Par Kaddour M’HAMSADJI
en pays de culture religieuse, il est toujours un héros sacré dans la cité, et son autoformation dans le domaine du culte du divin lui confère une sainteté dont le message spirituel est attendu, écouté et vénéré par la communauté.
Diwân ech-Cheïkh Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî (*) réalisé par Mohammed Benamar Zerhouni, haut fonctionnaire de l’État, et préfacé par M. le Président Abdelaziz Bouteflika, est une pièce importante dans le domaine de la poésie populaire orale nationale.
À Nedroma, en wilaya de Tlemcen, il est un tombeau devant lequel vont se recueillir de nombreux adeptes de la tarîqa (ordre religieux) de Sîdî Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî (1850-1938) dont l’essentiel est l’amour infini pour Dieu et la pratique constante d’une morale religieuse sans reproche. De fait, son mysticisme est de caractère çoûfî maghrébin, issu d’une doctrine métaphysique fortement humaniste et abondamment imprégnée de la pensée théosophique de l’illustre andalou Mohieddine Ibn Arabî (1165/1240), surnommé «Cheïkh el Akbar» dont, au reste, l’émir Abd el Kader avait lu des ouvrages et avait été admirateur. Homme de foi, né dans une famille pieuse, élevé dans le respect des valeurs traditionnelles, formé à l’école coranique et au contact de maîtres et de savants religieux célèbres de Nedroma et instruit d’une vie sociale en manque de certitude mais réceptive, ce saint à la vie intérieure ardente, s’est totalement voué à la recherche de la Vérité de Dieu. Une zawiya à Nedroma et une autre à Tlemcen continuent la tarîqa appelée achoûriya du vocable «Achoûr» tiré de Cheïkh Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî.
Pour autant, jeune enfant, Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî s’est tout naturellement passionné de poésies chantées dans le genre hawfî. Jeune homme, il s’est intéressé au genre hawzî, et surtout au genre zadjal qui, inspiré du mouwachchah, lui paraît plus populaire par la langue, l’arabe andalou, et par le rythme plus cadencé. Un temps après, il s’adonne franchement à la musique populaire, joue des instruments traditionnels de l’époque et devient chef d’orchestre. Doué – dit-on – d’une belle voix, il interprète des textes de poètes populaires renommés qui, à l’évidence, l’incitent à créer sa propre poésie; et, pour profane qu’elle ait été, cette poésie a été un don divin qui lui a permis de célébrer la vie, ses agréments et ses difficultés. Mais il ne tarde pas, d’abord à soixante deux ans, à se détourner de cette vie devenue trop ´´terrestre´´ pour ne pas abîmer sa conscience religieuse. Sa foi profonde l’ayant appelé à se ressaisir, âgé de soixante-seize ans, il croit bon d’aller à Tlemcen pour prêcher et y vivre en ascète tout en produisant des poèmes d’une rare élévation spirituelle, inspirée par son épouse Meryem, la fille de cheïkh M’hamed Remaoune, grand maître du genre melhoûn. Sa conduite, son enseignement en langue arabe populaire d’Algérie, ses qaçâid (environ cinq cents poèmes récités ou chantés, accompagnés ou non d’instrument de musique) constituent autant de messages et de leçons à apprendre, à méditer et à transmettre à ses fidèles et à ceux qui ne le connaissent pas. Il décède à l’âge de 88 ans, non à Tlemcen, mais à Nedroma.
Un recueil de ses qaçâid vient de paraître, en deuxième et magnifique édition, sous le titre Diwân ech-Cheïkh Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî, préfacé longuement par M.le Président Abdelaziz Bouteflika pour situer l’oeuvre dans son époque et souligner l’intérêt qu’il porte lui-même à toute expression culturelle nationale. Nous y lisons notamment, d’après une traduction de l’original en arabe: «Cette poésie populaire est véhiculée par la langue arabe qui unit les enfants de ce pays, et par une langue amazighe pure qui demeure pratiquée dans de nombreuses régions du pays. Ce qui en transparaît, c’est cette culture arabe authentique dont les racines plongent dans les profondeurs du patrimoine populaire qui marque de son sceau tous ceux qui se sont adonnés, chez nous, à la création poétique. [...] Pour démontrer que ce patrimoine n’a pas de prix, il me suffirait de dire qu’il pourrait nous aider, à charge pour nous de nous imprégner de ses valeurs éclairées et d’en tirer les enseignements, à nous réconcilier définitivement avec nous-mêmes, à nous situer, en connaissance de cause, dans le temps et l’espace, et à nous mobiliser, corps et âme, en tant que nation une et indivisible…».
Les qaçâid de Cheïkh Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî ont été réunies, vérifiées, transcrites (dans leur langue d’origine: l’arabe populaire), choisies, classées par thèmes et présentées par Mohammed Benamar Zerhouni, soixante-trois ans, lui-même natif de Nedroma. Il est, par ailleurs, auteur d’oeuvres littéraires dont: Min rouh el alam (en coauteur avec Lahbîb Hachlâf, 1991; Diwân ech-Cheïkh et-Tlemsânî Bou Madiène Ben Sahla, 2001; Diwân ech-Cheïkh Abd el Qâder el Khâlidî, 2003; Kinâche Sî Idris Ben Rahhâl, 2009. Mohammed Benamar Zerhouni s’annonce naturellement comme un défenseur éclairé du patrimoine immatériel, notamment de la poésie orale en langue arabe populaire très riche de notre pays. Pour lui, il s’agit de mettre jalousement à la place d’honneur qu’elle mérite dans la culture nationale, une culture populaire authentique algérienne à laquelle a contribué directement, entre autres, le saint homme, Cheïkh Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî totalement voué à la recherche de la Vérité de Dieu et qui s’est formé de sa seule inspiration de la vision du monde qui l’entoure et de la société dont il est issu. La langue orale utilisée tire sa saveur, sa pureté et sa conviction de la Source algérienne et plus largement maghrébine, à la fonction multiple, à la fois géographique, historique, humaine, culturelle, cultuelle, régionale et unitaire.
Pour en venir au fonds du Diwân, je crois reconnaître chez Mohammed Benamar Zerhouni un scrupule de chercheur – car il explique comment il a pu réussir sa belle compilation – et une sérieuse application d’amoureux de beaux poèmes populaires qui entend faire sentir au lecteur, sans doute, non seulement «l’essence spirituelle» du poète mystique ech-Cheikh Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî, mais bien entendu aussi la valeur éducative, culturelle et artistique des qaçâid proposées. Aussi a-t-il groupé les poèmes traitant du même thème et les a-t-il agencés en quatre parties: 1 – Essâir wal maghmoûr min eddour el mantoûr fî ach-âr Qaddoûr (65 poèmes). 2 – Kounoûz el anhâr wal bouhoûr fî diwân essar wan noûr (77 poèmes). 3 – Essadâ wal louhma fî essar wal hamma min wahb çâhib el maramma (35 poèmes). 4 – Mâ âd ilâ edhdhouhoûr min ach-âr ech-cheîkh Qaddoûr (26 poèmes).
Évoquant ici la poésie populaire de cheikh Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî, n’oublions pas d’autres auteurs et interprètes de poésies chantées des autres régions de notre pays, tel Cheikh el hâdj Khelifi Ahmed – qui vient d’avoir quatre-vingts ans – à la voix autant pleine qu’étendue qui se développe dans les espaces infinis dont elle s’inspire, depuis les sables du Sahara, à travers toutes les Hautes Plaines où il faut situer Boussaâda et Soûr El Ghouzlâne jusqu’au Tell de l’Algérie.
(*) Diwân ech-Cheïkh Qaddoûr Ben Achoûr ez-Zarhoûnî par Mohammed Benamar Zerhouni, Format 22×30 cm, couverture cartonnée en couleur. Éditions Houma/Bibliothèque nationale, Alger, 2011, 628 pages.
21 janvier 2012
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