Boumediene n’est plus là et pourtant, il est encore présent dans la mémoire de beaucoup d’Algériens. Celui qui a marqué treize années de notre histoire est tellement ancré que beaucoup lui vouent un respect certain, l’idéalisent, lui et son époque. Houari Boumediene, de son vrai nom Mohamed Boukharrouba, est encore trop mystifié par certains tenants d’une Algérie alors respectée sur le plan international.
Cependant, bien peu savent que le pays a connu sa déboumédienisation, comme l’Union soviétique a connu sa déstalinisation. La mort de l’homme du 19 juin 1965, puis l’accession de Chadli Bendjedid à la tête de la République algérienne démocratique et populaire ont été l’avènement d’une nouvelle ère pour notre pays. Trente-trois ans après, cependant, les nostalgiques existent, surtout dans sa région natale, dans l’Est. Un petit tour à Guelma s’impose pour le constater. Ses portraits y sont plus présents que dans n’importe quelle autre wilaya du pays et en nombre plus important que ceux de Bouteflika, l’actuel chef de l’Etat, qui fut son inamovible ministre des Affaires étrangères.
Aïn Hassaïnia, distante de 25 km à l’ouest du chef-lieu de wilaya, en direction de Constantine, a été débaptisée pour porter le nom du tombeur de Ben Bella. Difficile d’effacer de la mémoire collective le nom d’un homme, qui a pourtant récusé toute opposition en Algérie. Difficile de renier celui qui refusait le concept même de démocratie tel que nous l’entendons aujourd’hui. Difficile, lorsque l’on est lucide, de voir en lui, une sorte de restaurateur de l’histoire nationale, tant celle-ci a été dénaturée, tant celle-ci a été falsifiée à son époque.
Difficile, enfin, de comprendre celui qui fut à l’origine du «déplacement» des dépouilles du colonel Amirouche et de Si El Haouès. Boumediene est à la fois aussi mystérieux que proche dans notre imaginaire collectif. Aucune biographie, franche et directe sur l’homme n’est sur le marché à présent, et il est souhaitable qu’à l’avenir, cette absence soit comblée. Mais ceci est du ressort d’historiens ou même de journalistes compétents dans cette discipline pour combler ce vide qui permettrait aux Algériens de mieux découvrir cette partie de leur histoire post-indépendance.
Politiquement parlant, il est clair que l’Algérie est définitivement sortie de cette période, à la fois passionnante et floue, tant beaucoup reste à dire. Moralement parlant, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’Algérie profonde est toujours aussi nostalgique d’une époque qui semble à jamais révolue, d’un homme qui, s’il était resté au commandes du bateau Algérie, aurait su, selon ces mêmes personnes, manœuvrer, pour éviter le naufrage des années 1980, la descente aux enfers des années 1990, et plus encore, comme le phénomène des harraga.
Mais, l’histoire ne peut être refaite, surtout concernant cette catégorie de personnes et leurs actes. Tout reste encore à écrire sur Boumediene, et ce ne sont plus les écrits de Paul Balta ou de Ania Francos, beaucoup trop dépassés à présent, qui peuvent nous aider à mieux connaître l’homme et son œuvre. Désormais, un travail à la fois journalistique et historique, surtout, s’impose pour que les Algériens découvrent ou redécouvrent l’enfant de Guelma.
Mohamed Chafik Mesbah. Ancien officier supérieur de l’ANP et politologue*
«Le souvenir de Boumediène renvoie, malgré les privation endurées, à une forme de grandeur nationale»
le 23.12.11 | El watan
26 décembre 2011
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