CultureSamedi, 07 Janvier 2012
Pour El-Hassar Bénali, tout ce qui a été réalisé dans le cadre de la manifestation “Tlemcen capitale culturelle islamique”, ou presque, s’inscrirait dans le cadre d’une opération d’opportunité et/ou de prestige. De nombreux représentants de la société civile ont la nette impression que cet événement n’aurait servi que de prétexte, encore un, pour ravaler, blanchir, hygiéniser et maintenir en l’état quelques fragments de la mémoire collective. Une mémoire réduite à sa plus simple expression par la caste coloniale française qui a fait disparaître les somptueux vestiges immortalisés par les témoignages de Yahia et Abderrahmane Ibn Khaldoun, Mohammed Abdeldjalil al-Ténessi et Lissan Eddine Ibn el-Khatib. L’amertume d’El-Hassar Bénali est justifiée : aucune restitution n’a été faite de la médersa Tachfiniyya, considérée pourtant, depuis le Moyen âge arabe, comme le plus important centre de production des élites traditionnelles. L’Abbé Bargès ne décrivait-il pas avec fort respect cette médersa, et avec beaucoup d’émotion la beauté de ses éléments décoratifs dont une partie fut rapatriée en France, au musée Cluny ? Ancien responsable des monuments historiques de Tlemcen et journaliste, El-Hassar Bénali est bien placé pour apporter tous les éclairages : “L’opération de rasement de ce monument a duré dix ans, soit jusqu’en 1870.” Le rapport de Louis Adrien Berbrugger, chargé des monuments, ou encore celui de l’historien William Marçais évoquent avec grande réprobation cette destruction qu’ils ont assimilée à un innommable acte de vandalisme. Au nom de la modernisation de l’ancienne médina de Tlemcen, le génie militaire opéra, souligne la même source, la mise en coupe de la ville, imaginant un tracé rectiligne en angles droits qui ne fut pas sans porter atteinte à l’intégrité du tissu médiéval de cette vieille capitale maghrébine. Quarante mosquées, des bains, des fontaines, des espaces adjacents aux vieux quartiers ou harat, des cimetières “ont été carrément profanés à l’image de la nécropole zianide de Sidi Braham où l’on découvrit, comme par hasard en 1847, la pierre tombale de l’infortuné Boabdil, dernier roi de Grenade”. El-Hassar Bénali reconnaît, cependant, que des efforts louables ont été déployés par les autorités à l’effet de donner un aperçu sur ce que fut la capitale des Zianides : “La reconstitution du Palais des Zianides, au cœur même du Méchouar, en est la plus parfaite illustration. Elle est sans doute la plus spectaculaire en raison du choix politique fait pour redonner visage ou encore existence réelle à un des plus prestigieux monuments de la dynastie des Zianides.” C’est dans cet espace emblématique que Yaghmoracen Ibn Ziane mettait en scène les grandes cérémonies d’allégeance regroupant chaque année les grandes tribus en Algérie ou encore “les mouloudiyate de la vieille tradition héritée de Grenade, de grands moments culturels avec poésiades et découvertes scientifiques présentées au public pendant les sept jours de la fête de la Nativité du prophète Sidna Mohammed (QLSSSL)”. Lieu de pouvoir s’il en est, le Méchouar a été également le socle de la résistance algérienne face aux visées expansionnistes et hégémoniques des Mérinides, des Espagnols, des janissaires ottomans et des Français. L’émir Abdelkader n’avait-il pas revendiqué de son vivant le principe de sa libération dans le cadre du Traité de la Tafna qu’il signa avec le général Bugeaud en juin 1837 ? La magnifique restitution de l’un des quatre palais des Zianides par l’architecte-restaurateur Abdessamed Chiali, justement honorée par l’Isesco en présence de Khalida Toumi, invite l’Algérie à persévérer dans cette direction. Elle est une réponse manifeste aux questions de savoir qu’est-ce que le patrimoine dans une société en quête de repères et quel passé celle-ci choisit-elle
de privilégier dans sa lecture de l’histoire ?
(A suivre)
A. M.
zianide2@gmail.com
7 janvier 2012
Contributions