Culture Jeudi, 29 Décembre 2011
“L’homme n’est bon que lorsqu’il ne peut pas faire autrement” Maxime Rodinson.
Dans Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, le romancier japonais Haruki Murakami, et comme dans ses autres romans, écrit le réel qui, sous la magie de sa plume, se métamorphose en fantastique. Les détails, plutôt les détails des détails, constituent le fond de la toile. Dans Autoportrait de l’auteur en coureur de fond entre écriture romanesque et méditation philosophique, entre délire et raison, entre courir et écrire, Haruki Murakami, en coureur de marathon et en écrivain de romans, nous narre sa façon d’imaginer, de définir qu’est-ce qu’un romancier. Pour partager le plaisir que j’ai ressenti en lisant ce beau roman, je reprends, ici, des phrases et des expressions de l’auteur telles quelles sont dans le texte : “(…)Pour moi, écrire un roman est fondamentalement un travail physique. L’écriture en soi est peut-être un travail mental. Mais mettre en forme un livre entier, le terminer, ressemble plus au travail manuel, physique. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il faille pour cela soulever des poids, courir vite ou sauter haut. C’est pourquoi la plupart des gens ne voient que la réalité superficielle du travail d’écriture et s’imaginent que la tâche de l’écrivain nécessite simplement de rester tranquillement dans son bureau et de penser. Si vous avez la force de soulever une tasse de café, pensent-ils, vous pouvez écrire un roman. Mais une fois que vous essayez de vous y atteler, vous comprenez très vite que ce n’est pas une mission aussi paisible qu’il y paraît. Le processus tout entier – s’asseoir à sa table, focaliser son esprit à la manière d’un rayon laser, imaginer quelque chose qui surgisse d’un horizon vide, créer une histoire, choisir les mots justes, l’un après l’autre, conserver le flux de l’histoire sur les bons rails – tout cela exige beaucoup plus d’énergie, durant une longue période que la majorité des gens ne l’imaginent… Les écrivains bourrés de talent sont capables de faire ce travail presque inconsciemment, et parfois tout à fait spontanément. En particulier lorsqu’ils sont jeunes…. Quand vous êtes jeune et que vous avez du talent, c’est comme si vous aviez des ailes.… Les écrivains moins talentueux – ceux qui sont tout juste au niveau – doivent absolument construire leur vigueur à leur propres frais, et ce, dès leur jeunesse. Il leur faut s’entraîner pour cultiver leur concentration, pour développer leur persévérance. Ils sont bien forcés d’utiliser (jusqu’à un certain point) ces qualités comme un “succédané” du talent. Ce faisant, il se peut qu’ils découvrent en eux une véritable inspiration cachée. La pelle à la main, ils s’échinent à creuser une fosse, ils transpirent jusqu’à découvrir une source secrète et profonde… Bien entendu, il existe des hommes (ils sont très rares) qui jouissent d’un immense talent, jamais en berne… Ces rares élus possèdent une source qui ne se tarit jamais… Pour la littérature, il y a là un phénomène dont on peut se réjouir. Il serait difficile d’imaginer l’histoire de la littérature sans les géants qu’ont été, pour citer quelques noms, Shakespeare, Balzac, Dickens, notamment. En ce qui me concerne, la plupart des techniques dont je me sers comme romancier proviennent de ce que j’ai appris en courant chaque matin… Jusqu’où puis-je me pousser ? Jusqu’à quel point est-il bon de s’accorder du repos et à partir de quand ce repos devient-il trop important ? Jusqu’où une chose reste-t-elle pertinente et cohérente et à partir d’où devient-elle étriquée, bornée ? Jusqu’à quel degré dois-je prendre conscience du monde extérieur et jusqu’à quel degré est-il bon que je me concentre profondément sur mon monde intérieur ? Jusqu’à quel point dois-je être confiant en mes capacités ou douter de moi-même ? Je suis sûr que lorsque je suis devenu romancier, si je ne n’avais pas décidé de courir de longues distances, les livres que j’ai écrits auraient été extrêmement différents. Concrètement, en quoi auraient-ils été différents ? Je ne saurais le dire. Mais quelque chose aurait été profondément autre.” Haruki Murakami est un écrivain inclassable. Brillant intellectuel d’une notoriété indiscutable. L’œil asiatique sensible aux parfums, aux sons, aux regards et aux espaces. Il refuse de rentrer dans le moule de l’écriture européenne ou américaine. Il possède un moule, à lui seul. Et même ce dernier, à chaque expérience d’écriture, à chaque roman, il le trouve gênant et étouffant. Similaire à Sisyphe, il le casse et recommence.
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
31 décembre 2011
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