Par Kaddour M’HAMSADJI
presque tous les documents disponibles dénient l’existence d’une histoire propre à notre pays et à nos localités, comme si la colonisation avait tout créé.
Nous habitons où? Quelle agglomération humaine? Un nom, un souvenir, une anecdote, une aire de jeu, un édifice, un relief,… que de choses familières sont des réalités de notre vie! Où se trouve géographiquement notre lieu de naissance, et là où nous vivons? Toute une histoire à connaître et à reconnaître! Et c’est aussi une histoire à constituer, – plutôt à reconstituer sérieusement, par nécessité et par devoir historique, civique et national, par besoin, par utilité administrative.
L’infatigable encyclopédiste Achour Cheurfi, poète, nouvelliste, journaliste et auteur de plusieurs dictionnaires biographiques dont Mémoire Algérienne (que l’on aurait pu rappeler au lecteur dans la présente édition), nous propose encore une fois le fruit d’un immense travail de recherche et de mise à jour pour nous faire apprendre le plus grand nombre de nos «villes, villages, hameaux, qsars et douars, mechtas et lieux-dits», le tout en un seul volume de 1214 pages sous le titre Dictionnaire des localités algériennes (*).
À l’évidence, ainsi que l’auteur l’écrit, à raison, il s’agit «du premier dictionnaire des localités de l’Algérie indépendante [...] Toutefois, il serait prétentieux de croire qu’aucune erreur ne s’y est glissée ou que l’ouvrage soit parfait. D’autant plus que le domaine embrassé est d’une singulière complexité du fait qu’il relève à la fois du domaine matériel, de ce que l’on peut appeler la question urbanistique, la formation des villes et des villages, et immatériel, dans le sens où la toponymie et l’étymologie constituent très certainement un patrimoine historique et culturel dont il s’agit de reconstituer, promouvoir, préserver et léguer aux générations futures. Aussi, devant le but d’utilité que nous nous sommes donné, le lecteur nous pardonnera nos imperfections. Dans ce sens, toute notre reconnaissance ira à ceux qui voudront bien nous adresser leurs observations en nous faisant part des omissions ou des erreurs commises afin que nous puissions apporter les corrections nécessaires ou les développements attendus lors d’éventuelles rééditions.»
Après ce nécessaire «avertissement» de l’auteur, chacun (résident, citoyen, autorité publique,…) selon son besoin, bien rassuré sur l’aise qu’il pourrait prendre pour en juger, découvre des informations sur sa localité, et se précise en lui-même avec émotion, curiosité ou satisfaction administrative, une notion importante et précise: un petit territoire où des habitants vivent ensemble comme dans une famille étendue et ont des intérêts en commun, c’est la commune. C’est là que s’organise l’administration de la communauté composée de services publics et de populations diverses, d’hommes, de femmes et d’enfants, de ceux qui y sont nés et y travaillent et de ceux qui sont venus y travailler. Pour chacun de nous, c’est là que se concrétise la réalité de la vie, de notre vie; c’est la petite patrie que nous aimons avant la grande, l’Algérie qui fait notre identité nationale. Cette ferme idée court tout au long de la lecture de l’ouvrage et, si l’on veut bien, on voyage, page après page, d’une localité à l’autre à travers tout le pays qui en compte au moins 13.000 recensées en 2009 (source: N.Krim, Nouveau découpage du territoire. Des wilayas pour rapprocher l’administration du citoyen, in L’Expression du 7 juillet 2008, p.2). Au reste, Achour Cheurfi cite toutes ses sources d’information et les commente. À ce sujet l’auteur précise: «Si nous avons veillé à ce que le maximum soit traité, c’est-à-dire l’ensemble des 1541 communes, leurs chefs-lieux et leurs agglomérations secondaires, selon les résultats du recensement général de population de 1998, pour ce qui est des hameaux et lieux-dits, nous n’avons retenu que des échantillons étant donné leur nombre élevé. Un traitement intégral de ces derniers aurait multiplié au moins par deux ou trois le volume de cet ouvrage qui contient ainsi plus de dix mille notices, d’inégale élaboration, en fonction de l’information disponible.»
Classées par ordre alphabétique, les localités sont aisément retrouvées avec des indications les plus indispensables, quand cela a été possible: situation géographique, diverses statistiques, distance qui sépare du chef-lieu, altitude, superficie, histoire, économie, parfois même une monographie assez développée. La toponymie a été revue: abandon des appellations coloniales, nouvelles appellations, réhabilitations des anciennes, ce que j’aime à citer, par exemple, ma ville natale Soûr El Ghouzlâne (dont la colonisation française avait fait Aumale en 1846) a repris officiellement son appellation qu’elle n’avait, entre nous les natifs, jamais perdue. Cependant, l’auteur avertit que «pour plus d’efficacité et d’utilité, les noms des localités sont ceux portés actuellement». Quoi qu’il en soit, l’auteur ajoute encore cette observation parfaitement compréhensible: «Dans la production monographique coloniale et postcoloniale sur nos localités, l’histoire n’a pas échappé à la manipulation.» Et avec lui, nous partageons cette juste conclusion: «À l’évidence, les monographies de nos villes et de nos villages sont à élaborer et à mettre à jour de façon continuelle tant il est vrai qu’une histoire moderne est d’abord un processus de construction (et d’accumulation) qui exige une totale liberté de collecte et d’accès aux données. De même que cette histoire constitue une carte d’identité patrimoniale et une mémoire collective pour la nation.»
En fin d’ouvrage, se trouvent une «Brève chronologie administrative (1520-2009)», une «Bibliographie sommaire», un «Glossaire» et des «Annexes et documents». On y trouve:
1 – Liste des wilayas durant la guerre de libération.
2 – Liste des départements entre 1955 et 1962.
3 – Liste des 31 wilayas de 1974 à 1983 (par ordre alphabétique).
4 – Liste des 48 wilayas de 1984 à 2010 (et leurs codes).
5 – Liste des 1541 communes (selon la loi n°84 09 du 24 février 1984 relative à l’organisation territoriale parue au JORA N° 06/07/02 1984).
6 – Armature urbaine en Algérie (1998). «L’organisation administrative du pays est fondée sur la commune, qui est la cellule de base. Les unités administratives actuelles du pays comprennent: les Wilayas, les Daïras et les Communes (Extrait d’un document de l’ONS sur «L’armature urbaine de l’Algérie», n°97, suite au recensement général de la population effective en 1998).
Voilà donc un ouvrage précieux, à bien des égards, qui vient corriger, compléter, remettre en ordre les données du premier dictionnaire du genre, paru en 1860, élaboré par Marius Outrey dans l’intérêt de la colonisation. Voilà donc un travail solitaire, de longue haleine, auquel Achour Cheurfi a consacré son temps, ses journées et souvent ses nuits. Ce «labeur» a mis à rude épreuve la patience de l’auteur au cours de ses recherches inlassables pour trouver, pour débusquer, pour vérifier l’information recueillie. Achour Cheurfi, ayant pleinement profité de sa riche expérience professionnelle, et tout en sachant lui-même que son travail est encore perfectible, peut être satisfait, peut être rassuré: son Dictionnaire des localités algériennes est pratique, méthodique, clair et augure d’une promesse trop longtemps attendue, celle de dessiner le visage d’une carte d’identité patrimoniale nationale de grande importance dont beaucoup sauront tirer quelque avantage: les géographes, les historiens, les sociologues, les économistes, les administrations, les institutions spécialisées,… et tous ceux qui prennent Le Temps de le Lire!
(*) Dictionnaire des localités algériennes de Achour Cheurfi, Casbah-Éditions, Alger, 2011, 1214 pages.
25 janvier 2012
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