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Zehira Houfani Berfas est citoyenne canadienne d’origine algérienne, née en Kabylie et ayant vécu à Alger où elle a animé à la radio algérienne des émissions sur la littérature féminine algérienne et publié des romans policiers.
Dans votre lettre ouverte au président de la république, vous dressez un bilan désastreux de la situation sociale, économique, politique du pays. Beaucoup rétorquent qu’il est facile de le faire de l’étranger. Comment réagissez-vous à ce jugement ?
Zehira Houfani Berfas : Ceux qui tiennent ce discours font partie du problème algérien. Ils voient se commettre tant de forfaitures et s’imposent le silence par crainte de représailles et ils veulent m’imposer le même silence parce que je suis à l’étranger. Non, je ne peux être d’accord, parce que ce silence voudra dire que j’approuve la réputation méprisable et humiliante collée à pays et mon peuple. Qu’il mérite le sort lamentable qui est le sien entre subir les affres d’un des régimes les plus corrompus du monde qui l’opprime et pille ses richesse ou se bousculer par centaines de milliers aux portes occidentales pour quémander l’asile. Je considère que avons tous une obligation envers l’Algérie, peu importe où nous sommes. De plus, j’aimerais savoir si ceux qui disent qu’il est facile de parler de l’étranger, ont apporté leur soutien à leurs compatriotes qui le font de l’intérieur. J’en connais des Algériennes et Algériens qui dénoncent comme je le fais la situation du pays et qui activent pour rassembler les gens autour d’un projet de changement démocratique et l’avènement d’un État de droit en Algérie. Le problème essentiel, c’est que l’ « élite » algérienne, dont les journalistes, ne parvient pas à créer un réseau de solidarité pour résister aux pressions du pouvoir et promouvoir un mouvement pour un véritable changement démocratique.
Croyez-moi, j’aurais pu faire comme la grande majorité et me désintéresser de l’Algérie, mais je ne puis m’y résoudre. Être conscient du drame des siens livrés à une recolonisation intolérable, empêche qu’on y ferme les yeux. Et je me sens souvent seule à les garder ouverts, car même à l’étranger, les Algériens ne se bousculent pas pour combattre la dictature.
Dans vos écrits journalistiques et politiques sur l’Algérie, vous déplorez l’incapacité des partis démocratiques et des historiques à être authentiques et à donner un nouveau souffle salvateur au pays…
Écoutez, cette incapacité est à la base de la tragédie algérienne. Comment expliquer qu’avec tous les abus et crimes qui se commettent contre l’Algérie et son peuple, les politiques de l’opposition et autres intellectuels ne parviennent pas à réussir le plus basique des consensus pour donner la chance à un État de droit dans leur pays. On ne peut pas nier l’évidence. Si l’on s’accorde pour dire que le pouvoir est le pivot central du désastre algérien, on ne peut pas nier que ce sont les armés de lettrés (dont nous sommes) qui le régénèrent soit par passivité, lâcheté, indifférence ou démission. Même en exil, à des milliers de kilomètres des menaces et pressions, beaucoup s’activent à courtiser ce pouvoir au détriment de leur peuple et leur pays. Je pense qu’en 2011, mettre toute la responsabilité sur le compte du pouvoir, c’est donner à l’opposition (particulièrement de la mouvance démocratique) un confort qu’elle ne mérite pas. M. Ait-Ahmed lui-même a parlé de « vacance de la démocratie ». Personnellement, je pense que tous ces politiciens portent une part de responsabilité dans la situation de l’Algérie. Je cite un extrait du texte que vous évoquez : Tout le monde sait qu’il n’y a pas de grand peuple sans leaders. Et si le peuple algérien est aujourd’hui écrasé, sa fierté bousillée et sa dignité disparue, c’est tout simplement que ses leaders ont baissé les bras et déserté le terrain.
Vous avez, en 2002, dénoncé la politique internationale de l’Occident en général et des Etats-Unis en particulier dans un essai pamphlétaires Lettre d’une musulmane aux Nord-Américaines. Vous avez signé Jenan, la condamnée d’Al-Mançour (Ed. Lux, 2010) , un récit reportage de votre mission en Irak, à titre de déléguée de Montréal pour IPT (Iraq Peace Team) sous l’égide de l’organisation internationale VITW (Vijaya Institute of Technology for Women)…Quels liens avec vos préoccupations politiques concernant l’Algérie ?
Ces deux ouvrages traitent essentiellement de la politique agressive des grandes puissances occidentales, les Etats-Unis en tête. Il n’y a peut-être pas de lien direct entre mes préoccupations en 1980 et celles en 2003, mais je peux vous dire qu’elles tirent leur substance de l’ordre injuste qui nous entoure, tant au plan local qu’international. J’ai beaucoup appris en vivant dans un pays démocratique, le Canada en l’occurrence. On réalise, en observant les relations Nord-Sud, notamment, à quel point nos pays et nos peuples sont méprisés et pèsent si peu dans la balance internationale. Un tel constat nous révolte et on réagit comme on peut. C’est ce que je fais en prêtant ma plume à ces causes qui m’interpellent. Je ne crois pas à l’émancipation de la femme (si tant est qu’il y’en ait pour un homme) dans une société opprimée, pauvre, ignorante et soumise. Je pense que la femme est toujours le premier maillon de la société à souffrir et à faire les frais que ce soit de la misère d’un pays, comme de la violence ou la guerre. Je suis moi-même une enfant de la guerre et j’ai baigné dans une culture tiers-mondiste partagée entre espoir et désillusion. C’est pourquoi je refuse de croire que l’islam est la cause de notre tragédie, je m’y refuse, car je suis convaincue que la société algérienne n’aurait jamais cédé au fanatisme, si le pouvoir corrompu et oppressif ne l’y avait pas poussée. Si nous avions un système politique crédible et conséquent, avec un système éducatif qui promeut la citoyenneté et fait place aux idées, l’Algérie ne serait pas dans l’impasse actuelle. J’ai dénoncé l’exploitation dont était victime Houria, l’ouvrière du textile dans l’Algérie des années 80, de la femme-mère-épouse algérienne victime de la violence terroriste comme j’ai dénoncé les guerres criminelles des Etats-Unis dont était victime Jenan. Donc, oui, je pense qu’il y a une continuité d’un certain engagement dans mes écrits.
Dans les années 80, vous avez publié 2 romans dans le genre polar dans lequel peu d’écrivaines (sinon aucune) ne s’est investi. Pourquoi ce genre ( est-ce un choix littéraire ou une passion pour ce genre ?
Je ne peux pas parler de choix. À l’époque, j’avais besoin de m’exprimer, et la littérature m’offrait divers genres pour le faire, autant à travers la poésie que le polar ou la nouvelle. D’ailleurs, le premier roman que j’ai rédigé (dans la vingtaine) est un roman d’amour, inédit. Toutefois, j’avoue avoir eu un faible pour le polar. Peut-être, qu’il me semblait plus facile en terme d’écriture puisque j’avais des faiblesses à ce niveau-là. Ou alors, le fait d’être pionnière dans le genre me grisait un peu et me motivait à persévérer dans ce créneau. Je me voyais un peu comme l’Algérie montante… enfin avant la débâcle.
L’incomprise, votre 3ème roman porte une autre empreinte romanesque. Le « je » est-il autobiographique ou le vouliez-vous plus « impliqué » pour dénoncer le servage de la jeune fille algérienne coincée entre la tradition castratrice et les élans vers la liberté, l’instruction ?
Je ne sais plus qui a dit que dans toute œuvre qu’on écrit on y met un peu de soi. En dehors de ce brin autobiographique (qui se résume à la 2e épouse de mon père) le reste a été puisé et/ou inspiré du contexte social algérien traversé par les deux courants contradictoires Orien/Occident qui s’affrontaient sur la scène nationale. Personnellement, je n’ai jamais cru à la liberté sans responsabilité. J’étais un peu en porte à faux avec certaines idées de l’époque qui ne voyaient dans le féminisme qu’une guerre de sexe, très en vogue dans ces années-là en Occident. Certes, dans l’Algérie naissante, il y avait (et il y a encore malheureusement) beaucoup de ménage à faire dans nos traditions comme dans nos mentalités, notamment au chapitre de l’égalité, aussi dans nos façons de nous comporter en société, notre perception des droits de la personne, tout cela fait partie de l’éducation au sens large (scolaire et citoyenne) et cette mission incombe aux femmes comme aux hommes. J’estime que pour un « vivre ensemble harmonieux », tout individu a un rôle et tout rôle comporte une certaine responsabilité vis-à-vis du bien et de l’idéal commun d’une société, surtout si comme l’Algérie, elle venait d’émerger d’une longue nuit coloniale qui l’avait conditionnée à un rôle d’obédience. Autrement, s’il n’y a pas cette symbiose sociétale qui fait avancer un pays, c’est la débandade et nous savons ce que c’est. À l’époque, je manquais d’expérience pour embrasser toutes ces idées, mais je les portais, sans aucun doute.
Dans votre roman Le portrait du disparu, Fatiha (le personnage) n’est-elle pas diabolisée par le fait qu’elle aime la vie, qu’elle a un amant. L’auriez-vous peinte aujourd’hui de la même manière ?
Je ne me souviens pas vraiment (je n’ai plus le texte), mais je vous le dis de prime à bord, je l’aurais peinte différemment. Tout le monde évolue, c’est le propre de la vie. Les sentiments amoureux sont trop complexes et restent toujours l’ingrédient principal qui nourrit la littérature, et aussi le plus facteur principal dans les luttes et les déchirements conjugaux.
N’y a t il pas dans cette peinture du personnage féminin une morale réactionnaire par un refus catégorique de ce que se permet la femme occidentale au moment où vous écriviez ce roman ?
Effectivement, il y avait un peu de ce refus du modèle de la femme occidentale, en ce sens que je faisais partie de celles et ceux qui prônaient une émancipation de la femme par l’éducation, l’autonomie et l’évolution de la société algérienne versus l’importation du modèle occidental qui n’avait pas d’assise sociale pour s’y appuyer. D’ailleurs, nous y sommes encore aujourd’hui dans cette dynamique de confrontation des modèles. Je me souviens qu’à l’époque, les algériennes marquaient des points importants pour leur émancipation, d’autant que la volonté politique (quoi qu’on dise du régime de Boumédiène) lui était plus ou moins favorable. Malheureusement, notre pays a sombré dans le chaos et la violence, tandis que la société a opéré une navrante régression.
Des critiques ( Charles Bonn) ont dit des écrivains ayant publié à cette période aux éditions étatiques ( Sned, Enal, Enap) qu’ils écrivaient sous « la dictée idéologique » du pouvoir en abondant dans le roman historique épique sur la guerre de libération et en moralisant sur les travers d’un Occident dépravé. Qu’en pensez-vous ?
Bien que cette critique ne me concerne pas, vu que je n’écrivais pas de roman historique épique sur la guerre de libération à l’époque, je trouve que le peuple algérien mérite amplement que des écrits épiques racontent son calvaire de colonisé et souligne sa résistance et sa lutte pour s’en libérer. Je me sens solidaire des écrivains qui l’ont fait. Que les critiques y voient de la complaisance et de la subjectivité, c’est aussi leur droit. L’histoire dit-on est écrite par les vainqueurs, est-ce que les États-Unis ou la France méritent toute la littérature qui consacrent leur héroïsme à travers leurs épopées guerrières ? En disant cela, je ne nie pas le fait qu’il n’y avait pas de liberté d’expression en Algérie. Le débat contradictoire était quasiment exclut autant sur le plan politique qu’éditorial et comme les maisons d’éditions appartenaient à l’état, c’est évident que les auteurs étaient censurés ou s’autocensuraient pour voir leurs œuvres publiées. On oublie souvent ce qu’était la société algérienne au sortir de 130 ans de colonialisme; qu’étions-nous au début des années 70, le niveau intellectuel était quasi inexistant ; à cela s’ajoute l’absence d’expérience politique et de pratique démocratique chez les dirigeants et parmi les « élites ». Ce sont autant de facteurs objectifs qui peuvent expliquer en grande partie nos faiblesses de l’époque.
Après 1988, vous avez cessé d’écrire ( le roman) dans un contexte qui a vu l’afflux de romans sur la tragédie terroriste en Algérie. Pourquoi ?
En 1987, j’ai convenu avec les responsables de ma commune (Bab-Ezzouar) de la création d’une bibliothèque, et cela m’a occupé pendant un certain temps. Durant cette période, j’avais écrit 2 autres policiers (inédits), mais je me suis consacrée un peu plus au journalisme. J’ai notamment collaboré avec Parcours Maghrébins, El-Moudjahid et par la suite avec d’autres journaux privés. La situation allait en s’aggravant, mais j’étais loin de me douter que le pays allait sombrer dans une tourmente terroriste aussi terrible et traumatisante. Dans cette tragédie qui nous mettait les uns contre les autres, j’avoue que la littérature telle que je la concevais, a cessé d’être dans mes priorités. Puis vint le projet d’émigration au Canada, un pays qui me semblait au bout du monde. Mais finalement, pas tant que ça, puisque les drames de mes compatriotes traversaient les frontières et m’empoignaient le cœur aussi vivement que si j’y étais témoin direct. Je me suis mise à réfléchir sur le pourquoi d’une telle tragédie, comment est-ce que mon peuple, avec son histoire et ses martyres avait pu en arriver là ? C’était le moment de la rencontre de Rome et le contrat national pour la paix que Me Ali Yahia Abdenour était venu défendre au Canada. Nous avons discuté à Ottawa et j‘avais rédigé un article dans le Devoir en faveur de sa démarche. Puis ce fut le tour de M. Aït-Ahmed poursuivant le même objectif. Mais, pour le grand malheur de l’Algérie, la barbarie se poursuivit sur de longues années et des milliers de nos compatriotes durent périr dans des conditions atroces. À voir le chaos qui persiste, on se demande si on s’en est vraiment sorti.
Vous avez produit des émissions à la radio d’Alger sur la littérature féminine algérienne. Quelle en était l’approche ?
J’ai beaucoup aimé cette expérience. En fait, la série d’émissions s’appelait « littérature féminine au Maghreb » car le projet avait l’ambition de recenser les auteures francophones des trois principaux pays du Maghreb. Il s’agissait de les faire connaître aux auditeurs de la chaîne 3, de présenter leurs œuvres et faire lecture de quelques bonnes feuilles de leurs ouvrages. J’avais décidé de séparer les auteurs par genres littéraires. Il y avait des émissions consacrées à la littérature engagée et de combat, poésie et littérature générale.
Quels liens avez-vous avec l’Algérie aujourd’hui ?
Je suis très proche de l’Algérie, j’y viens régulièrement. Et même quand je ne suis pas au pays, l’Algérie est avec moi, je la suis pas à pas, et c’est sans doute pour cela que je me sens impliquée dans ses angoisses et ses désillusions. Par contre la Kabylie, j’ai un pincement au cœur quand j’y pense. J’ai fait une courte visite dans mon village (Tighilt Boghni) l’été 2008 et je dois dire que l’ambiance et les conditions de vie sont insoutenables, en particulier pour les jeunes. Quand je pense que tout le monde est rivé sur le « terroriste » fabriqué pendant que les pourvoyeurs de la vraie tyrannie collective se la coulent douce au Club des pins et autres endroits de villégiature de par le monde, loin de la misère du peuple, l’envie me prend de conclure que nous méritons notre sort. Je sais que c’est dur de dire ça, mais c’est révoltant qu’un peuple comme le nôtre assiste passivement à sa décadence en se laissant ainsi piétiner.
Entretien réalisé par Rachid Mokhtari
Document
Novembre 1954 – novembre 2010, d’une gloire prometteuse à la décrépitude
Par Zehira Houfani Berfas
(In, Le Quotidien d’Algérie : 20 – 10 – 2010)
Au président Bouteflika wa djemaâtou, dépositaires actuels du désordre algérien
Qu’est-il advenu de la terre de la « Révolution exemplaire » Monsieur le président, l’Algérie, depuis son indépendance? Du registre de la reconnaissance universelle pour sa grandeur et la bravoure de son peuple, à celui de l’indigence et de l’humiliation, votre règne aura achevé le maigre filon d’espoir repêché vaillamment de l’hécatombe de la décennie noire.
Qui ne se souvient de vos déclarations, quand vous annonciez devant la presse mondiale votre volonté de guérir l’Algérie et la hisser à nouveau au sein des nations respectables. En vous écoutant, bien des Algériens, émergeant du chaos de la sale guerre, ont voulu croire à l’homme « providentiel » qui allait ressouder les liens brisés de la société algérienne, et mettre hors d’état de nuire ses détracteurs. Vous disiez alors, vouloir « restituer à l’Algérien la fierté d’être Algérien ». Ah, la fierté! Quel préjudice pour un peuple que de la perdre, surtout après l’avoir si chèrement payé comme ce fut le cas de notre peuple. La recouvrer fut la grande promesse du nouveau président! Une promesse hélas vite rompue, car dans les faits, l’homme « providentiel » n’était qu’un leurre et le peuple algérien comprend à ses dépens que votre régime ne fera que prolonger le drame du pays, et poursuivre la mise en berne du peu qui restait des symboles de la fierté nationale.
Durant les 2 premiers mandats sensés guérir la République, votre régime a répandu à la grandeur du pays la pandémie de la malfaisance et de la corruption, exilant et décapitant, au passage, les plus brillants de nos esprits, au profit de la culture de la peur, de la médiocrité et de l’« aplat-ventrisme » si chers aux dictatures vieillissantes. Quant à l’image respectable de l’Algérie, il n’y a qu’au bal annuel des ministres que cette Algérie virtuelle fait surface, le temps d’une rencontre. Elle n’a rien à voir avec la jungle qu’est devenue la véritable Algérie, où le droit et la justice sont décrétés hors-la-loi. C’est le pays d’un peuple dépouillé et maltraité par ses gouvernants. Un peuple mal éduqué, mal logé et mal soigné, tandis que vous jouissez, à ses frais, des bienfaits des systèmes de santé et d’éducation occidentaux. Et c’est cela l’Algérie que le monde voit derrière les bilans complaisants et autres statistiques biaisées qu’on étale devant vous, avec la double bénédiction d’une presse muselée par vos soins et des « élus » grassement payés par le trésor public. Le seul bilan, qui reflète véritablement notre pays, fait état de la mal vie et du désarroi de notre peuple, de la faillite de nos services publics, du désastre de notre environnement et de notre économie, de la piètre qualité de nos universités, qui ne rivalisent même plus avec les pays pauvres d’Afrique, du délabrement de notre système de santé, de l’indigence de notre éducation, de la fuite de nos richesses matérielles et humaines, de nos enfants qui se jettent à la mer pour échapper à leur prison, et pour couronner le tout, de la corruption généralisée par votre régime couvert indûment du plus fabuleux trésor que le pays n’ait jamais possédé. Voilà comment l’Algérie débourse des fortunes pour être tournée en dérision par ses propres gouvernants.
Après la terrible guerre fratricide, vos discours et vos couffins bondés de promesses ont eu l’effet d’un baume sur le cœur, le temps d’un répit, pour des populations meurtries qui n’en espéraient pas moins de vous : la paix pour une Algérie enferrée à la violence; la justice pour un peuple tyrannisé; une vie décente pour les millions d’esclaves de la « hogra » érigée en norme nationale; et enfin, de l’espoir pour la jeunesse désespérée… Mais rien de tout cela ne sera au rendez-vous ni du 1er, ni du 2e et assurément pas du 3e mandat, que vous vous êtes octroyé contre tout bon sens, au lieu d’instaurer la première base d’une bonne gouvernance. Berné encore une fois, le peuple se retrouve ballotté entre un pouvoir répressif, imbu de la nouvelle puissance des pétrodollars, une élite plus souvent qu’autrement intéressée ou indifférente et une opposition pour le moins phagocytée. Le délabrement des valeurs est tel dans le pays que la classe dirigeante, que vous chapeautez, ne s’encombre plus de scrupules et verse ouvertement dans un rôle de prédateur des richesses nationales, qu’elle se partage copieusement avec un tout-venant de multinationales, et autres spéculateurs internationaux, bien au fait de sa corruption.
Tous ces interlocuteurs étrangers savent les dessous de la gouvernance algérienne et s’ils affichent un large sourire en même temps qu’une poignée de main en signant de juteux contrats, rien à voir avec une quelconque marque d’estime ou de respect, c’est une simple attitude professionnelle qui cache le mépris que ces « grands » nourrissent pour les dirigeants arabes, en particulier. Ces gens-là pensent que nos « dirigeants » ne sont pas faits pour gouverner et votre régime, et tous ceux qui lui ressemblent, leur en apporte la plus éclatante des preuves en clochardisant le peuple et en bradant le pays. Vous avez beau multiplié les campagnes de charme et de relations publiques pour vous faire apprécier, envoyé des émissaires faire des courbettes, ouvrir les champs pétrolifères de leurs choix, faire de l’Algérie un bazar pour leurs produits, vous ne changerez rien à la perception peu enviable que ces « grands » ont des dirigeants de républiques qu’ils ne se gênent pas d’affubler de « bananières », « hacha » pour la terre de nos martyrs.
En effet, qui mieux, que ces partenaires étrangers, efficacement briefés par les canaux de leurs services de renseignements respectifs (CIA, DGSE, MOSSAD, etc.) savent ce qu’il en est de la crédibilité des représentants de l’Algérie sur la scène internationale. Avec une telle carte de visite, la défense des intérêts suprêmes de notre pays semble illusoire. Et dans les coulisses des grandes négociations, vos « partenaires » étrangers doivent bien s’enorgueillir de leur savoir-faire et des fabuleux butins qu’ils permettent à leur pays d’engranger, au détriment de l’Algérie. Le contraire de cette situation relèverait de la haute trahison chez eux, mais en Algérie, ces actes sont d’une telle banalité que personne ne s’insurge sérieusement convaincu que l’impunité est la marque du pouvoir. De votre régime. Pour preuve, les scandales d’atteinte aux intérêts suprêmes, bien que rapportés régulièrement par la presse, ne reçoivent jamais de traitement adéquat. Quelles conséquences désastreuses sur le comportement collectif. N’est-ce pas, que le meilleur enseignement se communique par l’exemple.
Non, M. le président, vous n’avez ni restitué la fierté aux Algériens, ni la grandeur à leur nation. C’est la justice d’un peuple éclairé par la bonne gouvernance qui fait la grandeur d’une nation, et malheureusement, c’est la « hogra » et la malfaisance, autrement dit l’injustice et l’impunité qui caractérisent notre pays. Dans une telle culture, les mauvaises herbes croissent rapidement et finissent par étouffer la pépinière, et altérer la fertilité du terrain. N’est-ce pas la thérapie du massacre que votre régime applique à l’Algérie depuis votre intronisation à la tête du pays. Et je ne pense pas que la gigantesque mosquée dont le peuple n’a que faire, ou le plus grand centre commercial d’Afrique (quel non-sens dans un pays qui ne produit rien!) vont changer quelque chose à votre responsabilité, en tant que Président, dans le chaos de notre pauvre pays.
Désormais, c’est de notoriété, votre gouvernement dispose de l’Algérie avec une telle arrogance et un tel mépris que cela met à mal l’appartenance commune au peuple de la Révolution exemplaire. Comment est-ce possible, autrement, de commettre ou de laisser commettre contre les siens tant de forfaits? Comment est-ce possible d’être Algérien et de faire endurer tant d’échecs, et d’humiliation à son propre pays? Quel type de haine, de vengeance, peut motiver ce sadisme incroyable contre les siens? Plus personne ne croit aux sérénades patriotiques et plus personne ne croit que votre régime soit capable de bienfaits pour l’Algérie. Force est de constater, Monsieur le Président, que vous avez agi en « homme politique qui pense à la prochaine élection » et non en « homme d’état qui pense aux futures générations »[1] et que l’Algérie recherche désespérément depuis des lustres.
Aussi, à la veille de l’anniversaire de la Révolution exemplaire de nos parents, celle-là même qui vous a fabriqué et vous permet d’être aujourd’hui président, l’homme fort du pays, disposant de montagnes de dollars et séparé du peuple par une armada de courtisans, plus aptes à s’enrichir qu’à gouverner, soyez informé que de nombreux Algériennes et Algériens ont pris la résolution de briser la chape de plomb qui écrase leur peuple et de se réapproprier et leur fierté, et leur pays. Leur détermination à arracher l’Algérie des griffes de la ligue d’affairistes, de khobzistes et autres traîtres, s’inspire du 1er novembre 1954, Jour hautement symbolique, choisi par leurs aînés pour changer le cours de l’histoire, en arrachant à l’impitoyable machine coloniale leur pays l’Algérie, et en redonnant à leur peuple la dignité. Nos parents rêvaient de faire de nous des femmes et des hommes libres, maîtres chez nous, et ils ont payé le prix fort jusqu’au sacrifice suprême de donner leur vie. Où en sommes-nous?
Près d’un demi-siècle plus tard, fragilisée par la mauvaise gouvernance et menacée par des intérêts étrangers, l’Algérie, Monsieur le président, est au cœur d’une tempête qui menace sa souveraineté, remettant en cause les acquis inestimables de la révolution de nos parents. Aujourd’hui, animés par l’amour du pays et le devoir envers notre douloureuse mais glorieuse Histoire, leurs enfants, nous tous, jeunes et vieux, femmes et hommes, légataires du testament de la révolution algérienne, entendons relever le défi de compléter l’objectif ultime de la longue lutte de notre peuple, à savoir : édifier l’état de droit en Algérie. Seule alternative capable de redonner confiance aux Algériens et garantir un pays viable pour les générations futures. Grâce à la vitalité de la jeunesse algérienne, combinée à l’engagement d’intellectuels sincères, de toutes les Algériennes et Algériens qui n’en peuvent plus des crimes contre leur pays, et grâce aussi aux progrès technologiques qui permettent aux idées et au savoir de circuler, notre Algérie, Monsieur le Président, ne tardera pas à se relever et à s’affranchir de la tutelle abusive des fossoyeurs de son indépendance. Le changement qui s’annonce se fera, et ce n’est qu’une question de temps avant de voir réhabiliter le prestige de la maison Algérie. Que ce 1er novembre 2010 signe, incha Allah, l’acte de naissance officiel d’une réhabilitation de la cause nationale, avec pour objectif l’Etat de droit. C’est l’occasion pour toutes les forces qui s’y réclament de converger pour former ce puissant mouvement du changement démocratique, crucial à la pérennité de notre nation.
Nous espérons, Monsieur le président, que vous serez de notre rêve et ferez en sorte que vos hommes se montrent solidaires, enfin, de leur peuple, en acceptant l’idée inéluctable d’un Etat de droit pour l’Algérie, et ce, sans céder à la politique de la terre brûlée inspirée des anciens bourreaux de notre peuple.
Désespérément algérienne,
Pour l’Algérie des chouhadas, celle de mon père, celle de mes petits-enfants et des générations futures d’Algériens.
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[1] Citation de James Freeman Clarke : « La différence entre l’homme politique et l’homme d’Etat est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération »,
23 octobre 2011
LITTERATURE