Cela s’appelle « douze hommes en colère ». Une fabuleuse pièce de théâtre, un film aussi, américain. L’histoire est simple : douze hommes, membres d’un jury, doivent décider si un homme est coupable ou pas. La scène se passe dans une pièce, une seule pièce, tout le long du film. Et c’était le génie de son auteur : créer du rebondissement dans un espace absolument confiné. On ne sait rien du dehors mais on le devine : un crime, un juge, un coupable, un verdict en attente. Imaginez ensuite que cela se passe dans une autre pièce : douze hommes sans colère qui décident, palabrent, se disputent, s’allient puis se divisent et qui enfin découvrent quelque chose de plus horrible que l’arbitraire de la justice humaine : ils sont seuls, ils sont douze dans une pièce close, il n’y a personne dehors. Pas de juge, pas de coupable, pas de crime, pas d’histoire, rien sur les hauts plateaux ou parmi les ergs sans nationalité. C’est un peu l’image que le chroniqueur essaye de transmettre sur la réalité du Pouvoir algérien aujourd’hui en Algérie : le vide. Pendant des mois, les pseudo réformes ont réussi un peu à meubler les attentes et à faire fonctionner la fiction, mais les plus intelligents ont compris : en Algérie, le Pouvoir se divise en deux : un homme assis dans un coin attendant sa retraite, un autre assis qui ne fait rien alors qu’il avait demandé à tout faire lui-même.
Certains, dans les arcanes de ce qui reste de l’Etat algérien, vous le confirmeront aisément : depuis peu, personne ne sait ce que veut vraiment le centre autoproclamé du Pouvoir. « Il a tout centralisé à son niveau mais il ne bosse plus, ne fait rien et ne décide que selon ses humeurs ». Il, c’est lui et ce n’est pas vous. Des ministres de «souveraineté» en souffrent, eux qui, dit-on, n’ont même plus la chance d’obtenir des directives par téléphone sur les grands choix à faire face au « printemps arabe ». Le spectacle est celui d’une machine qui fonctionne par l’énergie de sa pente et c’est un peu cela ce qui reste du régime : un régime point-mort.
Tout le reste, les agitations du FLN, les sorties comiques de Belkhadem, les directives d’Ouyahia à ses troupes de bureaucrates, les réceptions VIP, les « positions algériennes » sur les grands dossiers, tout cela c’est l’habillage de ce vide essentiel. De ce chômage souverain. D’ailleurs, c’est ce qui explique le mieux un peu cette curieuse passivité des Algériens, eux les émotifs attitrés, face au printemps arabe : ce n’est pas seulement la méfiance envers le changement, c’est l’intuition qu’ici, on n’a même pas une dictature. Seulement une non-gouvernance organisée. Et c’est la confidence indirecte de certains ministres actuels qui vous le diront dans l’intimité du soupir.
C’est un peu cela la singularité algérienne : un état de post-Etat. Un trou noir dans la région « arabe ». Une passivité historique qui en fait une Suisse de la mollesse et une fédération de salles d’attentes. Un territoire dont on ne surveille, avec un peu de vigilance, que le pipeline, le FFS et la frontière et le TPI et la CPI. Tout le reste est vieillissement, sénilité, un pur cas de bourguibisme collectif. D’ailleurs, un Benali se dessine et c’est tout le drame des Bouazizi algériens : ils s’immolent avant que Benali ne prenne le Pouvoir et ne déclenchent donc que la brièveté du fait divers et pas la révolution.
29 novembre 2011
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