Le Soir d’Algérie a publié dans son édition du 17 janvier 2012 une contribution de M. Mohand Bakir qui critique celle que j’ai fait paraître dans le même journal deux jours plus tôt. M. Bakir y expose son point de vue en répétant le discours habituel de l’anti-islamisme primaire aujourd’hui totalement dépassé. Il revient sur ce que j’ai écrit il y a vingt ans au sujet de «la régression féconde», ne se rendant même pas compte que les révoltes arabes orientent vers cette perspective. Mais ce n’est pas sur ce point que je voudrais répondre à M. Bakir, car après tout, personne ne pouvait prévoir l’avenir.
Je lui donne raison sur une erreur contenue dans mon texte écrit à chaud et que je n’avais pas relu quand je l’avais envoyé un vendredi après-midi à la rédaction du Soir d’Algérie. Il ne s’agissait pas en effet du Tribunal pénal international mais bien sûr de la Cour pénale internationale instituée par le Traité de Rome que l’Algérie a signé mais n’a pas encore ratifié. Ceci est une simple erreur matérielle que le lecteur averti aura corrigée de lui-même, comme cela m’a été signalé par des amis. L’adhésion de l’Etat algérien à ce Traité signifie que celui-ci ne veut pas s’isoler de la communauté internationale, ce qui est à son honneur. Il y a bien sûr deux poids, deux mesures dans l’application de ce droit à l’échelle mondiale et les Palestiniens, par exemple, en font tous les jours la douloureuse expérience. Ce n’est pas la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 par l’ONU qui a donné l’indépendance à l’Algérie, mais le FLN y faisait référence pour imposer le droit du peuple algérien à l’autodétermination. Une chose est de dénigrer et de refuser le droit international et autre chose est de l’accepter et se battre pour son application. Mais ce ne sont pas ces points de débat qui me poussent à réagir aux propos de M. Bakir. Ce qui m’a chagriné dans son texte, ce sont les attaques gratuites contre Maître Ali Yahia Abdennour que j’interprète comme l’expression d’un complexe de colonisé qui refuse de voir chez lui la dimension d’un René Cassin ou d’un Mario Bettati, juristes reconnus sur le plan mondial. Il est vrai que Ali Yahia Abdennour n’a pas enseigné à l’université, mais ses écrits, ses plaidoiries dans les tribunaux, sa pratique militante, sa vision des luttes politiques en Algérie reflètent un humanisme de la philosophie kantienne. Il y a dans sa pensée une philosophie implicite du droit qui est celle des grands auteurs modernes. Mon profond respect pour cet homme provient aussi de son passé qui parle pour lui. Militant PPA-MTLD dans les années 1940, membre du FLN dès 1954, il côtoie Abane Ramdane et Aïssat Idir… A l’indépendance, il est député et ministre, mais quelques mois plus tard, il est en désaccord avec le gouvernement de Ben Bella et donne sa démission. Il revient au gouvernement avec Boumediene qui le sollicite, croyant que celui-ci allait institutionnaliser les rapports d’autorité, mais démissionne aussitôt et se retire des affaires publiques. Dans les années 1980, il défie la puissante Sécurité militaire pour créer la Ligue algérienne des droits de l’homme et connaît, à son âge, les affres de la répression. En janvier 1992, il s’oppose au coup d’Etat bien qu’il ne soit pas islamiste. Animé par le désir de réunir les Algériens sur une base minimale qui condamne la violence, il prend part à la réunion de Sant’Egidio. De manière obstinée, il cherche à réunir autour d’une même table Ali Benhadj et Saïd Sadi, et à réconcilier le FFS et le RCD avec un objectif clair : la rupture totale avec le régime et la mise en œuvre de la transition démocratique. Si un tel homme, porteur des valeurs de Novembre 1954, et ouvert sur l’humanisme universel de la pensée moderne, ne «remplit pas les yeux de certains» comme dit un proverbe populaire, c’est que le complexe du colonisé est encore persistant 50 ans après la décolonisation. C’est chez Ali Yahia Abdennour que j’ai appris que l’Algérie n’est pas une idée abstraite qui sert à la nomenklatura pour s’enrichir, ni les montagnes et les plaines de sa géographie. L’Algérie pour lui, c’est les Algériens en chair et en os, et quand ces derniers, quelles que soient leurs opinions, souffrent, c’est une partie de l’Algérie qui est blessée. A travers ces paroles, Ali Yahia Abdennour pose que l’homme est une fin en soi et non un moyen d’une idéologie politique. C’est le fondement de la philosophie moderne et je suis heureux qu’un de mes concitoyens l’exprime comme idée et comme pratique de terrain. Pour moi, Ali Yahia Abdennour, c’est la synthèse de Novembre 1954 et les valeurs universelles.
L. A.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/01/21/article.php?sid=129039&cid=41
21 janvier 2012
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