On a appris une chose chez nous : on ne tire pas sur les ambulances. Sauf que chez nous les tangos jubilaient à le faire. Traînant des dépouilles à même le sol, humiliant les cadavres à même la civière. Humainement. Une mort d’homme n’entraîne pas forcément mort d’une idéologie. L’histoire est debout pour donner ses preuves. La scène à Syrte est insoutenable. L’on y voit autant le profil d’une barbe, bandeau à la
Barberousse, que le visage de corsaire aux yeux envenimés. Les voix perçantes comme un clairon de victoire déchiraient le silence d’une histoire qui s’est tue quarante-deux années durant. Le peuple libyen ne doit pas du tout se sentir baigner dans le sang de cette ignominie. Sinon, il aurait fait ce que lui faisait son tyran. Kadhafi n’est pas mort dans un lien direct au combat. Il a été tout simplement assassiné avec préméditation. Capturé de son trou de raton, lui qui utilisait cette sémiotique : on devrait l’arrêter, le juger, le condamner et l’exécuter. Et non pas le lyncher à coups de crosse, tabasser sa gueule de vieillot. C’est un peu ça : n’est-ce pas ce droit humanitaire, cette chariaa, cette sentence naturelle de Dieu, des choses et des hommes ?
Avec la mort de Kadhafi, c’est un journal permanent d’une certaine chaîne qui va aussi disparaitre. C’est aussi une source d’inspiration pour les tangos. C’est également une herculéenne et consciencieuse méditation pour les derniers potentats. Il est parti comme le furent, avant lui, Saddam et Ben Laden. Dans la liesse synthétique d’une horde hybride et disparate avide de vider en l’air des chargeurs en kilomètres de balles, pour marquer la halte finale de celui que l’on va appeler « dictateur » après 42 ans de bonne séance. Ses dollars ne sentaient pas alors l’effluve de la torture ou l’odeur adhésive de la fermeture des gosiers et la condamnation des libertés. Son vert livresque, son illusion verdâtre ne dégageaient pas alors la senteur fétide et pestilentielle d’un régime unique et inique au monde. Sa Jamahiriya, mi-république mi-royaume, conquérait alors la reconnaissance servile de toute la puissance mondiale.
L’image est insoutenable avec la jubilation de jeunes inconscients qui se photographient à côté d’une vedette qui ne l’est plus. Un cadavre ne peut servir comme canevas de fond à un souvenir de famille. Ainsi, la mort sans état d’âme devient un trophée à exhiber. L’histoire, la vraie, ne fait que commencer en Libye.
23 octobre 2011
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