Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Mécomptes à trois, ou onze zéros
Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com
Il faut d’abord tordre le cou à une idée reçue, selon laquelle les Arabes ont inventé le zéro «sifr», qui a généré les «chiffres» que l’on connaît. Faux !
Ils n’ont rien à voir avec l’invention du zéro, en dépit de l’acharnement qu’ils mettent à retourner au néant, le zéro étant une trouvaille babylonienne, perfectionnée par les Indiens. En revanche, le monde leur doit les chiffres arabes actuels, obligeamment prêtés, sans intérêts, aux Occidentaux qui en font le bon usage auquel les propriétaires originels ont renoncé.
Jusqu’à l’indépendance, les petits Algériens faisaient leurs comptes en chiffres indiens, pensant qu’ils étaient arabes, et surtout en réaction à ceux utilisés par la colonisation française. Après l’indépendance de l’Algérie, les vainqueurs de la course au pouvoir ont choisi pour nous, sans nous consulter bien sûr, les chiffres actuels repris à l’Occident. En dépit de ce supposé retour aux sources et de ses options de déclinaison identitaire, le monde arabe, qui a donné au monde de grands mathématiciens, a toujours du mal à faire les bons comptes. Il faut dire qu’ils ont dilapidé tout leur capital de logique, emprunté aux Grecs, sans songer à le reconstituer, pour cause de portes fermées (celles de l’Idjtihad, entre autres). Ayant étudié l’arabe avec des enseignants aristotéliciens, j’ai encore beaucoup de mal à me familiariser avec les méthodes utilisées pour évaluer les performances arithmétiques. Je ne peux comprendre, en particulier, comment on peut penser regagner la grâce (perdue ?) de Dieu en construisant un minaret de 270 mètres, et à quoi renvoie précisément ce chiffre. Le coût de l’édifice est beaucoup plus significatif pour moi. A 100 milliards de dinars, ce minaret nous reviendra à peu près à 370 millions de dinars le mètre. Ce qui donnera (ou ôtera plutôt) 10 millions de dinars par citoyen algérien, soit un milliard de centimes de l’ancien temps laïque, où l’on rêvait plus de hauts fourneaux que de vertigineux minarets. Si mes comptes sont bons, j’aurais payé à la fin 1 milliard pour une hauteur de 0,0007 mm, ce qui est vraiment un tarif prohibitif. Il y a effectivement de quoi tourner la tête, ce qui consolera les adeptes de Bacchus de la perte des caves vinicoles sacrifiées sur l’autel du chantier destiné à l’œuvre de rachat collectif. On peut espérer, en effet, ayant contribué au financement de cette œuvre d’art, dédiée à Dieu, s’accrocher à la locomotive qui transportera notre président dans les vertes demeures. Sinon, ce serait à désespérer de la foi et de ses impondérables. Toutefois, il y a ce chiffre de 48 mois, durée théorique des travaux, qui me turlupine un peu, considérant notre ardeur viscérale à dépasser les délais, même quand il y a des Chinois engagés. Vous me direz, évidemment, que la foi qui peut soulever des montagnes peut en faire autant pour des minarets, je suis entièrement d’accord. Mais il n’empêche que ce chiffre, réduit par une sous-estimation excessive, peut exprimer aussi un trop-plein de pessimisme en termes d’espérance de vie. En la matière, les Saoudiens sont beaucoup plus optimistes que nous puisqu’ils viennent d’enterrer le doyen de leurs princes héritiers à l’âge de 86 ans. Un prince héritier de 86 ans, ça ne vous dit rien, mes chers concitoyens ? Vous qui voulez inlassablement pousser vers la sortie un président qui n’est même pas encore octogénaire. Il est encore heureux que votre optimisme béat et votre attente d’une fin trop vite et trop souvent annoncée soient rééquilibrés par une vision plus pessimiste chez l’objet de votre attention morbide. Je comprends tout à fait votre désarroi, puisque même le virus libyen n’a pas réussi à s’insinuer chez nous, malgré les complicités dont jouirait ici le faiseur de révolutions, Che Bernard Henri Lévy. Au surplus, qu’est-ce que pourraient bien nous inoculer les Libyens que nous n’avons pas déjà expérimenté ? La Charia ? Nous l’avons depuis plus longtemps qu’eux, je pourrais presque dire qu’elle est née chez nous, si je ne craignais de me faire traiter d’athée ou autres expressions exclusives. La polygamie subséquente ? Vous n’avez qu’à regarder ce qui se passe autour de vous, avec ces dames qui rêvent à voix haute d’intégrer au foyer conjugal les maîtresses de leurs maris volages. Observez comment des polygames en puissance sont en train de redoubler de peine pour rogner sur un projet de quota féminin, hautement démagogique au demeurant. C’est encore la magie des chiffres qui entre en action : 30% de sièges pour les femmes dans les assemblées élues ? Mais où ira-t-on les chercher dans un pays où les femmes ont été sommées de se remettre aux fourneaux, au lendemain des festivités du 5 Juillet ? Vous remarquerez, en outre, que ce taux, un peu moins d’un tiers, est incompatible avec la Charia qui donne aux femmes la moitié de l’homme en matière d’héritage. Décidément, nos femmes devraient se révolter non seulement contre les quotas, mais aussi assommer le premier quidam qui les traite de «douce moitié». Quand je vous disais que les Saoudiens sont plus optimistes, en ce qui concerne les perspectives d’avenir. C’est ainsi que le roi Abdallah, devançant les complots de Che B. H. L., a octroyé le 25 septembre dernier aux femmes le droit de voter aux élections municipales de… 2015. Ce qui les a forcément privées de participer au scrutin municipal qui s’est déroulé quatre jours après l’annonce royale. Le monarque saoudien est malin, d’ici à 2015 beaucoup d’eau de Bir Zem Zem, acheminée par le Qatar, aura irrigué les révolutions arabes, et on pourra alors en reparler. Le roi Abdallah a quand même réussi à désamorcer le mouvement de protestation des femmes saoudiennes qui menaçaient de créer leurs propres conseils municipaux. D’ici 2015, tout peut arriver, en effet, y compris l’érection de la plus haute tour du monde à Djeddah, avec 1 000 mètres d’altitude, soit un kilomètre chez les roulants. Ce projet annoncé par le prince Walid Ibn Talal dépassera de loin le Bordj Khalifa de Dubaï, qui culmine à 830 mètres. Une telle course a de quoi étonner de la part de gens aussi pieux et aussi conservateurs, qui n’hésitent pas à fustiger les incrédules qui ont tenté d’édifier la tour de Babel. Si je me souviens bien de mes saintes lectures, ces présomptueux qui voulaient atteindre Dieu ont été punis par la divine providence qui les a changés en pourceaux. En plus de leur avoir compliqué la communication en les dotant de plusieurs parlers. C’est sans doute en souvenir de ce douloureux passage que les Arabes ne parlent pas la même langue, même s’ils ont été à la même école.
A. H.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/10/31/article.php?sid=125218&cid=8
31 octobre 2011
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