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Etre juré, un honneur mais aussi une lourde responsabilité Par Amel Bentolba

21 janvier 2012

Contributions

 ENQUETE-TEMOIGNAGES

Quand ils reçoivent leur convocation leur annonçant qu’ils étaient appelés à siéger dans un tribunal criminel, ils ressentent cette ambivalence de sentiments : ils sont à la fois fiers et inquiets devant la lourde tâche qui les attend.
«Lorsque j’ai reçu une convocation m’annonçant que j’avais été choisi comme juré devant siéger dans un tribunal criminel, je ne comprenais pas trop ce que l’on attendait de moi. D’abord, j’ai pensé qu’il y avait erreur sur la personne, et ce, même si je n’avais rien à me reprocher, je me disais que je ne suis qu’un simple fonctionnaire et que je ne serais pas en mesure de donner un avis qui pourrait condamner une personne, il faut avoir des compétences juridiques pensais-je. J’étais honoré et effrayé à la fois, il s’agit d’une grande responsabilité.» Tel est le témoignage d’un homme qu’on appellera Kacem (il a requis l’anonymat, comme tous les jurés à qui nous avons parlé), lorsqu’il fut destinataire d’une convocation pour faire parti d’un jury populaire. Le jury populaire est l’une des plus vieilles institutions du système de justice algérien, un jury donne aux personnes accusées d’une infraction criminelle le droit d’être jugées par un groupe de leurs concitoyens.
«Lorsqu’il s’agit d’un procès qui doit durer plusieurs jours, souvent on souhaite ne pas être tiré au sort, car les débats peuvent être longs et compliqués.»
De toutes les juridictions, le tribunal criminel, ou cour d’assises, est la seule qui fait appel au citoyen ordinaire pour le jugement des affaires les plus graves, puisqu’il s’agit de crimes, par opposition aux délits et contraventions, laissés à la compétence des seuls juges professionnels. Depuis l’ordonnance du 25 février 1995, loi n°95/10, le tribunal criminel est constitué d’un magistrat ayant au moins le grade de président de chambre à la cour, de deux magistrats ayant au moins le grade de conseiller à la cour, et de deux assesseurs jurés. Qui peut être juré ? Seules les personnes des deux sexes, de nationalité algérienne, ayant trente ans révolus, sachant lire et écrire, jouissant des droits civiques, civils et de famille et ne se trouvant dans aucun des cas d’incapacité ou d’incompatibilité peuvent être jurés assesseurs (art. 261). L’employeur est dans l’obligation de libérer le salarié de ses obligations professionnelles, s’il est désigné parmi les jurés. Comment se forme un jury ? Une liste spéciale de 12 assesseurs jurés suppléants, choisis parmi les listes électorales, pris parmi les habitants de la circonscription du tribunal criminel, est établie et déposé au greffe. Le président de la cour tire au sort deux assesseurs jurés qui se joignent au président de la cour et aux deux magistrats, et ainsi ils constituent le tribunal criminel. Le jour de l’ouverture de la session, l’assesseur juré, sauf motif légitime, qui n’a pas déféré à la convocation qui lui a été notifiée est condamné par le président et les magistrats assesseurs à une amende. Durant la formation du jury de jugement, lorsque le président de la cour tire au sort les noms des deux jurés sur les douze présents, l’accusé ou son conseil peuvent récuser jusqu’à 3 jurés, le ministère public quant à lui peut en récuser deux. Que ressent un juré au moment du tirage au sort ?
Abdelmoumen, commerçant
«Tout d’abord, sachez qu’être juré est un honneur, toutefois je vais être honnête, lorsqu’il s’agit d’un procès qui doit durer plusieurs jours, souvent on souhaite ne pas être tiré au sort parmi les deux qui devront siéger, car les débats peuvent être longs et compliqués. Ainsi, c’est dans une ambiance sympathique qu’on sourit lorsque le sort ne nous désigne pas.» Et lorsque c’est le cas ? «Ah ! dans ce cas on oublie vite fait notre envie de ne pas faire partie du jury populaire et on se concentre.» Y a-t-il un moment émouvant lors de votre désignation en tant que juré ?
Pour Kacem
«Le moment le plus solennel et qui m’émeut toujours et en même temps me met la pression c’est lorsque le président de la cour nous fait prêter serment. Je pense que tous les jurés vous diront la même chose, c’est à ce moment-là que nous prenons vraiment conscience de la tâche et de la lourde responsabilité qui nous attend.» Le serment en question que le président fait prêter aux assesseurs jurés est le suivant : «Vous jurez et promettez devant Dieu et devant les hommes d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X (nom de l’accusé), de ne trahir ni les intérêts de l’accusé ni ceux de la société qui l’accuse, de ne communiquer avec personne jusqu’à votre déclaration, de n’écouter ni la haine, ni la méchanceté, ni la crainte ou l’affection et de décider d’après les charges et les moyens de la défense, suivant votre conscience et votre intime conviction avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après cessation de vos fonctions. » Craignez-vous parfois pour votre sécurité, votre vie lorsque vous siégez dans une affaire où l’accusé semble dangereux ? «Lorsque j’ai été choisi pour la première fois, j’avais peur et je ne cessais de demander autour de moi si je risquais quelque chose et s’il y avait des précautions à prendre. Tous me rassuraient que je n’avais rien à craindre et que je devais surtout respecter la première règle principale, celle de conserver le secret des délibérations et puis en cas de doute sur ma sécurité, je pouvais toujours en référer à qui de droit. Ma famille était fière de moi mais craignait aussi pour ma sécurité au début. Avec le temps, je n’ai plus pensé à cela et c’est devenu une sorte de mission que j’accomplissais en mon âme et conscience.»
«Je suis sorti grandi de cette épreuve car c’en est une. J’estime que j’ai accompli mon devoir de citoyen, que j’ai assumé pleinement mon rôle.»
Souvent, on se demande si le juré/citoyen est en mesure de donner un avis juste dans une affaire criminelle ? Qu’en pense nos deux interlocuteurs ? Kacem dira : «Mon entourage me dit souvent mais tu n’es pas juge, tu n’as pas fait d’études de droit, comment peux-tu «juger» les autres ? Je n’ai qu’une réponse : la justice algérienne n’attend pas de moi un avis de juriste mais de citoyen qui suit tous les débats et donne son avis. De plus, je ne suis pas seul, il y a un président et deux magistrats assesseurs et un autre juré.» Pour sa part, M. Abdelmoumen précisera qu’«un accusé est avant tout citoyen et a, par conséquent, besoin que de simples citoyens figurant parmi le jury qui doit le juger». Avec le temps, bon nombre de jurés deviennent des «experts» des affaires traitées par le tribunal criminel. Beaucoup se mettent à lire le code pénal algérien et maîtrisent mieux les lois et semblent, pour certains, avoir déjà des prédispositions à siéger parmi un jury populaire, faisant preuve de beaucoup de lucidité, d’impartialité et de compétence.
Brahim, 55 ans, médecin
Dans les années 1980, Brahim fut convoqué par la cour d’Alger pour faire partie d’un jury. A l’époque, il avait 33 ans. «Lorsque j’ai reçu ma convocation, je ne m’y attendais pas du tout. D’ailleurs son contenu n’en définissait pas l’objet. Il était tout juste écrit : «Veuillez vous présenter le… à… à la cour d’Alger.» Cela ne m’a pas inquiété outre mesure, ça a au contraire excité ma curiosité. Le jour J, je me présenta à la cour muni de ma convocation, un huissier me conduisit dans une grande salle où il y avait beaucoup de monde. Une chose avait attiré mon attention : toutes les personnes qui s’y trouvaient, tous des hommes, avaient des cheveux blancs. Plus tard, j’ai su que c’étaient tous des fonctionnaires à la retraite. J’étais à l’époque le plus jeune. On s’assoit donc, puis un magistrat et des assesseurs entrent dans la salle. Le magistrat nous explique l’objet de notre présence dans la cour, et fait son laïus. Ensuite, il fera l’appel et ne manquera pas de signaler les absents. Il procédera enfin au tirage au sort. Et comme par hasard je suis retenu avec un second assesseur. Là, j’ai lu dans les yeux du magistrat comme de l’inquiétude. J’ai alors compris que c’était par rapport à mon âge. On nous communiquera la date du procès en nous rappelant la lourde responsabilité qui nous attendait. On sera vite rassérénés par les «vieux» qui ont déjà été sélectionnés, et fait partie d’un jury.» C’est de la fierté que Brahim ressentira lorsque pour la première fois il aura à donner son avis dans le jugement d’un homme qui a commis un meurtre. «Au début, j’étais fier de participer à un procès, une curiosité de voir dans les faits comment ça se passe, car on ne voyait ça que dans les films. C’est assez impressionnant de voir des témoins défiler à la barre. Je me souviens, j’étais très vigilant, car c’était la première fois que j’étais confronté à ce genre de situation. A un moment donné, et à mon niveau, je me dis que je tenais entre mes mains la vie d’une personne. Avec du recul, je me rends compte qu’aucune préparation psychologique n’est prévue pour les ascesseurs. L’on se retrouve en face de l’accusé, des témoins, d’un procureur, d’une partie civile, tout le monde parle un arabe chatié que je ne comprenais pas car j’étais plutôt francophone, ce n’était pas une mince affaire. Mais il faut dire que je prenais très au sérieux mon rôle. Je tenais à donner mon avis dans ce procès, il n’était pas question pour moi de déléguer la responsabilité au magistrat. Pendant le procès, on écoute, on pose des questions. Le plus dur c’est lors des délibérations. Là, on se rend compte qu’on est confronté à soi-même. C’était un moment important dans ma vie. Je suis allé au plus profond de moi-même. Je me suis découvert pas mal de choses. C’est en fait une auto-analyse. Moi j’en suis sorti grandi de cette épreuve car c’en est une. J’estime que j’ai accompli mon devoir de citoyen, que j’ai assumé pleinement mon rôle. Plus de 20 ans après cette expérience, je reste toujours convaincu de l’avis que j’avais donné à l’époque.» 


Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/01/21/article.php?sid=129017&cid=52

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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