RSS

LE MAL POLITIQUE ALGÉRIEN Ou le Boumediénisme rattrapé par l’histoire Par Kamel Khelifa, auteur (2e partie et fin)

18 janvier 2012

Contributions


La lourde responsabilité de Houari Boumediene. Un pays, une ville, un village, une maison ou une nation sont bâtis par des pères fondateurs. S’agissant d’un pays, il vit d’autant plus longtemps qu’il a des fondations solides, connues sous le nom d’institutions de l’Etat…
Les institutions reposent sur des structures politiques et sociales établies dans un corpus de textes juridiques, à la tête desquels se trouve la Constitution, loi suprême du pays, définies à partir d’un choix de société, résultant naturellement de consensus ou de compromis… La République de San Marin (voisine de l’Italie) est la plus vieille république moderne, avec la Constitution la plus ancienne (élaborée vers 1300) de six tomes et plus de trois cents rubriques, résultant de compromis, de traités, d’alliances et de consensus politiques, obtenus par une poignée de seigneurs et de familles vers 1600 ; c’est la solidité de ses institutions et la qualité de ses hommes qui a fait d’un territoire de 61 km2 (peuplé aujourd’hui d’environ 30 000 habitants seulement), un Etat tellement respectable que même Napoléon Bonaparte n’osera pas envahir, par admiration et respect de ses lois et de ses hommes… Aux États-Unis, le consensus est partout dans les institutions du pays (Convention, Congrès, Sénat…). Cette logique avait conduit à l’élaboration de la Constitution des Provinces Unies en 1787, fondée sur le principe intangible d’un gouvernement tenu par l’obligation du respect du droit des citoyens, de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, etc. En France, si on fait un survol rapide des différentes fondations du pays, depuis Clovis à Charlemagne, en allant vers l’Ancien Régime, et ce, jusqu’à la Révolution française de 1789, année de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les nouvelles fondations sont le résultat d’un compromis entre les révolutionnaires et la noblesse. Les couleurs mêmes du drapeau français sont le résultat d’un consensus entre le blanc, emblème de la royauté et de la noblesse et le bleu et le rouge (couleur de la ville de Paris), choisis par les révolutionnaires. Si la maison Algérie va mal aujourd’hui, la principale cause en est l’absence de consensus depuis l’indépendance. Du coup, repose-t-elle au départ sur des fondations branlantes à cause de dessins faits et de matériaux utilisés in absentia : absence de deux conditions sine qua none, sans lesquelles aucune congruence n’est possible : les aspirations réelles (pas supposées) du peuple et le consensus de ses composantes politiques et sociales. En l’absence de ces deux conditions, l’Algérie s’est dotée d’abord d’un certain type d’institutions, inspirées par le clan d’Oujda à sa tête la troïka Benbella (qui deviendra chef de gouvernement), Khider (secrétaire général du FLN) et Boumediene (ministre de la Défense) ; en dehors de ces compromissions de prise du pouvoir, les compromis ou consensus historiques nécessaires furent mis de côté, en même temps que les autres acteurs politiques n’avaient pas voix au chapitre, ne serait-ce que pour savoir où va l’Algérie ? Outre de s’entendre également sur la définition de certains concepts, comme par exemple le «socialisme spécifique», dont la vacuité n’a d’égale que son insignifiance à l’épreuve du terrain… sauf à rendre le beylik omnipotent et omniscient… Contre la volonté des congressistes à l’intérieur de la salle du congrès et du peuple à l’extérieur, le Congrès d’Alger avait pondu en 1964 la Charte éponyme, consacrant le bicéphalisme des deux premières institutions (Etat-Parti) placés sous la présidence de Ahmed Benbella tout seul ; Khider s’étant démis du poste presqu’un an plus tôt… Benbella savourait sa victoire, mais il n’ignorait pas que ce tête-à-tête avec le patron de l’armée, son vice-président de surcroît, sera lourd de menaces pour son règne… Dès lors, une course au trône allait s’engager, mais l’important pour les deux protagonistes et leur clan était que chacun fasse en sorte que son institution puisse contrôler sans être contrôlée ni contrôlable… Pourtant, Boumediene facilitera à Benbella la transformation du parti et de l’Etat (en Parti-Etat), pour écraser avec leurs puissants démembrements les oppositions, la société, le citoyen et dans la foulée rendre le raïs comptable de toutes les erreurs et faux pas, de manière à justifier le coup d’Etat en gestation… Mais à partir du 19 juin 1965, Boumediene, grand vainqueur du pugilat, lança une vaste entreprise de démolition des hommes, des institutions de l’Etat et celles du parti, remplacés par l’arbitraire et le favoritisme. D’ailleurs, même le FLN (son mythe épargné pour servir plus tard de faire-valoir) fut désacralisé et le titulaire du poste, habituellement appelé SG du bureau politique, sera rapetissé au statut de «responsable de l’appareil du parti», juste pour signifier à tout le monde que Boumediene était le seul maître à bord … Avec un espace politique cadenassé, des institutions fermées et des élus renvoyés, Boumediene se servira un temps du pseudo Conseil de la révolution, qui ne s’est réuni qu’en quelques rares occasions, objet de la ruade de Tahar Zbiri et la tentative de coup d’Etat de 1967. En parallèle, il se reposera sur certains corps de l’administration pour penser et élaborer les lois et règlements, etc. Sous d’autres cieux, l’administration exécute les lois et sert de relais entre l’Etat et le citoyen… En Algérie, elle grignotera de tels espaces de pouvoirs qu’elle finira en bureaucratie (pouvoir des bureaux), exerçant ses tâches avec mépris du citoyen et dans l’impunité, ce qui en fera la branche exécutive du gouvernement la plus honnie du pays. C’est le privilège de ce pouvoir inédit de rester impuni, en compensation de tous les services rendus : chiffres statistiques tronqués, élections truquées avec des pourcentages qui donnent le tournis, par exemple des 98% et 99% de OUI… Les fonctionnaires dignes de ce nom, et l’auteur en connaît une foultitude pour avoir servi à leurs côtés, furent mis dans des voies de garage et remplacés à des postes-clefs par certains sbires «au garde-à-vous et sans mot dire», pour recevoir des injonctions et obéir au leitmotiv : «C’est une décision politique, on ne discute pas.» Mais le pouvoir et les interdits aidant, la bureaucratie rencontrera en chemin la corruption ( chipa), inaugurée à grande échelle en 1967 avec l’avènement de l’autorisation de sortie du territoire, suivant un barème, variant selon les villes, les circonstances et la durée de l’autorisation de 500 à 3 000 DA, représentant beaucoup d’argent à l’époque, quand on sait que le Smig était de 450 DA. Mais véritablement, la curée commencera le jour où Boumediene prononça du haut de son «minbar» l’absolution des dignitaires du régime et de leurs sbires dénoncés par la presse internationale pour ivresse avancée par excès de pots-de-vin, en déclarant : «Quoi de plus naturel que celui qui travaille dans le miel, trempe son doigt dans le pot.» Au fil des ans, arbitraire et chipa n’ont fait que grossir inexorablement, n’épargnant plus personne, même pas le simple appariteur, dont la mission de recevoir des gens, pour les renseigner seulement, se permet de faire admettre dans un bureau ou renvoyer à sa guise les citoyens sans autre forme de procès ; les bureaucrates derrière leurs bureaux et guichets interprétant ou créant dans l’impunité leurs propres lois et règlements. N’a-t-on pas vu des circulaires neutraliser des ordonnances ou bien des lois promulguées et jamais appliquées pour certains et exacerbées pour d’autres ? Pourquoi s’en priver quand le pays est dirigé sans institutions et sans élus, sans contrepouvoirs ni de lieux où se plaindre… Donc, au lendemain de la disparition de Boumediene, la situation était déjà inextricable(*), dans tous les domaines.(*) Dans les Aurès et dans l’est algérien, on invoquait un personnage mythique, à la force et à l’intelligence hors du commun, du nom de Amar Bouzzouar, pour dire que «l’entreprise restera vaine…» Qui est responsable de cette déconfiture totale ? Mis à part un bref intermède de trois ans où Benbella était co-dessinateur muni d’un petit crayon, le grand architecte du système, le maître d’ouvrage et tout à la fois fut, sans conteste (et le restera pour la postérité), Houari Boumediene… Passons sommairement au bilan économique et social de cet homme dont il nous est vanté la vision et la stratégie. L’Algérie était déjà exsangue économiquement à la mort de Boumediene. En effet, après avoir été le premier exportateur des produits de la terre du bassin méditerranéen dans les années 60, avec des chiffres qui dépassaient le million de tonnes, dont une part importante à l’état de primeurs (chiffres atteints par le Maroc seulement au milieu des années 2000), les recettes en devises de l’Algérie n’ont fait que décliner d’année en année pour atteindre aujourd’hui 2% hors hydrocarbures. Les chiffres sont là pour montrer qu’en 1978, l’Algérie était déjà mono-exportatrice du pétrole ; produit grâce auquel elle vivait déjà sous perfusion grâce à la situation de rente provoquée par le premier choc pétrolier (1973) et le deuxième en 1976… Les errances ne se résument pas seulement à l’échec des «trois glorieuses révolutions», mais elles furent marquées par d’autres initiatives malheureuses, dont je n’en évoquerai que les situations les plus criantes : la prétendue révolution agraire vit de nombreuses parcelles enlevées de force à leurs propriétaires, pour voir in fine leurs terres abandonnées en jachère perpétuelle et le pays mis à terre par les pénuries ; la fallacieuse révolution industrielle, fondée sur la prétendue «industrie industrialisante » qui a pompé tout le génie, l’énergie et l’argent de l’Algérie, se retrouvant en train d’importer des voitures Tchilougui russes, des Polski, des Zastava yougoslaves, des Dacia roumaines, alors que le pays couvrait largement ses besoins avec la Caral Renault ; aujourd’hui notre pays cherche désespérément un partenaire pour re-créer une industrie automobile ; c’est qu’«à l’époque, dira le docteur en économie Rachid Boudjema*, l’Algérie avait fait fausse route en matière de choix économiques… Elle a démarré dans les années 1970 sur l’idée erronée de la possibilité d’acheter plutôt que de construire un système productif» ; au moment où Chinois et Soviétiques cherchaient, dans les années 1970, des ouvertures libérales, l’Algérie nationalisait obstinément des pans entiers de l’économie, dans un but d’aliénation des Algériens pour les rendre tributaires du seul système ; la politique de cogestion (GSE), instaurée au début des années 70, a eu pour seul effet de mutiler les bras des travailleurs et d’empêcher les gestionnaires de sociétés nationales d’avancer, neutralisés par les cactus semés sur leur chemin par des cellules syndicales, avec lesquelles ils étaient constamment aux prises, dès lors que celles-ci étaient remontées comme des réveils par un discours aux accents populistes, dont Boumediene s’avèrera un sophiste hors pair ; de là sont nées les crises de la sanction (positive et négative) et de l’autorité dans la gestion du pays, en donnant l’impression «au collectif des travailleurs» qu’il était promu à la barre ; depuis 1973, la médecine au rabais était née, mais en fait elle était aussi gratuite que l’acte lui ayant donné le jour, dès lors que les cotisations sociales continuaient à être prélevées sur les fiches de paie mensuelles des salariés et les indigents bénéficiaient comme auparavant de l’AMG (assistance médicale gratuite), instaurée en 1947 dans tous les centres de santé du pays ; l’exode rural, encadré pendant la guerre par Paul Delouvier, dans le but de contrôler les populations et de casser les liens avec les «fellaga», à travers sa fameuse politique de regroupement qui deviendra dans le plan de Constantine «1 000 villages de recasement », continuera sous Boumediene, lequel reprendra à son compte l’idée du délégué général du gouvernement français, en changeant juste l’intitulé : «1 000 villages socialistes» ; l’école fondamentale, l’arabisation, les mathématiques modernes, la méthode globale d’enseignement, politique menée au pas de charge in absentia (sans que les intéressés et concernés, en l’occurrence le corps enseignant et les parents d’élèves, ne puissent dire mot), furent autant de causes du bouleversement de l’enseignement et de la société ; les dettes du pays, dont il était interdit de piper mot, furent de 19 milliards pour la dette civile et de 7 milliards de dollars de dette militaire, à la fin de l’année 1978… Si l’histoire officielle fait l’impasse sur le bilan de Boumediene et de ses successeurs, en refusant l’élaboration de «livres blancs», de livres verts, d’audits de gestion et autres quitus, apparemment Internet a l’air de combler cette lacune avantageusement… D’ailleurs, jamais proverbe en usage dans le pays n’aura eu autant de signification aujourd’hui, comme : «Cacher le soleil avec un tamis.» Qu’on se le dise, tous les mythes et mystifications, même les plus méticuleusement élaborés, finiront par perdre cette apparence de vérité et rejaillir à la face de leurs auteurs, à travers la Toile, et ce, à une échelle planétaire et dans toutes les langues. Si le peuple algérien avait soldé ses comptes en 1962, notamment avec la révolution de Novembre et toutes ses représentations, l’Algérie n’aurait pas attendu 50 ans pour découvrir sidérée la dilapidation et la gabegie à grande échelle, des meurtres, des assassinats, des luttes fratricides pour le pouvoir par les frères de combat, notamment à travers des révélations, comme celles de Mohamed Maarfia et Mahdi Chérif, auxquels il faut rendre un hommage appuyé pour leurs courage et probité… La seule institution qui sortira grandie de cette histoire est sans doute l’ALN, grâce sans doute à la suite dans les idées de Boumediene de l’«épurer» de ses anciens maquisards contestant son pouvoir, en la préservant dans un musée… Si le FLN avait pu connaître le même sort, en entrant dans les vestiges de l’histoire, comme propriété et symbole de la lutte de tout un peuple, son nom ne serait pas devenu un instrument involontaire, balloté entre les mains de clans, d’oligarchies et la propriété privée de gens en lice pour le pouvoir et le partage de la rente… En son nom, et pendant longtemps, la marmite était verrouillée et lorsque le couvercle a fini par sauter, apparaît alors l’image d’une pauvre Algérie malheureuse, malade, maltraitée, pervertie, violentée, souillée… N’est-il pas encore temps de suivre l’exemple de l’Afrique du Sud, pays qui a eu l’intelligence de constituer une «Commission justice et vérité», présidée par l’archevêque Desmon Toutou, un homme au-dessus de tout soupçon, pour solder tous les comptes en suspens et se consacrer désormais à son développement économique, social et culturel… L’Algérie aura-t-elle le courage, la sagesse et la volonté politique d’en faire autant, en ouvrant une nouvelle page d’histoire avec une Deuxième République ? On demande à voir, mais a priori il est permis d’en douter !
K. K.
* Economie du développement de l’Algérie 1960-2010,édition Dar El-Khaldounia

LE MAL POLITIQUE ALGÉRIEN
Ou le Boumediénisme rattrapé par l’histoire

Par Kamel Khelifa, auteur (2e partie et fin)
La lourde responsabilité de Houari Boumediene. Un pays, une ville, un village, une maison ou une nation sont bâtis par des pères fondateurs. S’agissant d’un pays, il vit d’autant plus longtemps qu’il a des fondations solides, connues sous le nom d’institutions de l’Etat…
Les institutions reposent sur des structures politiques et sociales établies dans un corpus de textes juridiques, à la tête desquels se trouve la Constitution, loi suprême du pays, définies à partir d’un choix de société, résultant naturellement de consensus ou de compromis… La République de San Marin (voisine de l’Italie) est la plus vieille république moderne, avec la Constitution la plus ancienne (élaborée vers 1300) de six tomes et plus de trois cents rubriques, résultant de compromis, de traités, d’alliances et de consensus politiques, obtenus par une poignée de seigneurs et de familles vers 1600 ; c’est la solidité de ses institutions et la qualité de ses hommes qui a fait d’un territoire de 61 km2 (peuplé aujourd’hui d’environ 30 000 habitants seulement), un Etat tellement respectable que même Napoléon Bonaparte n’osera pas envahir, par admiration et respect de ses lois et de ses hommes… Aux États-Unis, le consensus est partout dans les institutions du pays (Convention, Congrès, Sénat…). Cette logique avait conduit à l’élaboration de la Constitution des Provinces Unies en 1787, fondée sur le principe intangible d’un gouvernement tenu par l’obligation du respect du droit des citoyens, de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, etc. En France, si on fait un survol rapide des différentes fondations du pays, depuis Clovis à Charlemagne, en allant vers l’Ancien Régime, et ce, jusqu’à la Révolution française de 1789, année de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les nouvelles fondations sont le résultat d’un compromis entre les révolutionnaires et la noblesse. Les couleurs mêmes du drapeau français sont le résultat d’un consensus entre le blanc, emblème de la royauté et de la noblesse et le bleu et le rouge (couleur de la ville de Paris), choisis par les révolutionnaires. Si la maison Algérie va mal aujourd’hui, la principale cause en est l’absence de consensus depuis l’indépendance. Du coup, repose-t-elle au départ sur des fondations branlantes à cause de dessins faits et de matériaux utilisés in absentia : absence de deux conditions sine qua none, sans lesquelles aucune congruence n’est possible : les aspirations réelles (pas supposées) du peuple et le consensus de ses composantes politiques et sociales. En l’absence de ces deux conditions, l’Algérie s’est dotée d’abord d’un certain type d’institutions, inspirées par le clan d’Oujda à sa tête la troïka Benbella (qui deviendra chef de gouvernement), Khider (secrétaire général du FLN) et Boumediene (ministre de la Défense) ; en dehors de ces compromissions de prise du pouvoir, les compromis ou consensus historiques nécessaires furent mis de côté, en même temps que les autres acteurs politiques n’avaient pas voix au chapitre, ne serait-ce que pour savoir où va l’Algérie ? Outre de s’entendre également sur la définition de certains concepts, comme par exemple le «socialisme spécifique», dont la vacuité n’a d’égale que son insignifiance à l’épreuve du terrain… sauf à rendre le beylik omnipotent et omniscient… Contre la volonté des congressistes à l’intérieur de la salle du congrès et du peuple à l’extérieur, le Congrès d’Alger avait pondu en 1964 la Charte éponyme, consacrant le bicéphalisme des deux premières institutions (Etat-Parti) placés sous la présidence de Ahmed Benbella tout seul ; Khider s’étant démis du poste presqu’un an plus tôt… Benbella savourait sa victoire, mais il n’ignorait pas que ce tête-à-tête avec le patron de l’armée, son vice-président de surcroît, sera lourd de menaces pour son règne… Dès lors, une course au trône allait s’engager, mais l’important pour les deux protagonistes et leur clan était que chacun fasse en sorte que son institution puisse contrôler sans être contrôlée ni contrôlable… Pourtant, Boumediene facilitera à Benbella la transformation du parti et de l’Etat (en Parti-Etat), pour écraser avec leurs puissants démembrements les oppositions, la société, le citoyen et dans la foulée rendre le raïs comptable de toutes les erreurs et faux pas, de manière à justifier le coup d’Etat en gestation… Mais à partir du 19 juin 1965, Boumediene, grand vainqueur du pugilat, lança une vaste entreprise de démolition des hommes, des institutions de l’Etat et celles du parti, remplacés par l’arbitraire et le favoritisme. D’ailleurs, même le FLN (son mythe épargné pour servir plus tard de faire-valoir) fut désacralisé et le titulaire du poste, habituellement appelé SG du bureau politique, sera rapetissé au statut de «responsable de l’appareil du parti», juste pour signifier à tout le monde que Boumediene était le seul maître à bord … Avec un espace politique cadenassé, des institutions fermées et des élus renvoyés, Boumediene se servira un temps du pseudo Conseil de la révolution, qui ne s’est réuni qu’en quelques rares occasions, objet de la ruade de Tahar Zbiri et la tentative de coup d’Etat de 1967. En parallèle, il se reposera sur certains corps de l’administration pour penser et élaborer les lois et règlements, etc. Sous d’autres cieux, l’administration exécute les lois et sert de relais entre l’Etat et le citoyen… En Algérie, elle grignotera de tels espaces de pouvoirs qu’elle finira en bureaucratie (pouvoir des bureaux), exerçant ses tâches avec mépris du citoyen et dans l’impunité, ce qui en fera la branche exécutive du gouvernement la plus honnie du pays. C’est le privilège de ce pouvoir inédit de rester impuni, en compensation de tous les services rendus : chiffres statistiques tronqués, élections truquées avec des pourcentages qui donnent le tournis, par exemple des 98% et 99% de OUI… Les fonctionnaires dignes de ce nom, et l’auteur en connaît une foultitude pour avoir servi à leurs côtés, furent mis dans des voies de garage et remplacés à des postes-clefs par certains sbires «au garde-à-vous et sans mot dire», pour recevoir des injonctions et obéir au leitmotiv : «C’est une décision politique, on ne discute pas.» Mais le pouvoir et les interdits aidant, la bureaucratie rencontrera en chemin la corruption ( chipa), inaugurée à grande échelle en 1967 avec l’avènement de l’autorisation de sortie du territoire, suivant un barème, variant selon les villes, les circonstances et la durée de l’autorisation de 500 à 3 000 DA, représentant beaucoup d’argent à l’époque, quand on sait que le Smig était de 450 DA. Mais véritablement, la curée commencera le jour où Boumediene prononça du haut de son «minbar» l’absolution des dignitaires du régime et de leurs sbires dénoncés par la presse internationale pour ivresse avancée par excès de pots-de-vin, en déclarant : «Quoi de plus naturel que celui qui travaille dans le miel, trempe son doigt dans le pot.» Au fil des ans, arbitraire et chipa n’ont fait que grossir inexorablement, n’épargnant plus personne, même pas le simple appariteur, dont la mission de recevoir des gens, pour les renseigner seulement, se permet de faire admettre dans un bureau ou renvoyer à sa guise les citoyens sans autre forme de procès ; les bureaucrates derrière leurs bureaux et guichets interprétant ou créant dans l’impunité leurs propres lois et règlements. N’a-t-on pas vu des circulaires neutraliser des ordonnances ou bien des lois promulguées et jamais appliquées pour certains et exacerbées pour d’autres ? Pourquoi s’en priver quand le pays est dirigé sans institutions et sans élus, sans contrepouvoirs ni de lieux où se plaindre… Donc, au lendemain de la disparition de Boumediene, la situation était déjà inextricable(*), dans tous les domaines.(*) Dans les Aurès et dans l’est algérien, on invoquait un personnage mythique, à la force et à l’intelligence hors du commun, du nom de Amar Bouzzouar, pour dire que «l’entreprise restera vaine…» Qui est responsable de cette déconfiture totale ? Mis à part un bref intermède de trois ans où Benbella était co-dessinateur muni d’un petit crayon, le grand architecte du système, le maître d’ouvrage et tout à la fois fut, sans conteste (et le restera pour la postérité), Houari Boumediene… Passons sommairement au bilan économique et social de cet homme dont il nous est vanté la vision et la stratégie. L’Algérie était déjà exsangue économiquement à la mort de Boumediene. En effet, après avoir été le premier exportateur des produits de la terre du bassin méditerranéen dans les années 60, avec des chiffres qui dépassaient le million de tonnes, dont une part importante à l’état de primeurs (chiffres atteints par le Maroc seulement au milieu des années 2000), les recettes en devises de l’Algérie n’ont fait que décliner d’année en année pour atteindre aujourd’hui 2% hors hydrocarbures. Les chiffres sont là pour montrer qu’en 1978, l’Algérie était déjà mono-exportatrice du pétrole ; produit grâce auquel elle vivait déjà sous perfusion grâce à la situation de rente provoquée par le premier choc pétrolier (1973) et le deuxième en 1976… Les errances ne se résument pas seulement à l’échec des «trois glorieuses révolutions», mais elles furent marquées par d’autres initiatives malheureuses, dont je n’en évoquerai que les situations les plus criantes : la prétendue révolution agraire vit de nombreuses parcelles enlevées de force à leurs propriétaires, pour voir in fine leurs terres abandonnées en jachère perpétuelle et le pays mis à terre par les pénuries ; la fallacieuse révolution industrielle, fondée sur la prétendue «industrie industrialisante » qui a pompé tout le génie, l’énergie et l’argent de l’Algérie, se retrouvant en train d’importer des voitures Tchilougui russes, des Polski, des Zastava yougoslaves, des Dacia roumaines, alors que le pays couvrait largement ses besoins avec la Caral Renault ; aujourd’hui notre pays cherche désespérément un partenaire pour re-créer une industrie automobile ; c’est qu’«à l’époque, dira le docteur en économie Rachid Boudjema*, l’Algérie avait fait fausse route en matière de choix économiques… Elle a démarré dans les années 1970 sur l’idée erronée de la possibilité d’acheter plutôt que de construire un système productif» ; au moment où Chinois et Soviétiques cherchaient, dans les années 1970, des ouvertures libérales, l’Algérie nationalisait obstinément des pans entiers de l’économie, dans un but d’aliénation des Algériens pour les rendre tributaires du seul système ; la politique de cogestion (GSE), instaurée au début des années 70, a eu pour seul effet de mutiler les bras des travailleurs et d’empêcher les gestionnaires de sociétés nationales d’avancer, neutralisés par les cactus semés sur leur chemin par des cellules syndicales, avec lesquelles ils étaient constamment aux prises, dès lors que celles-ci étaient remontées comme des réveils par un discours aux accents populistes, dont Boumediene s’avèrera un sophiste hors pair ; de là sont nées les crises de la sanction (positive et négative) et de l’autorité dans la gestion du pays, en donnant l’impression «au collectif des travailleurs» qu’il était promu à la barre ; depuis 1973, la médecine au rabais était née, mais en fait elle était aussi gratuite que l’acte lui ayant donné le jour, dès lors que les cotisations sociales continuaient à être prélevées sur les fiches de paie mensuelles des salariés et les indigents bénéficiaient comme auparavant de l’AMG (assistance médicale gratuite), instaurée en 1947 dans tous les centres de santé du pays ; l’exode rural, encadré pendant la guerre par Paul Delouvier, dans le but de contrôler les populations et de casser les liens avec les «fellaga», à travers sa fameuse politique de regroupement qui deviendra dans le plan de Constantine «1 000 villages de recasement », continuera sous Boumediene, lequel reprendra à son compte l’idée du délégué général du gouvernement français, en changeant juste l’intitulé : «1 000 villages socialistes» ; l’école fondamentale, l’arabisation, les mathématiques modernes, la méthode globale d’enseignement, politique menée au pas de charge in absentia (sans que les intéressés et concernés, en l’occurrence le corps enseignant et les parents d’élèves, ne puissent dire mot), furent autant de causes du bouleversement de l’enseignement et de la société ; les dettes du pays, dont il était interdit de piper mot, furent de 19 milliards pour la dette civile et de 7 milliards de dollars de dette militaire, à la fin de l’année 1978… Si l’histoire officielle fait l’impasse sur le bilan de Boumediene et de ses successeurs, en refusant l’élaboration de «livres blancs», de livres verts, d’audits de gestion et autres quitus, apparemment Internet a l’air de combler cette lacune avantageusement… D’ailleurs, jamais proverbe en usage dans le pays n’aura eu autant de signification aujourd’hui, comme : «Cacher le soleil avec un tamis.» Qu’on se le dise, tous les mythes et mystifications, même les plus méticuleusement élaborés, finiront par perdre cette apparence de vérité et rejaillir à la face de leurs auteurs, à travers la Toile, et ce, à une échelle planétaire et dans toutes les langues. Si le peuple algérien avait soldé ses comptes en 1962, notamment avec la révolution de Novembre et toutes ses représentations, l’Algérie n’aurait pas attendu 50 ans pour découvrir sidérée la dilapidation et la gabegie à grande échelle, des meurtres, des assassinats, des luttes fratricides pour le pouvoir par les frères de combat, notamment à travers des révélations, comme celles de Mohamed Maarfia et Mahdi Chérif, auxquels il faut rendre un hommage appuyé pour leurs courage et probité… La seule institution qui sortira grandie de cette histoire est sans doute l’ALN, grâce sans doute à la suite dans les idées de Boumediene de l’«épurer» de ses anciens maquisards contestant son pouvoir, en la préservant dans un musée… Si le FLN avait pu connaître le même sort, en entrant dans les vestiges de l’histoire, comme propriété et symbole de la lutte de tout un peuple, son nom ne serait pas devenu un instrument involontaire, balloté entre les mains de clans, d’oligarchies et la propriété privée de gens en lice pour le pouvoir et le partage de la rente… En son nom, et pendant longtemps, la marmite était verrouillée et lorsque le couvercle a fini par sauter, apparaît alors l’image d’une pauvre Algérie malheureuse, malade, maltraitée, pervertie, violentée, souillée… N’est-il pas encore temps de suivre l’exemple de l’Afrique du Sud, pays qui a eu l’intelligence de constituer une «Commission justice et vérité», présidée par l’archevêque Desmon Toutou, un homme au-dessus de tout soupçon, pour solder tous les comptes en suspens et se consacrer désormais à son développement économique, social et culturel… L’Algérie aura-t-elle le courage, la sagesse et la volonté politique d’en faire autant, en ouvrant une nouvelle page d’histoire avec une Deuxième République ? On demande à voir, mais a priori il est permis d’en douter !
K. K.
* Economie du développement de l’Algérie 1960-2010,édition Dar El-Khaldounia

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

Voir tous les articles de Artisan de l'ombre

S'abonner

Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir les mises à jour par e-mail.

Les commentaires sont fermés.

Académie Renée Vivien |
faffoo |
little voice |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | alacroiseedesarts
| Sud
| éditer livre, agent littéra...