Je me réjouis de constater le retour de Maâmar Farah au Soir d’Algérie après une absence remarquée. Il s’interrogeait l’autre jour dans son billet quotidien sur le regain de la cabale dont Houari Boumediene est la cible posthume depuis plus d’une année. Il s’interrogeait aussi sur le silence de ses anciens compagnons et de ses proches. Je répondrai donc pour sa famille.
Voyez-vous, si la famille de Boumediene s’est abstenue de cette campagne évidemment orchestrée, c’est qu’elle est une famille traditionnelle. Une famille bien algérienne pour qui la «Horma» et l’«Hia» sont des valeurs essentielles. Notre respect des morts nous dicte la retenue et la modération devant l’immoralité de certains membres bruyants et sans vergogne de la classe politique. Nos parents nous ont appris à évoquer avec respect les chouhada ainsi que l’exige notre religion. Les animateurs de ces campagnes de dénigrement se divisent essentiellement en deux groupes politiques unis par leur haine viscérale de Boumediene. Soyez sûr que nous prendrons le temps qu’il faudra pour répondre aux lâches encore bien vivants et bien portants qui composent le premier groupe, celui qui, toute honte bue, a fait des morts son fonds de commerce politique. Animés d’une haine sans limites, mais hier muets devant leur maître d’alors quand ils n’applaudissaient pas à se rompre les doigts, ils s’arment du courage des lâches pour traîner dans le caniveau ce maître tant haï. Je n’ai aucun doute que ces pleutres se reconnaîtront en se regardant le matin dans leurs miroirs. Quoique répondre aux premiers, c’est risquer d’être entraîné par leurs aboiements d’enragés dans la médisance des morts, je peux cependant répondre à ceux du deuxième groupe, qui sont tous vivants. Je rappellerai simplement à ces messieurs à la langue bien pendue qu’ils n’étaient pas assez hommes pour régler son compte à Boumediene vivant, alors ils s’y emploient après sa mort, en s’attaquant à sa mémoire et à celle de son père. Quel honneur et quel courage y a-t-il en cela ? Absolument aucun ! Ils ont trahi leur frère d’armes d’hier lors de la tentative de putsch lamentable de décembre 1967, et tenté de l’assassiner par la suite. La déloyauté et la trahison sont les titres de noblesse de ces mercenaires de la plume. Elle se joint donc à la curée cette brochette d’ex-officiers rebelles, copains issus d’un même «douar», ces déçus inconsolables du fameux autoproclamé «Mouvement du 14 Décembre» se donnent des airs de ducs de «dechra» ayant — enfin ! —hérité de l’Algérie. Unis par les liens du clan, de la parenté ou du destin politique, ces personnages sont mus par le désir irrépressible de prendre leur revanche posthume contre l’homme qui avait brisé leurs rêves de gloire et de puissance sur le pont de Bouroumi. Anciens officiers d’état-major incompétents, qui n’avaient même pas eu l’intelligence élémentaire de prévoir le fioul qui aurait été nécessaire à la réussite de leur entreprise fratricide, ils se présentent à nous comme de grands chefs de guerre, de grands témoins «historiques» méconnus. Les voila donc qui s’agitent vigoureusement à coups d’articles de presse ahurissants et de «témoignages» sensationnels, aussi tardifs que soudains, des décennies après la disparition des témoins-clés. Qu’ils sachent donc que Boumediene n’a jamais eu peur de quiconque, ni des morts, ni des vivants, ni de la mort même qu’il avait affrontée avec une sérénité et un courage rares. Vivant, il avait maté cette camarilla d’incapables. Mort, ils ne peuvent l’atteindre ! Qu’on nous dise pourquoi Houari Boumediene, dont le seul regard faisait trembler les plus endurcis de ses adversaires, pourquoi donc aurait-il eu peur de quelques ossements de qui que ce soit ? Lui, qu’on nous dit calculateur et prévoyant, ayant pardonné à ceux qui avaient tenté de l’assassiner, aurait donc «caché» des ossements de personnes qu’il n’a jamais connues, dans un endroit où ils étaient sûrs d’être retrouvés à sa mort pour servir d’alibi à ses ennemis ! Pour quelles raisons, à quels desseins et pour quels intérêts ? Les hypothèses qui sont avancées sortent du domaine du rationnel. Elles sont tout simplement risibles et sentent le coup monté des lieues à la ronde. Malheureusement, le ridicule ne tue pas ! Mais que répondre à tout cela ? Simplement, que Houari Boumediene n’a besoin de personne pour le défendre : son œuvre inscrite dans l’Histoire y pourvoira d’outre-tombe et rien n’y changera. Seul un grand homme susciterait chez ses ennemis cette haine et cette peur 33 ans après sa mort. Rappelons donc aux plus jeunes les quelques faits qui suivent. «Qu’elle était belle l’Algérie de Boumediene !» titrait un grand magazine français à sa mort. On se souvient qu’on était fiers d’être algériens et la «hogra» ne faisait pas encore partie de notre dictionnaire. C’était un pays stable et universellement respecté, avec un chômage quasi-inexistant et un taux de croissance économique à faire des jaloux. Tout le monde y mangeait à sa faim et avait sa chance — le riche comme le pauvre. Tout le monde y étudiait et s’y soignait. La sécurité et l’ordre régnaient et on pouvait espérer un avenir meilleur. Il serait fastidieux, non pas d’énumérer, mais seulement de résumer tout ce qui fut réalisé pendant les treize années de sa présidence. Partant de presque rien, un petit pays du tiers monde, arriéré et fraîchement indépendant, démuni et instable, se métamorphosa en quelques années en un phénomène politique et économique. Boumediene fut l’architecte de ce quasi-miracle encore gravé dans les mémoires. N’en déplaise à tous les trafiquants de l’Histoire, il est indissociable de l’indépendance de l’Algérie et de son édification. Primus inter pares, il avait mené l’ALN intacte et unie vers la victoire finale. Cette ALN qu’il sauva in extremis de l’anarchie et de l’implosion inévitable à laquelle la condamnaient les luttes claniques fratricides. Il aura mis en place les fondements de l’Etat algérien moderne, et aura créé la base d’une vraie économie nationale, en si peu de temps et avec si peu de moyens. Il a bien mérité de sa patrie en accomplissant son devoir avec la modestie des grandes âmes, sans fanfaronnades ni gloriole. Pourrait-on en dire autant des hommes qui s’acharnent sur sa mémoire ?! Les grandes figures qui ont forgé le destin de notre pays sont murées dans le silence éternel. Mais il reste les petits «sergents», les «secrétaires» —et leurs alliés politiques —, qui se tenaient au garde-à-vous devant ces grands chefs d’alors, sans oser lever les yeux ni dire un mot. Ils peuvent donc nous raconter «leurs» hauts faits d’armes sans risquer d’être contredits. Chacun d’eux nous enseigne «son» Histoire personnelle, celle où ses parents et amis seraient les auteurs principaux de notre Indépendance. Ces politicards de seconde zone, devenus historiens pour les besoins de la cause, voudraient privatiser l’Histoire de la Révolution de tout un peuple. En se donnant le beau rôle qui leur fait défaut, ils espèrent convaincre le monde qu’ils sont les héritiers légitimes et incontournables du pouvoir qui les a éludés à ce jour.
Au nom de la famille Boumediene, Nourredine Boukharrouba
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/12/31/article.php?sid=128062&cid=2
31 décembre 2011
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