctrine qui ne leur laisse de manœuvres que dans un cadre nommé de légal ; ils s’obligent excessivement à s’armer inlassablement d’un excédent de prudence. La précaution paroxysmale leur est une cause vitale de maintien. Comme le doute et la défiance face au monde extérieur deviennent des critères de gestion.
Ces sous-présidents de la république dans leurs territoires, sont toujours sous un œil inspecteur public et privé et font souvent les frais de règlement de compte. Dans une édition récente d’un quotidien «Un j’accuse», loin de la syntaxe sémantique d’Emile Zola est lu comme une reprise de conscience tardive. Un ex-gradé signe, persiste et insiste à faire mettre aux arrêts un soldat civilement gradé de la république. S’il est de règle que l’on attribue universellement le style toujours rustre et raboteux dans l’expression langagière extramilitaire d’un militaire, il est singulier de le lire et très pénible de le déchiffrer. Se lamenter dans le courrier des lecteurs des conditions rédhibitoires de ses conditions de vie est une chose en soi inouïe mais possible. Le fait qu’il dénonce un acte répréhensible ayant été commis par un appelé à servir l’Etat dans divers cantonnements est une autre chose encore plus étrange. La justice doit faire son travail. N’a-t-il plus les coudées franches pour agir sur le ciel et la terre ? Alors que doit faire un banal citoyen dans un cas similaire ? Le «j’accuse» demeure par rapport au fonds documentaire qui trame son réquisitoire, un solide «je condamne». Rassuré dans ses taux, déconcerté dans ses chiffres et transparent dans son identification cette détermination accusatoire outrepasserait le frêle corps d’un petit soldat s’empressant à volonté à sa mission civile. Il aspire vouloir atteindre, en toute virtualité le signataire de l’ordre d’appel ayant contingenté le commis dans les rangs. Cet «ordre d’appel» pris par décret présidentiel pour un soldat privilégié ne peut provenir que d’une addition et d’une addition positive de tant de récits d’habilitation, d’enquêtes spécialisées.
Dans une république comme dans une caserne, l’ordre est une règle cardinale codifiée. La discipline est pour un carriériste dans une caserne ce qu’est la démocratie par principe dans un Etat. Un mode de gouvernance. L’obligation de réserve n’a aucune réserve lorsque la délation tardive et ajournée n’est plus un concert tacite ou une dissimulation de faits punissables. Elle devient une complicité passive. Le petit soldat incriminé à passé ses classes dans pas mal de casernements, sans pour autant y être mis au garde à vous, ni être pressé par une commission de reforme. D’une région à une autre, là où il usait ses belles godasses ; l’Etat et ses procureurs n’étaient sans doute pas restés sages. Il y a eu en toute certitude, toute une foultitude de constats et d’écrits. Alors ce «j’accuse», encore à vouloir l’interpréter aurait à porter sur les dissimulateurs, les cachotiers et les muets. L’Etat ne dort pas, il somnole. Il rattrape, telle l’histoire les uns et les autres. Même dans leur profond sommeil. Le monde massif s’interpelle sur ce réveil attardé en cette phase de reformes pour claironner les valeurs de la transparence et les péchés du métier préfectoral. Ceci tient à démontrer la vulnérabilité du corps des walis, qui ne sont pas au-dessus du tamis. Une brusque excitabilité vous prend si comme il s’agissait d’une guéguerre engloutie dans les entrailles du silence et qui avec une soudaineté surgit pour clouer au pilori le soldat pourtant serviteur de l’Etat. A sa décharge, la tutelle a bu la lie et n’a offert ni la geôle ni l’enfer pour son wali, car à l’époque de Zerhouni tous ces soldats et assimilés étaient bien cuirassés. Il fut pour eux un gilet pare-balles. C’est là, un échantillonnage exprimé au débat public. Le wali est et restera, comme tout mortel justiciable et poursuivable. Les exemples sont légion. Le dernier en date, remonte à une semaine. L’ancien wali de Tarf a été condamné à 2 années de prison ferme.
Il existe des wilayas où l’humeur du wali est une loi. Il existe des walis dont la loi n’est que la loi. Malgré les pressions parallèles ou horizontales, ils en font juste ce que leur dictent ses dispositions juridiques. Point de tempérament personnel dans le traitement de l’assiette foncière ni de caractère individuel dans le dénouement d’une affaire de salubrité publique. La hargne, les points de fixation, la personnalisation par contre auraient fait de certains gouverneurs, des gestionnaires à la carte. Guidés par un instinct tout juste intuitu-personae ; ils ont confondu longuement manière de gérer et style de régner. Heureusement pour le pays que la différence assure fortement une nette distinction dans le panache qui vêt le wali. La culture générale, la prévenance et l’éthique originelle se hissent pour chacun d’eux en de vraies marques de qualité ou d’indécence. Ce ne sera pas un burnous ou une cravate bariolée qui tonifiera l’impotence fonctionnelle si elle subsiste. Mais ce seront inévitablement l’altruisme, la vivacité d’esprit et le brin encyclopédique qui auront à labéliser l’érudition ou l’indifférence. Le wali d’Illizi n’allait pas en costume griffé sous un manteau en cachemire pour sillonner l’erg désertique, mais s’astreignait à la nature en mettant l’allure qui y sied. La parole et le staff aussi. L’obligation de nouer son cou ne l’aurait point aidé à s’extraire de ses ravisseurs. Etre wali est un entrain, un comportement. Des ingrédients préliminaires sont comme des pré-requis. L’on n’a pas idée de foutre dans le lot des entités waliables ; des monarques administratifs ou des corps trop muris. La jeunesse est là à attendre le relais. 20 ans et plus dans ce poste provoquent l’ivresse. Cette stabilité négative en soi condamne l’action et abolit l’innovation. Qui de ces savants du XIXème siècle aurait dit que «l’art de gouverner consiste à ne pas laisser les hommes vieillir dans leurs postes et ne pas se laisser vieillir dans le sien» ?
Que dire de ces walis qui tendent à soumettre le temps et l’espace à leur logiciel d’action ? Pourquoi n’obéissent-ils pas, tous dans leur entièreté à un socle minimal du cahier des charges, à défaut de statut, qui semble pourtant les gérer ? Les deux poids deux mesures sont-ils des prismes de capture d’une bonne ou mauvaise image de l’un ou de l’autre ? L’un sympathique et photogénique et l’autre opaque et diabolique. Que sont-ils devenus les anciens walis ? Comment vivent-ils leur retraite dans une société implacable qu’eux même ont façonnée ou modulée ? Ont-ils eu la facilité de réaccéder dans cette société qu’ils ont abandonnée au motif de cette implacable obligation de réserve ? En sont-ils toujours soumis pour passer à transcrire leurs mémoires encore tièdes ? Continueront-ils à ingurgiter dans un silence à petites doses le dégout journalier qui les rend rachitiques à force de sucer dans le même silence le souvenir et la souvenance d’une époque révolue? Apres les comités, les commissions, les ouvertures, les clôtures, les inaugurations, les tournées et le JT de 20 heures qui compartimentaient leur vie, voilà le désert sans guide ni protocole, le vacarme des rues, l’avis rude et dure qui les exposent à la facétie des gens. La maison redevient un univers réduit, clos et couvert. Un ancien wali, remercié il y a des années craint de se faire renouveler son passeport, par appréhension de se voir balloter d’un guichet à un autre. Elevé dans la soie du rang, durant ses mandats il ne pouvait croire que l’administration était un ogre, un traiteur impersonnel et inhumain. Il s’est donc recroquevillé chez lui et voyageait au gré de ses clics de souris. Il s’est crée un cosmos virtuel qui lui obéit et satisfait toutes ses demandes. Il surfe, surfe, surfe jusqu’à .
En tout état de cause il est de notoriété que c’est la vox populi qui prend le rôle d’une commission d’évaluation chargée d’apprécier le travail accompli par un tel ou un tel. La population, les faiseurs d’opinions font le reste. Les p’tits chroniqueurs postérisent les vices et les vertus de ces otages d’un système et non du système. Trouvez la différence.
26 janvier 2012
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