le 07.01.12 | 01h00
L’art culinaire et la littérature ont dressé de nombreuses passerelles entre eux.
La fin de l’année est propice aux agapes. La convivialité et le partage sont de mise. La littérature a de tout temps entretenu une relation gourmande avec la gastronomie, en célébrant les plaisirs de table comme pourvoyeurs prolifiques en thématiques incontournables.
Un rapide coup d’œil sur l’histoire littéraire nous renseigne que, dès l’Antiquité, la philosophie grecque s’est emparée du sujet pour donner à l’humanité une œuvre majeure, Le Banquet de Platon. Le titre sonne ici comme un hommage aux différentes gloutonneries qui enchantent la bouche et l’esprit. L’hédonisme des Grecs s’illustre parfaitement dans cet état d’esprit qui combine tous les plaisirs pour atteindre la plénitude. Le XIXe siècle qui voit le roman parvenir à son apogée ne néglige pas la gastronomie et lui consacre différents ouvrages littéraires. Emile Zola, maître du réalisme, se montre d’un appétit insatiable pour l’écriture. Le Ventre de Paris, roman paru en 1873, décrit la frénésie pour la nourriture qui habite la capitale française, mais aussi l’auteur. Ses amis, qu’il recevait dans sa résidence de Médan, témoignent tous de la boulimie de l’auteur et de sa femme pour les plaisirs de la table. Le Ventre de Paris, qui se passe dans les Halles parisiennes, révèle ce monde où le gras est en éternel conflit contre le maigre. La prospérité, selon Zola, ne peut s’incarner que dans la générosité des formes.
La littérature maghrébine, qui est relativement jeune, ne déroge pas à la règle. Rosalia Bivona qui a soutenu, il y a quelques années, une thèse très intéressante, «Nourriture et écriture dans la littérature maghrébine contemporaine», a montré l’omniprésence de la cuisine dans le roman maghrébin. Le corpus d’une douzaine d’œuvres qu’elle a choisie ne semble pas très exhaustif, mais renseigne sur l’intérêt, sinon l’obsession, des auteurs maghrébins pour les plaisirs de la table. Sans oublier que la cuisine joue un rôle important en tant que lieu clivant qui marque la frontière entre le monde des hommes et le monde des femmes. Le partage des tâches reste marginal même dans les romans les plus récents. Le travail de cette chercheuse chemine selon une chronologie implacable où l’on retrouve comme ancêtres les deux maîtres de la littérature algérienne, Mouloud Feraoun et Mohammed Dib. Dans Le Fils du pauvre, Mouloud Feraoun parle beaucoup du couscous. Ce plat typique du Maghreb fédère les générations et renforce les liens entre les membres du clan et du village. Dans La Grande Maison de Mohamed Dib, le jeune Omar qui semble vivre avec la faim chevillée au corps, est en quête perpétuelle de pain. Ces deux romans traduisent bien l’état de la société algérienne pendant l’époque coloniale où les frustrations étaient légion.
Après les indépendances chèrement acquises, Rachid Boudjedra inaugure l’ère des transgressions par l’écrit en nous donnant dans son œuvre, à nos yeux majeure, Le Désordre des choses, un festin de plaisirs qui s’exacerbe au fil des pages en bannissant l’anorexie. Cette écriture qui se nourrit de cuisine est transportée dans la valise des exilés. L’immigré maghrébin retrouve un semblant d’humanité par la mise en valeur de son patrimoine culinaire. Il retrouve une sociabilité qui lui permet de s’implanter dans une société qui fait tout pour le reléguer dans le ghetto. Fellag et Malek Alloula traduisent cette situation à travers deux romans qui se lisent avec gourmandise : Comment réussir un bon petit couscous pour le premier et Les Festins de l’exil pour le second. A propos de la réception par le public occidental, feu Mohammed Dib avait coutume de dire : «Si ces Marocains, ces Tunisiens, ces Algériens tiennent tellement à écrire en français : qu’ils nous mijotent alors de bons tajines bien de chez eux». La réflexion de Mohammed Dib, qui sonne comme une boutade gourmande, pose réellement la question des choix de certains éditeurs français qui veulent cantonner l’auteur maghrébin dans certaines thématiques bien déterminées.
On ne saurait finir ce rapide survol des saveurs que recèlent la littérature sans évoquer les beaux livres qu’on offre ou qu’on feuillette pour le plaisir de l’esprit et des sens. En 2010, un livre a retenu l’attention des critiques par son côté érudit et son esthétique délicieuse : Gourmandise : histoire d’un péché capital de Florent Quellier. On apprend dans ce livre que le christianisme au Moyen-âge considérait la gourmandise comme une sorte de vice car égalant le plaisir sexuel ! Ainsi, l’Eglise occultait le côté convivial pour criminaliser un acte qui rapproche les humains.
Les arts de la table ont fait aussi l’objet d’expositions à travers le monde. Un catalogue très intéressant retrace l’art gourmand qui a été accueilli, du 19 novembre au 23 février 1997, par la galerie du crédit communal de Bruxelles en Belgique. Dans cette bibliographie, un peu restreinte, notre préférence va au roman de Muriel Barbery intitulé Une gourmandise et publié par Gallimard en 2000. Ce roman qui parle d’un critique gastronomique qui, sur son lit de mort, essaye de se souvenir d’une saveur qu’il a connue jadis. On pénètre ainsi dans le monde des saveurs et des senteurs par le biais de mots délicieux et bien mijotés par l’auteur. Cette quête d’une vieille sensation ressentie à travers un plat, transporte le lecteur dans différents restaurants et hauts lieux de la gastronomie. Le voyage est vraiment agréable et le lecteur éprouve un plaisir intense tout au long des pages englouties.
© El Watan
13 janvier 2012
1.LECTURE