Dans un discours récent relatif au vote des étrangers aux élections locales, le président Nicolas Sarkozy s’est dit opposé à cette idée, jugeant qu’elle diviserait inutilement les Français à un moment où ils auraient besoin d’être unis face à la crise de l’euro. Son ministre de la Défense, Gérard Longuet, semble cependant moins soucieux de l’unité de ses concitoyens puisqu’il s’apprête à faire transférer les cendres du général Bigeard aux Invalides comme si cette initiative faisait l’unanimité.
La France qui demande aux peuples des anciennes colonies de tourner la page de l’histoire ne semble pas résignée à le faire. Honorer la mémoire d’un soldat de l’armée qui a fait ses services lors de soulèvements des populations colonisées, c’est légitimer a posteriori la colonisation d’où la France n’est pas sortie grandie. Trop souvent, le gouvernement montre des signes de fierté nationale concernant le passé colonial, tantôt parlant du rôle positif de la colonisation, tantôt honorant d’anciens putschistes et autres extrémistes de l’OAS. Par ces actes officiels, la France montre qu’elle est encore attachée à son passé colonial qui, il faut le souligner, n’a pas été glorieux, et en tout cas n’a pas été à la hauteur des valeurs que défendaient les fondateurs de la République se reconnaissant dans la devise Liberté, Egalité, Fraternité. Les calculs électoralistes n’expliquent pas tout, et il faut croire qu’une partie de l’élite dirigeante française ne s’est pas décolonisée mentalement. Plus grave encore, elle n’arrive pas à se rendre compte que la colonisation n’a pas servi les intérêts de la France, et montre aussi son incapacité à prendre la mesure que la société française est postcoloniale et marquée par des mémoires multiples et conflictuelles qu’il faut faire converger vers les valeurs fondatrices de la civilisation française. En décidant des mesures à contre-courant exprimant la nostalgie de l’empire perdu, le gouvernement lance un mauvais signal aux Français originaires des anciennes colonies, sommés en quelque sorte de désavouer le juste combat anti-colonial de leurs parents et grands-parents. L’idéologie de la droite française peut-elle évoluer et se moderniser pour accepter les nouvelles réalités sociétales ? Le monde postcolonial est un monde nouveau sur le plan sociologique et il appartient aux élites d’imaginer des idéologies qui puisent ce qu’il y a de meilleur dans leurs passés pour raffermir leurs cohésions sociales respectives et renforcer la paix internationale. Le transfert des cendres du général Bigeard aux Invalides est contraire à ce que devrait être l’éthique postcoloniale. Par ce geste officiel, la France se discrédite sur le plan international et affaiblit sa position diplomatique au moment où elle se veut soucieuse du respect des droits de l’Homme de par le monde et au moment où elle vote des lois contre le génocide des Arméniens de 1905. La France peut-elle encore donner des leçons aux Turcs quand elle glorifie un général qui s’est distingué lors de la Bataille d’Alger par les pratiques de la torture ? A travers cette incohérence, la position diplomatique française se trouve affaiblie, voire discréditée lorsqu’elle intervient en Libye ou lorsqu’elle condamne les violations des droits de l’Homme en Syrie. Tout cela fait désordre au moment où il s’agit d’œuvrer pour des relations apaisées avec les Etats issus de la décolonisation et de faire connaître ce que le passé de la France a produit de mieux sur le plan des idées humanistes. Il est temps que s’ouvre en France un vrai débat sur la question du passé colonial que la droite tantôt assume tantôt refoule. Considère-telle encore Hô Chi Minh et Ferhat Abbas, Allal el Fassi… comme des terroristes qui auraient été hostiles à la France ou comme des combattants d’une cause juste, à savoir l’indépendance de leurs pays ? De manière rétrospective, la droite française est-elle encore Algérie française ? Pour lever les ambiguïtés de la position officielle, il faut crever l’abcès et dire qui, de Bigeard le tortionnaire ou de Larbi Ben M’hidi sa victime, est plus proche de Jean Moulin et de la devise de sa République ? La France s’honorerait à donner des noms de rue à ceux que le système colonial a assassinés pour se racheter et tourner définitivement une page sombre de son histoire. Il n’y a aucune fierté à tirer de la colonisation qui a été indigne de l’histoire de la France de Saint Just et de Louise Michel. Bigeard a été un soldat qui croyait servir son pays dont les autorités lui avaient demandé de tuer des paysans vietnamiens et algériens qui avaient pris les armes contre l’injustice coloniale. En fonctionnaire discipliné, il a accompli sa tâche et servi l’administration, mais il n’a pas eu cette grandeur morale de refuser d’être en contradiction avec les valeurs humanistes comme l’a fait le général Jacques Paris Bollardière. Ce dernier a fait preuve d’un courage et a été à la hauteur de l’humanisme de son pays. C’est lui qui a sa place aux Invalides, en attendant que la France reconnaisse la justesse de la cause des combattants que son armée a assassinés lors des guerres anti-coloniales.
L. A.
* Lahouari Addi publiera Algérie : chroniques d’une expérience postcoloniale de modernisation. Aux éditions Barzakh – fin janvier 2012.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/01/03/article.php?sid=128156&cid=41
3 janvier 2012
Histoire