L’horreur est une énigme que chacun porte et emporte seul dans sa nuit. Sur l’écran, on écoute et on voit mais on ne sait pas, soudain empêché sur le seuil de l’absolue compassion. Lorsqu’un jeune Syrien est arrêté par l’armée du boucher de Damas, pour nous c’est un chiffre, quelques brèves secondes durant un clip de téléphone, une image. Ensuite, la speakerine commente, on voit le reste du monde qui cherche une solution ou une fausse solution, puis on ne sait rien. Qu’est-ce que le mot torture ? Comment transmettre à chacun le parfait sens du hurlement du gamin arrêté, torturé, déchiré aux coudes et aux yeux crevés et à l’honneur violé, consumant son dernier souffle dans son dernier halètement, absolument seul dans la douleur et pour lequel le pays promis ne sera plus que sa tombe et la liberté sera celle d’un courant d’air ? Comment expliquer l’absolue horreur de ce Syrien torturé, l’aveugle douleur qui n’a pas le sens du martyr sauf pour les survivants, la noirceur de toute l’humanité ? Un seul torturé, tué, dans ce monde «arabe» suffit pour que les régimes et tous les dictateurs méritent la chute, la chasse, la condamnation et la pendaison. Ce qui se passe en Syrie est horrible, presque inexplicable par le «politique». On pourra soliloquer sur la géostratégie, le complot ou n’importe quoi, cela n’enlève rien à la vérité crue : la mort, la torture, les abus, les viols, les vols, les bombardements. Parler d’autre chose est une indécence de spectateur. Un crime contre sa propre humanité, une complicité. Le boucher de Damas est un criminel et les Syriens en révolte offrent aujourd’hui l’exemple du plus grand courage devant la répression, l’embargo, les punitions collectives et les fosses communes et la gouvernance par la terreur.
Ce régime est prêt au pire et le commet: terrorisme international, kidnappings, manipulations des confessions, trahisons et prise d’otage de toute une terre et d’une région. Tout est bon pour faire plier le révolté et la communauté internationale. Pour quel but ? Rester. Mais sur quelle terre si on la détruit? On ne sait pas. Ce régime est mort depuis des mois, il est infréquentable, seul, criminel, condamné et sans sens, et pourtant il reste là, son fusil contre la tête de son peuple, menaçant de tout faire exploser si on l’approche. Ferme dans sa croyance que l’on peut mater un peuple par la force et la mort. L’image reste dans les yeux : ce jeune homme saisi au cou, embarqué dans un camion de militaires, roulé en boule puis les mains sur la tête. On ne le reverra plus. On ne saura rien de sa mort ou de son cri de douleur quand on lui brisera les coudes et la mâchoire. Il disparaîtra sous une tonne de commentaires, d’analyses, de doutes, de débats et de polémiques. Tout le monde parle, y compris moi et il est seul à ne rien entendre sauf sa respiration. De tous les peuples qui se soulèvent contre les quarante voleurs, le peuple syrien a décroché la lune de l’admiration. Son courage est exemplaire et son avenir sera à lui, car il paye si fort le prix du futur qu’il ne peut que le décrocher dans le ciel. Le régime syrien est devenu hystérique, dangereux pour toute la région, invraisemblable, cas moderne de ces régimes de terreur et de néant du XXème siècle, totalitaire, fourbe, maladif et rusé. Du Assad&Makhlouf et Cie contre le reste de l’humanité.
C’est la fin de cette chronique mais l’image reste : ce jeune homme, vu avant-hier, embarqué dans un camion d’une armée familiale, poussé dans le dos vers la tombe, tête baissée, sans nom, croulant sous les coups et dix mille analyses, seul dans la terreur et pourtant éclairé de l’intérieur par le sens qu’il a donné à sa vie et à sa mort.
5 décembre 2011
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