Dans cet entretien, l’anthropologue apporte un éclairage succinct sur le parcours du militant, écrivain et journaliste Jean El-Mouhoub Amrouche, auquel elle a consacré deux ouvrages, et ce, en marge de la conférence qu’elle a animée à Tazmalt (Béjaïa), il y a quelques jours.
Liberté : L’idée d’indépendance apparaît très tôt dans les écrits de Jean El-Mouhoub Amrouche. Quel sens donnez-vous à cette approche ?
Tassadit Yacine : Je pense que la question devrait être posée autrement, tout dépend du sens attribué à la notion de nationalisme. On peut en effet dire que Jean Amrouche était nationaliste, dès lors qu’il avait compris très tôt pour sa génération et sa catégorie sociale l’intérêt pour la France de reconnaître l’identité culturelle algérienne fondée sur un pluralisme culturel et religieux. L’idée d’indépendance est venue progressivement. Ce sont les événements tragiques de mai 1945, au cours desquels des milliers d’Algériens ont trouvé la mort, qui ont aidé à une véritable prise de conscience. Comprendre l’évolution de cet intellectuel engagé n’est possible que si on se replace dans le contexte de l’époque : l’élite algérienne et l’élite française (y compris de gauche) ne mentionnaient guère l’idée de l’indépendance politique de l’Algérie.
Que représentait, pour lui, le 1er novembre 1954 ?
ll La seule issue pour les Algériens pour se faire reconnaître comme peuple ayant un nom, une histoire, un espace. “Le droit à la dignité”, aimait-il à répéter. Les Algériens se sont soulevés parce qu’ils avaient épuisé tous les moyens possibles de négociation. Ils ont été souvent trahis et abusés par le colonialisme.
Ce journaliste s’est fait le porte-parole des Algériens et s’est beaucoup adressé aux Français. Dans quel but ?
C’est pour expliquer le drame algérien, car, pour lui, il y a supercherie, mensonge. Le peuple français n’était pas informé de la situation algérienne. Il fallait donc gagner l’opinion française et internationale pour les préparer à l’indépendance. “On ne nous mentira plus. On ne nous fera pas prendre des vessies peintes de bleu, blanc et de rouge pour les lanternes de la liberté”, écrivait-il. Dans ce texte, tout se passe comme si le discours de réforme de la France n’a plus de crédit à ses yeux. C’est la rupture. “Aux Algériens, on a tout pris : la patrie avec le nom. Le langage avec les divines sentences”, ne cessait-il de clamer haut et fort. C’est un poème écrit durant la guerre, et là, Amrouche est ouvertement en faveur d’une Algérie algérienne. C’est dire qu’il assumait pleinement son algérianité.
Qu’a-t-il fait durant les accords d’évian ?
Il a beaucoup publié surtout des articles dans la presse mais aussi des entretiens à la radio. A cette même époque, il était exilé en Suisse romande. On a gardé des entretiens que l’on pourra trouver dans un livre qui paraîtra prochainement.
Qu’espérez-vous pour la mémoire de Jean El-Mouhoub Amrouche ?
l J’espère que tous les patriotes oubliés de l’histoire, à l’image d’El-Mouhoub Amrouche, puissent être reconnus un jour par l’Algérie officielle. Ce journaliste-écrivain mérite bien une reconnaissance, à titre posthume. Je pense qu’il est temps que les Algériennes et les Algériens écrivent ou réécrivent leur histoire en toute objectivité, loin de toutes les considérations politiques et idéologiques.
K. O.
26 octobre 2011
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