C’est le destin incroyablement vrai de Si Ahmed qui ne sut jamais marcher sur un sol plus scélérat qu’une peau de banane, jusqu’au jour où il fut la victime statufiée d’une pathétique fable qu’on raconta plus tard sous tous les toits des chaumières «rieuses». La faute expiatoire de Si Ahmed fut celle de vouloir, à tous les prix et contre toutes les valeurs, marcher sur l’eau sans jamais prendre une seule goutte de flotte sur son corps fortrait. Pourtant, des ornières de la vie, Si Ahmed ne sortit jamais. D’abord looser, à la tête aussi grosse que ses rêves brisés, il apprend, très jeune, à troquer ses ambitions érectiles contre ses désillusions castrées. Ses cauchemars ruinés contre ses songes «ergotés». Son statut génétiquement modifié contre son grade biologiquement rapetissé. Arrivé à la moitié du gué «dérouté» de toute sa vie, Si Ahmed apprend par ses géniteurs, laborantins clandestins, à polir les aspérités hideuses de sa nature de fauve rétif contre un esprit de bête de cirque festif. Il apprend surtout à ne jamais montrer patte blanche quand on a le faciès trop «flagrant» d’une gueule noire. A ne pas se chauffer les mains suceuses sur un brasero piégé. A toujours renoncer à son jeu en dessous de table pour une partie, trop risquée, de roulette russe à mains découvertes. A ne jamais se brûler la face à vouloir doubler le chef à bâbord lorsque celui-ci a toujours appris à griller la priorité à tribord. Parvenu à monter jusqu’à l’avant-dernier étage de la demeure hantée des «mal-vivants» , on fera «accidentellement» arracher le plancher de l’ascenseur pour montrer et (dé) montrer à Si Ahmed qu’il ne faut surtout pas s’aventurer à vouloir «monter en haut» lorsque l’on n’a pas appris à «descendre trop bas». Repêché par des anges venus d’une autre planète, Si Ahmed crut enfin s’agripper aux murs glissants de la demeure fantomatique de ses laborantins clandos, quand des bras actionnés «d’en haut» le tirèrent net vers le plancher en pente accentuée pour atterrir en plein dans la fosse aux lions aux crocs affûtés. Mûri par son âge indécis et son temps imprécis, Si Ahmed apprit, enfin, à ne jamais confondre un bûcher haut juché avec un chalumeau fourré dans la chaussette déchirée de son pied plat gauche, piège caché de toutes les chutes fatales. Et Si Ahmed se rappela l’histoire poignante de cet homme qui, en voulant décrocher la lune, se mit à rêver à croquer en plein dans le soleil brûlant, avant de se cramer les ailes et chuter lourdement du haut de ses chimères en plastique recyclé. Dans ses élucubrations nocturnes et ses cauchemars insomniaques, Si Ahmed se souvint même de ce petit poisson rouge dans son bocal translucide et qu’il croyait pouvoir chérir et nourrir jusqu’à sa belle mort. Mais malheur lui prit à jamais lorsque par de tristes aurores, il découvrit, les yeux mouillés, que son poisson s’était fait violence en se faisant hara-kiri avec sa propre arrête dorsale. A la fin de sa vie délavée, Si Ahmed comprit, enfin, qu’il était peut-être plus facile de faire passer un ouragan par le chas d’une aiguille érodée que de marcher sur l’eau sans jamais se «mouiller» les pattes. Jusqu’à ras du cou… !
3 janvier 2012
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