Il a perdu la raison, disent-ils. Oui il a perdu leur raison. Mais sa raison de vivre, à lui, n’est pas la même. Le fou! C’est normal quand le discours commence à ressembler à un ciel bouché et l’avenir lui-même est réputé sans avenir. Finis les amours faciles, le temps des vaches grasses. Chômage et sida pour tout le monde. Les bambins pleurent déjà leur futur comme des jeunes morts. Ils arrivent à l’école couverts comme des oignons et sous leurs tabliers imposés, une couche de chagrin, une autre de peur sur une autre couche d’inquiétude elle-même couverte de rancœur, de colère, de renoncement furieux et
absents, on leur fait un cours sur l’indicatif présent. L’enseignant n’est plus un repère, ni un exemple à suivre. Ce n’est pas de sa faute. Lui aussi n’arrête pas de se battre pour un minimum de bien-être pour pouvoir transmettre. Des moyens, des outils de travail, des programmes qui changent chaque année scolaire, un lot de tracas
Il se trouve parmi eux qui se voient obligés d’enseigner une matière qui n’est pas de leur domaine. A un prof de maths encadrant un cours d’arabe parce que l’institutrice de la matière est en congé de maternité répétitive
cheikh, lui demande, un jour un enfant qualifié, par ses notes, de cancre. Pourquoi en français on met une majuscule devant le nom propre et en arabe ça n’existe pas. Sale temps pour l’enseignant d’arabe occasionnel. « C’est tout simplement parce qu’en arabe tous les noms sont propres, ils n’ont pas besoin de majuscules et on n’a pas le droit de différencier, tel nom d’un autre nom, on est tous égaux ». C’est tout ce qu’il a trouvé comme réponse-esquive. Ne voilà-t-il pas que deux jours après il reçoit le père de l’élève cancre, qui lui reproche d’inculquer des idées communistes aux enfants.
Il a perdu la raison, disent-ils. Oui il a perdu leur raison. Mais sa raison de vivre, à lui, n’est pas la même. Le fou!
5 décembre 2011
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