11 janvier 1992-11 janvier 2012, l’Algérie semble revenue au point de départ. A quelques mois des élections législatives, « le Président et le DRS avancent leurs pions ». Ali Yahia Abdenour détaille les luttes de pouvoir pour la sauvegarde de leurs intérêts.
Vingt ans après le départ du président Chadli Bendjedid, on continue à épiloguer sur les circonstances de son départ… Démission ou coup d’Etat ?
Il faut impérativement revenir à octobre 1988 pour avoir des éléments de réponse sur ce qui s’est passé en 1992. Tout d’abord, les 7 et 10 octobre 1988, Ali Benhadj a organisé une marche avec ses sympathisants à Alger. Ces deux dates marquent l’arrivée de l’islamisme politique dans le champ politique algérien. Puis, il y a eu la dissolution de l’Assemblée populaire nationale le 4 janvier 1992, qui s’est faite en totale contradiction avec la Constitution. Cette dernière stipule que le président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée populaire qu’après avis de son président (Abdelaziz Belkhadem à l’époque) et du président du Conseil constitutionnel (Rachid Benhabylès), ça n’a pas été fait. Ajoutez à cela la réunion du Haut-Conseil de sécurité (HCS), le 12 janvier 1992, en session permanente et qui va installer le Haut-Conseil d’Etat (HCE). Du point de vue du droit, quand le Haut-Conseil de sécurité, qui n’est qu’un organisme de consultation sur les sujets de sécurité, s’érige en organisme de décision, il modifie la Constitution qui, je le rappelle, ne peut être modifiée que par le vote des trois quarts des députés ou par un référendum universel. Toutes ces remarques m’amènent à affirmer que le départ du Président a été programmé. Pour moi, au regard de la loi, il s’agit bien d’un coup d’Etat.
Avec la victoire des partis islamistes aux élections dans les pays arabes voisins, pensez-vous que ceux qui ont appelé en Algérie à l’arrêt du processus électoral se sont trompés ?
Ça n’a pas été une erreur, mais plutôt une faute politique. Je suis un militant des droits de l’homme et pour moi, il faut toujours revenir au droit et aux lois. Par exemple, on a beaucoup accusé le FIS, à l’époque, d’être misogyne et d’avoir l’intention de faire voter des lois qui s’en prendraient aux femmes. C’est méconnaître la Constitution de son pays, qui accorde de larges prérogatives au président de la République. Il peut, par exemple, soumettre une loi en deuxième lecture à l’Assemblée ou alors la soumettre au Conseil constitutionnel pour avis et en cas de rejet, la loi est définitivement enterrée. Le FIS était conscient des difficultés qu’il allait rencontrer pour faire passer ses lois à l’Assemblée, c’est pour cela que lors des négociations qu’il a eues avec le Premier ministre de l’époque, Sid Ahmed Ghozali, il avait demandé à ce que les élections législatives et l’élection présidentielle aient lieu en même temps, car il était conscient que seule l’accession à la magistrature suprême permettrait de changer le système politique. Etant donné que c’est l’armée qui fait et défait les présidents. C’est pour cela que j’ai toujours affirmé qu’il aurait fallu laisser le FIS gouverner, d’autant que leur personnel politique n’avait pas les capacités intellectuelles pour assumer la charge de députés. J’ai toujours affirmé qu’il ne fallait pas interrompre le processus électoral. Il fallait laisser le FIS gouverner et n’entreprendre le coup d’Etat qu’au cas où ils auraient tenté de mettre en place une république islamique.
A-t-on eu 200 000 morts pour rien ?
A mon avis, il y en a eu bien plus. Le jour où la vérité éclatera, on sera plus proche des 500 000 morts dans les deux camps.
Dans quelques mois auront lieu des élections législatives. La victoire des islamistes est annoncée. Comment expliquez-vous que vingt ans plus tard, on en soit revenu au même point de départ ?
Parce que rien n’a changé depuis l’arrêt du processus électoral. La situation sociale a empiré. La population voit bien qui sont ceux qui se sont enrichis et ont profité de l’arrêt du processus électoral. La rente du pétrole a été accaparée par des clans du pouvoir. C’est pour cela que je pense que si les élections se déroulent dans la transparence, ce que je doute, les islamistes rafleront la mise et le pouvoir en est conscient. Mais en réalité, les jeux sont déjà faits et on se dirige vers une Assemblée à majorité nationaliste et d’une grande minorité d’islamistes.
Pourquoi, aujourd’hui, la victoire des islamistes semble moins sujette à débat au sein du pouvoir ?
Je pense qu’il ne faut pas analyser le président Bouteflika uniquement sous le prisme de l’homme politique, il faut aussi prendre en compte son côté religieux. Le Président a tenté d’opposer les zaouïas à l’islamisme politique. Actuellement, il dit aux Américains qu’il est capable de remettre les islamistes dans le jeu politique. Ce qui s’est fait en Tunisie et au Maroc. Reste le problème du FIS qui continue, vingt ans après, de mettre en péril tous les stratagèmes mis en place par le pouvoir. Il ne faut pas oublier que Abassi Madani et Ali Benhadj ont été rétablis dans leur droit par la commission des droits de l’homme de l’ONU qui a rappelé au pouvoir algérien que le tribunal qui les a jugés ne les avait pas privés de leurs droits. Quand M. Medelci, ministre des Affaires étrangères, affirme qu’il n’a pas de leçon à recevoir, il oublie que l’Algérie est membre de l’ONU. Cette situation de refus prise à l’encontre des dirigeants du FIS, de pouvoir refaire de la politique, peut avoir des conséquences dangereuses.
Ali Benhadj est décidé à réunir ses sympathisants en dehors d’Alger, comme cela a été fait en Libye avec la rébellion qui s’était organisée à partir de Benghazi. Il va voir si son appel va avoir un écho auprès de la population. Cela va sûrement poser un problème au pouvoir. Il y a le cas du MSP, qui se retire de l’Alliance présidentielle, mais garde ses ministres au sein du gouvernement. Ce parti se compare au parti islamique tunisien Ennahda, qui n’a jamais participé au gouvernement du temps de Ben Ali et dont le leader, Rached Ghannouchi, a été emprisonné pendant 16 années et contraint par la suite à l’exil. Je pense que le pouvoir a décidé de fractionner l’électorat islamiste entre plusieurs partis politiques qu’il a décidé d’agréer. Mohamed Saïd, qui représente l’islam traditionnel, et les candidats de l’islam politique vont se partager un quota de sièges. Mais la vraie lutte, elle, se situe entre le Président et le DRS. Pour le moment, chacun avance ses pions par partis politiques interposés. Par exemple, Abdelaziz Bouteflika veut fédérer tous les courants islamiques autour de lui. Les services lui mettent Abdallah Djaballah pour contrer sa stratégie. La grande question est de savoir comment l’armée va réagir au lendemain des élections législatives, sachant qu’elle s’oppose à l’islamisme politique.
Une intervention de l’armée au lendemain des élections législatives de 2012 vous paraît-elle plausible ?
Non, je ne le crois pas, car l’institution militaire est obligée de tenir compte du contexte international. C’est pourquoi elle a décidé d’être présente dans la préparation des élections en favorisant l’agrément de ses partis affiliés. Je pense qu’en fin de compte, les services vont faire alliance avec le Président pour sauvegarder l’Algérie, mais surtout leurs intérêts.
Pourquoi vingt ans plus tard, seuls les islamistes continuent d’incarner l’alternance au pouvoir ?
Il faut revenir au système politique dictatorial qui est en place en Algérie. Aujourd’hui, les mosquées sont devenues le seul lieu où il existe une forme de liberté d’expression. Il y en a 26 000 en Algérie. A l’ouverture de la campagne électorale, les 26 000 imams vont appeler à voter pour les formations islamistes.
Comme en 1991, deux camps ne risquent-ils pas de s’affronter : les islamistes d’un côté et les abstentionnistes de l’autre ?
Le problème va se poser, car les partis qui vont appeler à l’abstention devront se demander si la stratégie prônée est la bonne. A un moment, il faut accepter d’être présent aux élections pour empêcher que la catastrophe ne se produise.
Salim Mesbah
6 janvier 2012
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