Dimanche, 04 Décembre 2011
Début des années 2000, hypocondriaque que je suis, je sentais que ma tension s’affolait et que mon cœur lui emboîtait le pas. Qui voir de toute urgence comme médecin ? Un ami qui me voulait du bien — ce n’est pas toujours évident avec les amis n’est-ce pas — me conseilla d’aller voir le professeur Larbi qu’il m’a décrit comme un excellent médecin, mais aussi comme un gentleman “qui me guérira en me parlant”. Diable, vais-je tomber sur le frère de Lacan, le cousin de Freud ? Comme je n’habitais pas très loin de son cabinet, alors va pour le professeur Larbi que je vis en fin de journée. Ce qui me frappa d’emblée chez cet inconnu, c’était son sourire. Il souriait comme s’il était heureux de me voir alors qu’il ne me connaissait même pas. Plus tard, j’apprendrai qu’il souriait à tout le monde. Posture thérapeutique pour mettre en confiance les malades ? Du tout. Façon d’être. C’est un homme bon, voilà tout, qui comprend la valeur du sourire. N’importe, je fus à l’aise dès le départ. ça me changeait des médecins compassés, ennuyés, qui vous liquident en une minute, comme ce médecin — en est-il vraiment un ? — de Bachdjarah qui ne m’avait pas laissé placer un mot. Pédant, il savait tout, le verbe saccadé et la voix impersonnelle. Il avait le regard tendre d’un boucher soupesant sa part d’or dans un veau. J’étais le veau, il était le boucher. D’ailleurs, que Dieu lui pardonne, non qu’il ne lui pardonne pas, cheh ! Il m’avait saigné à blanc. Tout cela pour dire que j’étais sur mes gardes quand j’ai rencontré Larbi. Aux premiers mots de sa voix à la diction du grand lecteur reconnu qu’il sera plus tard, j’ai compris que M’hammed appartenait à une autre race de médecins, celle qui avait choisi cette voie pour soulager les souffrances et non les poches des patients. Il m’ausculta, me posa toutes les questions inimaginables, fit mon portrait médical. Et refusa d’encaisser ! Quoi ! Où suis-je ? Après le boucher, me voilà avec un saint. Presque. Non, pas un saint, un médecin sain, ce qui est tout aussi précieux. Et peut-être même plus rare par ces temps où les bons médecins sont aussi introuvables que les bons amis. De fil en aiguille, on parla littérature. à ma grande surprise, M’hammed me tendit timidement un manuscrit en murmurant qu’il aimait bien écrire à ses moments perdus. Le titre était beau et sentait bon l’amour et la musique : Le piano d’Esther. En le lisant, je retrouvais une tonalité propre aux écrits qui marquent et restent. Je ne retrouvais aucun des tics ou des maladresses inhérentes à un premier roman. C’était l’œuvre d’un chevronné. Le lendemain, j’appelais Larbi et lui fit part de mon enthousiasme. Il le publia, et la suite est connue : un grand succès de librairie qui provoqua une émotion considérable lors des séances dédicaces de l’auteur. Ce fut pour le médecin-écrivain l’occasion de retrouver des visages disparus depuis longtemps. Ses autres romans, Les voix et les ombres, Le goût de la terre et Serre-moi fort j’ai froid, confirmèrent son talent en montrant, par-là même, l’étendue de son registre. Ce n’était pas un auteur d’un seul genre qu’il reproduit sous une autre forme, mais de plusieurs avec, toutefois, le même dénominateur commun : une beauté de l’écriture et une créativité qui l’ont imposé très vite — et je pèse mes mots — comme l’un des meilleurs prosateurs algériens. Mais M’hammed n’est pas qu’écrivain — combien sont ceux qui se contenteront de ce titre ! —, il est aussi un lecteur de textes littéraires de haute volée. On l’écoute, on voit les images par la grâce des intonations de sa voix ; et là on comprend tout de suite que nous avons affaire à un artiste, un acteur, un vrai, capable de tenir en haleine les auditoires les plus exigeants. Même s’il a découvert sur le tard cette vocation, il n’est jamais trop tard pour lire et écouter M’hammed Bouziane Larbi, dont le cœur est aussi grand que l’Algérie. Allons, tout n’est pas perdu. Puisqu’il y a encore des hommes de cette eau pure…
H. G.
hagrine@gmail.com
19 décembre 2011
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