Mercredi 02 Novembre 2011
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Pour construire une démocratie respectable, il faut d’abord respecter notre Histoire.
En ces premier jours de Novembre 2011, la lecture de l’essai intitulé Algérie, l’Histoire en héritage (*) de Smaïl Goumeziane, engage, à une sorte de réappropriation autant qu’à un ressourcement, les Algériens qui rejettent les clivages pernicieux, stricts produits des ambitions malsaines aux miasmes morbifiques celles qui avaient plus d’une fois exposé la communauté au désespoir lui faisant croire à un désordre de ses origines historiques.
À qui la faute? Ce n’est pas le sujet, peut-être. Pourtant, d’autre part, ne faudrait-il pas rappeler aussi que les auteurs, imbus des idées colonialistes, n’ont jamais manqué de se taire pour nous détailler les «bienfaits» de la colonisation française en Algérie, se persuadant qu’ils
nous feraient ainsi oublier notre identité? Or l’objectif de vérité de l’Histoire a contrario retient, encore et toujours entre autres souvenirs tragiques de la longue guerre d’Algérie (1830-1962), par exemple, la répression policière raciste et criminelle du 17 octobre 1961 à Paris contre les Algériens travaillant, habitant et vivant en France, opération féroce, dissimulée depuis un demi-siècle à l’opinion française! Autre attitude exécrable: à la veille de l’indépendance, un célèbre professeur n’a-t-il pas osé déclarer du haut de sa chaire de Sorbonne que les Algériens pouvaient désormais dormir tranquilles puisqu’il aurait, lui, écrit leur Histoire? Et quelques autres, sortis d’une école semblable et tout aussi inspirés, ne se targuent-ils pas aujourd’hui d’être «spécialistes» de la Révolution algérienne? Cependant, ne faudrait-il pas reconnaître par ailleurs que, dans nos institutions éducatives, pour des motifs, à tout le moins non clairement déterminés, analysés et explicités, l’Histoire de l’Algérie est souvent mal enseignée? (Au reste, quelle Histoire peut-on enseigner?) Or, notre Histoire, de même que l’Histoire universelle, doit être absolument considérée dans nos classes scolaires comme une des matières les plus essentielles pour éveiller, dans une optique pédagogique moderne, nos jeunes intelligences et les amener à se former une attitude d’esprit pour savoir, comprendre et agir en face de l’état des questions de leur environnement immédiat et de celles du monde.
Où donc puiser nos sources de l’enseignement de l’Histoire de l’Algérie, sinon dans la masse des documents qui existent et dans lesquels le regard critique de l’historien doit s’exercer sans relâche, car on ne peut écrire l’Histoire sans historiens. Pourquoi? C’est qu’il y a bien des manières d’écrire l’histoire! Le subjectivisme y tient une grande place: partialité des points de vue, idéologie, parti pris, goût de l’anecdote; l’objectivité, la passion maîtrisée, l’érudition, la recherche, la preuve et la contre-épreuve aussi. Toutefois, si le respect de la nature humaine est observé et le document analysé et référencié, la sincérité, jointe à la compétence, décide de la vraisemblance du fait historique rapporté, sous réserve de la confirmation attestée de sa véracité.
Eh bien, ayant pour titre Algérie, l’Histoire en héritage, le travail colossal de Smaïl Goumeziane, minutieux et s’étayant sur les recherches les plus récentes, se présente comme un plaidoyer, comme un des meilleurs ouvrages actuellement de référence dans le domaine du devoir de mémoire et de l’écriture de l’Histoire – au processus si complexe de notre pays – entrepris par des auteurs algériens après l’indépendance. Sous sa plume ferme et pédagogique, s’expriment librement une réflexion, une conviction et une conclusion, – l’universitaire et l’homme d’expérience en économie et en politique renforcent l’esprit critique de celui qui met sous nos yeux une étude vaste et méthodique de l’évolution d’une réalité historique, un legs riche qui se rapporte à une foultitude de points qui nous intéressent, un authentique héritage indivis commun historiquement à tous les Algériens.
Notre Histoire, chose évidente, mais peut-être ignorée ou sûrement oubliée ou volontairement négligée, exige une solide originalité de vues, une ferme conception de l’Histoire de l’Algérie et une interprétation responsable des faits qu’il faut cadrer et recadrer dans leur contexte naturel. Cet héritage, Goumeziane – qui se défend d’être historien – l’aborde avec respect et répète, en l’écrivant, ce que l’Algérien, épris de sa patrie, justement pense: «Un demi-siècle après l’indépendance, les Algériens sont toujours dans l’attente de cette histoire qui leur permettrait de comprendre d’où ils viennent, qui ils sont et d’envisager leur avenir sur des bases et des repères objectifs. Car c’est bien l’histoire de l’Algérie qui a fait ce qu’ils sont aujourd’hui. [...] Avec, en filigrane, l’idée qu’il y aurait, selon les besoins ou selon les auteurs, une histoire officielle, une histoire des vaincus ou une histoire des vainqueurs!» À ce questionnement, l’auteur va s’atteler à une tâche difficile pour y répondre. Il écrit: «Plutôt que de s’échiner ou de s’étriper à propos de la qualification de ce territoire, il vaut mieux étudier l’évolution de cette réalité historique à travers ce qui deviendra progressivement Thamourth Imazighen, la Berbérie, la Numidie, Djazâir, El Djazâir ou l’Algérie, selon la langue utilisée, et la manière dont les hommes l’ont vécue et ont en rendu compte.»
S’écartant de toute «querelle de clocher», mais bel et bien «en fils de [son] temps» et fort de sa longue pratique de l’économie et de la politique en Algérie, Goumeziane rédige avec sérieux et émotion une Introduction largement inspirée d’une citation de l’émir Abdelkader. Le corpus comprend cinq parties (L’héritage originel; L’héritage berbéro-arabe et musulman; La résistance au colonialisme français; La voie de l’indépendance; L’indépendance sans les libertés) et un Épilogue par lequel sont confirmées aux Algériens «les origines des problèmes et des blocages, sources de leurs inquiétudes et de leurs angoisses présentes et futures.» Tout au long de l’ouvrage, où ressurgissent les hautes personnalités nationalistes et intellectuelles, les combattants et les résistants de toute l’Histoire de l’Algérie, est développée une suite d’événements historiques exceptionnels sous-tendus «par une double logique contradictoire», la première projetant un «processus de sédimentation-transformation» caractérisé par «les valeurs de la berbérité, de l’arabité et de l’islamisme [...] pour constituer les éléments principaux de l’identité algérienne.» D’autre part, «La seconde logique [a permis] de résister en permanence aux agressions internes et externes [...] même si cela s’est traduit aussi par des rivalités intestines. [...] Pour ces raisons, l’histoire de l’Algérie reste aujourd’hui encore soumise à ces deux logiques contradictoires. Ce faisant, cette histoire demeure l’objet d’enjeux essentiels, non seulement pour la connaissance globale du passé et du présent, mais aussi pour mieux appréhender le futur possible de l’Algérie. [...] Pour ces raisons, depuis l’indépendance la logique de résistance au pouvoir en place a continué de se dérouler sur fond de rivalités intestines».
Amer constat, sans aucun doute, mais il porte assurément tout au fond d’une incontestable raison, l’inflexible volonté de concrétiser le projet d’un «État de droit et d’une régulation démocratique en mouvement, capable de résister à toute agression interne ou externe contre l’unité de la nation dans la diversité, par la gestion pacifique des conflits d’intérêts inhérents à toute société.»
Algérie, l’Histoire en héritage de Smaïl Goumeziane est à la fois un cri fort et juste du coeur et de la raison, rapporté, spécifié et souligné à l’aide de notes, de cartes et de documents divers de premier ordre parmi les plus significatifs empruntés à des auteurs qui ne se contentent pas «de faire le récit des événements».
La mémoire de l’Histoire de l’Algérie est longue depuis l’apparition des premiers hommes, près de deux millions et demi d’années sur cette Terre Maternelle jusqu’à cette même Terre Maternelle hardie et digne de ce xxie siècle qui appelle, peut-être avec plus de gravité et de solennité que jamais, qu’il est grand temps d’en finir avec les falsifications ignominieuses, les manipulations assassines et les instrumentalisations monstrueuses ordonnées cycliquement contre les réalités historiques de l’Algérie humaine, culturelle, cultuelle, politique et géographique. La déclaration du 1er Novembre 1954 est la meilleure source pour se ressourcer.
(*) Algérie, l’histoire en héritage de Smaïl Goumeziane, ÉDIF 2000, Alger, 2011, 493 pages.
2 novembre 2011
1.LECTURE, Histoire