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La jeune littérature algérienne ou l’envers du Cinquantenaire de l’Indépendance (II)

21 janvier 2012

LITTERATURE

Par Free Algérie | 15/01/2012  

Mourad DjebelMourad Djebel

« Les sens interdits » de Mourad Djebel est un roman labyrinthique, empruntant ses chaos syntaxiques aux précipices de la ville du Rocher où se déroule, s’enroule plutôt, un récit fragmenté, avec ses résonances katébiennes, sur la répression sanglante des révoltes estudiantines de 1986 à Constantine…

« Les sens interdits« , roman de Mourad Djebel (ed. Barzakh, 2001)

A la recherche d’une Algérie massacrée…

Par sa proximité avec l’histoire contemporaine de l’Algérie urbaine, principalement les révoltes estudiantines de  novembre 1986 à Constantine réprimées dans le sang  et  l’insurrection islamiste de 1991, prémisses de l’Horreur de la décennie 90 et des années d’après, les deux dates, mises en majuscule et s’entrechoquant, ce roman, en abîme, se prête difficilement à un résumé de l’histoire, tant celle-ci s’embrouille dans des télescopages spatiotemporels, d’emboitements d’épisodes où le passé et le présent s’enchevêtrent et le lecteur, lui-même dérouté, doit sans cesse reconstituer la  trame, remonter le cours du temps, rétablir les liens, reconstituer les espaces pour suivre et poursuivre la trace des personnages qui, eux aussi, n’ont de dialogues que des bris de réparties, des propos qui donnent le vertige par leur brièveté, leur mal de dire. 
Larbi, Nabile, Yasmina et Maroued – le narrateur principal – sont de jeunes amis étudiants universitaires qui, après avoir vécu la tragédie de 1986, se retrouvent piégés   dans la foule en délire des insurgés islamistes de juin 1991 qui gronde dans la ville du Rocher. Cette scène d’une extrême violence, qui fait écho à une autre toute aussi violente, l’agression de Maroued un au auparavant, traverse, en fragments, les quatre parties qui subdivisent artificiellement le récit.

Nabile, Larbi et Maroued poursuivis par la foule qui voient en eux l’incarnation de toutes les mécréances que l’Oeil Omniscient ( Tahar Djaout in Le dernier Eté de la Raison) qui voit tout châtie,  tentent, d’échapper au lynchage.   
Et Yasmina ? « Ils ont failli la tuer cet après-midi« . Cette phrase exclamative constitue l’incipit du roman. Dite par Larbi après l’agression (de Yasmina), elle est rapportée par Maroued   quelques années plus tard. Sa jupe courte, sa jeunesse, sa beauté, sa féminité, sa résistance au camouflage sont autant de  transgressions pour les plus fanatiques.
Elle est traînée sur la chaussée et les coups pleuvent sur son corps recroquevillé sur le bitume, des coups de pieds au ventre la laissent pour morte sur un trottoir. L’obscénité et la perversité de la foultitude mâle s’érige en actes purificatoires.     

Pour Maroued, l’amant de Yasmina, c’est la descente aux enfers. Nabile et Larbi sont morts, Yasmina a disparu. Dans sa solitude, il remonte le cours du temps, le sien, celui vécu, avec Larbi, au sein de l’institut d’architecture et de l’université pris en otage, bien avant novembre 1986 par les fanatiques ; leurs résistances vaines  contre le dicktat des intégristes ; leur gîte de fortune à Rahbat lejmal, le quartier chaud, au double sens du terme de Constantine, fermée par la vindicte des Illuminés, là où les prostituées comme les cartomanciennes les maternent et les initient aux plaisirs de l’amour charnel ; leurs grandes questions politiques dites dans le langage de tous les jours, vrai et cinglant de vérités, sur l’avenir du pays, leur perspective d’étudiants presque voués à la mendicité. Nabile, Larbi et Maroued portent une blessure paternelle. Le Bicéphale, père de Nabile, est un personnage glauque, riche arriviste analphabète maquignon qui se paie un harem de femelles qu’il confond à ses brebis. Ils ont été élevés dans le silence, la peur, l’obéissance aveugle de leur mère devant le mari autoritaire et démoniaque, translateur malheureux d’un système traditionnel gouverné par les mâles de la tribu. Ils ont fui l’enfer paternel pour éviter, d’être à leur tour, des géniteurs de castrations. Ils refusent de signer une pétition pour le « redressement des mœurs » jugées dépravées de Rahbat lejmal et organisent la résistance au sein de leur université. Ils portent l’Algérie katébienne à bras le corps alors même qu’ils sont   traqués, déclarés impies. Ils étaient là tous les quatre, ce jour de juin 1991. 

Merouad vit grâce au surdéveloppement de sa mémoire qui s’entortille, s’embrouille, retrouve un instant le fil des événements, les entremêle dans de multiples rencontres, escapades militantes avec ses malheureux camarades. Mais le souvenir des moments éternels, entre plénitude et amours incandescents fixés dans les yeux, le corps et l’esprit de Yasmina, l’esthète et l’étudiante battante donne quelque raison de vivre. Sur les dunes de Taghit,  ils sont tous les deux dans un corps à corps, soudés comme grains de sable. Maroued la cherche, et tout le roman est une quête polyphonique de Yasmina, d’une Algérie,  » jeune, belle et rebelle » Tous les trois,  Larbi, Nabile et Maroued – est-ce le cauchemar de Maroued, ou une réalité d’Novembre 86 -  tentent de fuir par le pont suspendu au-dessus de l’abîme, prisonniers de ses « sens interdits » dans des allers-retours verticaux (différents de ceux de leur fuite éperdue au milieu des huées et des mains assassines de Juin 91). 

Nabile a beau arracher la pancarte du code de la route « Sens interdits », d’autres Sens interdits autrement dangereux le guettent lui et ses camarades. Tant il est vrai que l’expression « les Sens interdits », titre du roman, est fortement polysémique.  
Le narrateur, Maroued ( Mourad Djebel ?) dans la quête éperdue de son amante et de ses amis, multiplie les voix et surtout les voies esthétiques pour contrer l’amnésie et survivre à sa propre mort : chronique, joute théâtrale, carnet intime, journal, extraits d’œuvres, d’essais, traités d’architecture ( de belles pages sont consacrées à l’aspect technique de la construction du pont suspendu apparenté à un monstre de fer face à la fragilité de la passante, ombre de Yasmina, suicidaire. Et cette phrases qui ne cesse de cogner dans la tête de Maroued, absurde parce que justement, elle n’a plus de sens dans le présent d’énonciation de son narrateur. Il se démultiplie : tantôt il parle avec un « je » tantôt devient absent par le truchement de la non personne « Il » là où l’impossibilité de dire « je » dans le « nous » de la meute, tantôt il cède la parole en rapportant dans le style indirect libre les réparties courtes et successives, comme des prises de paroles urgentes par des « Et Nabile, et Larbi… »   

Ce premier roman de Mourad Djebel  rappelle  « L’Exproprié » de Tahar Djaout où le Réel répugnant côtoie la fragrance des fragments poétiques élégiaques.  Par ses personnages et, surtout,  ses lieux. C’est également  un intertexte libre de Nédjma de Kateb Yacine dans le même siècle, dans un autre contexte historique, une Algérie en chantier qui bute sur ses ruines, une Algérie à reconstruire. Constantine du 8 mai 45 subit la même hécatombe après Juin 91, le narrateur Maroued est à Annaba en 94 là même où Kateb Yacine a fui le génocide colonial de Sétif pour écrire Soliloques et, aussi, cette ville du Rocher que Abla, personnage de La nuit des origines de Nourredine Sadi a quittée, emportant, pour seul viatique, le manuscrit de son saint aïeul pour le sauver, sans doute, du Texte Ligotant…Elle en paiera, elle aussi, le prix par son suicide à Paris où l’héritage mnémonique de son ancêtre est courtisé par les commissaires-priseurs des puces de Saint Ouen. « Les Sens interdits » est une œuvre forte, riche de sensibilités, d’émotions en même temps qu’elle est une inscription immédiate au drame de l’Algérie actuelle.  
Rachid Mokhtari

http://www.lematindz.net/news/7031-la-jeune-litterature-algerienne-ou-lenvers-des-50-ans-dindependance.html

 

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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