La vérité et le meilleur angle pour s’amuser de cette polémique, c’est de la voir telle qu’elle est aux yeux d’un bon historien algérien : une dispute entre deux anciens colons, sur le dos d’une ancienne colonie. Car si le titre de méchant colon a échu à la France pour cause de proximité dans le temps, l’ancien Ottoman n’a pas fait mieux. Avant le débarquement français, c’étaient les Pères de l’actuelle Turquie qui assuraient la régence du pays et de ses tribus. Mythe ou réalité, la colonisation française est expliquée, officiellement dans les manuels scolaires, par le fameux coup d’éventail donné par le Dey Hussein au Consul Français Pierre Duval, un certain 30 avril 1827. On est donc toujours dans le remake sur le dos de l’Algérie, presque deux siècles après.
Officiellement, l’occupation Ottomane n’est pas qualifiée d’occupation en Algérie. Tout juste une lointaine affaire de protectorat entre cousins musulmans. Occupation, elle le fut pourtant et avec violence, guerre, rapts et viols. Les frères Barberousse ne se gêneront pas pour offrir l’Algérie comme butin à la Porte Sublime. Le pays ne sera pas colonisé par les vignes, « l’œuvre positive », les Gaulois et les fermes, mais par l’impôt, les taxes et la dîme et le fouet. La colonisation ottomane laissera, enfin, en Algérie quelques bons réflexes politiques qui persistent jusqu’à maintenant : la tradition de la désignation du Dey, le racisme urbain face aux « hordes » rurales, le centralisme confirmé encore plus par la colonisation française, la culture de la piraterie et de la flibusterie comme économie de base, la rente, autrefois guerrière, aujourd’hui pétrolière, le rapport malsain au bien public, les divisions du pays en tribus, caïds, makhzen et territoires en révoltes permanentes.
Extrait d’un livre d’autrefois, « Voyage dans la région d’Alger » : « Le dey, qui n’a de comptes à rendre qu’à la Porte ottomane (L’empire Turc de l’époque) ( ) et qui ne lui en rend guère, est élu par la milice turque composée ordinairement de gens sans aveu, sans ressources et de mœurs dépravées, qui viennent du Levant d’où ils ont été obligés de s’enfuir pour se soustraire au châtiment dû à leurs crimes », note le Dr Shaw dans son livre. Mais « il s’en faut bien que le choix d’un dey se fasse toujours paisiblement; car, tous les Turcs de la milice étant également aptes à être élevés à cette fonction, il y en a toujours quelques-uns de plus ambitieux que les autres et qui forment des conspirations dans le but de s’emparer du pouvoir en sacrifiant celui qui en est revêtu. Celui qui, dans ce cas, peut réunir le plus de partisans et tenir la chose secrète jusqu’à ce qu’ils parviennent conjointement à s’introduire dans le palais du dey est à peu près certain de le supplanter ( ) Il arrive assez souvent que celui-ci, afin de récompenser ses adhérents, fasse étrangler tous ceux qui étaient attachés à l’administration de son prédécesseur »
De remake en remake d’ailleurs. En 1979, Houari Boumediene meurt. Qui le remplacera ? Une formule est mise en circulation par les militaires : « l’officier le plus ancien dans le grade le plus haut ». Ce fut donc Chadli Benjedid. Lisez ce qu’écrit le voyageur dans la Régence d’Alger, il y a des siècles : « Quelquefois, c’est par hasard que l’élection se fait, comme il arriva en 1694, après la mort de Chaban-Dodja. On résolut d’élire le premier vieil officier que l’on rencontrerait en entrant dans la ville. Alachat-Amet se trouvait assis sur son tabouret de paille, faisant des souliers. On le prit et on le couronna roi malgré lui. Il régna trois ans et il mourut de maladie, craint et respecté des Turcs qu’il avait su dompter ».
4 janvier 2012
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