Mercredi 19 Octobre 2011
Par
El qaçba est un grand livre intitulé Aurore d’intelligence, de savoir et de culture.
Ainsi la citadelle éternelle d’Alger est-elle considérée, à raison, par M. Lounis Aït Aoudia, président de l’Association des Amis de la Rampe Louni Arezki (ex-Rampe Valée) et de Sidi Abderrahmane (*).
Il est très réconfortant d’apprendre que cette Association, créée le 20 mars 2000, oeuvre pour «la préservation et le rayonnement du patrimoine culturel» de l’ensemble de la Cité. Soit donc la Casbah proprement dite, celle du Djebel – et le Palais du Dey, achevé en 1590 – et l’autre Ville, qui est beaucoup plus ancienne, celle du bas, Qa’ es-Soûr, l’historique, El Djazâir Béni Mezghanna, construite, en 973, non loin du port, sur les ruines de l’antique cité Ikosim-Icosium (punique puis romaine) par le berbère-çanhâdji Bolokkin, fils de Zîrî ibn Mennâd, le fondateur de la dynastie éponyme et du troisième Achir.
À partir de ce vieux quartier populaire, flanc de tous temps prestigieux de la mythique Casbah par ses penseurs, ses artistes, le dynamisme de sa jeunesse et l’héroïsme de ses populations, l’Association, se mobilise pour sauvegarder les richesses contenues dans ce Grand Livre généreux, ouvert à tous ceux dont la conscience appelle à l’urgente mission de faire connaître, et les mettre en application à travers des actions pédagogiques et concrètes, les valeurs essentielles de notre histoire et de notre civilisation. Le caractère de cette mission est exclusivement culturel et contribue inlassablement à la formation de la personnalité du jeune algérien moderne. Le Grand Livre, dont il est question d’introduire dans notre mode de vie courante, favorisera l’instauration de l’acte de lire, le plaisir de lire et le respect du livre. Par le livre et pour le livre, la Casbah sera une pédagogue de toute beauté morale et intellectuelle et de toute compétence, instruite aux sources.
Rencontré, mardi 27 septembre, au Palais El Menzeh, au cours d’une causerie sur le livre et la lecture, M. Lounis Aït Aoudia, qui a été autrefois enseignant et qui a lu avec un immense intérêt les excellentes contributions au dossier «À quoi sert le livre?» (V. L’Expression du mercredi 29 juin 2011 et chaque mercredi suivant jusqu’au mercredi 21 septembre 2011.), nous en parle, lui aussi, avec passion et vérité.
L’Expression: Quels souvenirs, Monsieur Lounis Aït Aoudia, avez-vous de l’école et le livre?
Lounis Aït Aoudia: À l’époque de notre scolarité le livre avait une place de substrat pédagogique privilégié et prééminent dans le programme scolaire. Une séance quotidienne de lecture était programmée en classe, parallèlement à une autre prévue comme devoir, en exercice préparatoire à la maison, sujet d’une épreuve de rédaction pour le lendemain. À cette évocation lointaine, il nous reste encore en mémoire le plaisir que nous éprouvions, très jeunes écoliers aux riches découvertes d’univers fabuleux, que nous offrait la lecture de textes d’auteurs de littérature de renom. Judicieusement la leçon de morale et d’instruction civique était suivie avec une grande attention, intéressée et motivée par les règles de comportement en société, tandis que celle de la récitation inspirait notre verve poétique juvénile à versifier nos rêves dans l’imaginaire de nos aspirations.
Ainsi enfants devenus apprentis-liseurs à l’école, le respect de l’autre et le civisme étaient les premières leçons excellemment assimilées pour une pratique quotidienne en société. Ce qui, à ce propos, nous rappelle le vieil adage populaire, d’ailleurs très usité à l’époque «Ellî qrâ amrou mâ yetlef, celui qui a lu ne s’égare point». Pour nos enfants, il en a malheureusement été autrement avec l’absence de la lecture en milieu scolaire.
Je retiens votre formule «Le livre vecteur d’éducation et de civisme», c’est-à-dire?…
L. A. A.: Les incidences et conséquences de cette lacune se sont traduites par une indigence intellectuelle et culturelle aggravée par des pratiques et des comportements contraires à nos valeurs traditionnelles et civilisationnelles: irrespect, insolence, violence, incivisme.
Fatalité et vicissitudes des temps, EL-DJAZÂÏR, qui était un joyau légendaire chanté pour sa blancheur et sa beauté proverbiales, devint la troisième capitale classée la plus sale au monde; suprême châtiment infligé à sa mémoire et à celle de ses enfants révulsés par l’impitoyable et cruelle sentence. Faut-il ainsi évoquer le mérite de nos parents qui, en visionnaires conscients de la puissance éducatrice du livre, avaient dans un réflexe instinctif une phrase révélatrice quotidiennement prononcée: «Yâ oualed rouh taqrâ! Enfant, va lire!» Hélas! de nos jours, cette maxime, consciencieusement prégnante à l’endroit de la symbolique incarnée par le livre, a complètement disparu du lexique sociétal.
Quelle devrait être «La place du livre à l’école»?
L. A. A.: La réintroduction du livre et de la pratique de la lecture à l’école est à ce titre un acte pédagogique salutaire pour l’épanouissement culturel de la jeunesse dans un contexte de compétition effrénée et sélective en matière de connaissances et de savoir dans un monde en perpétuelle ascension vers la modernité, la science et la technologie.
Quelle devrait être la règle de toutes les règles?
Faire aimer la lecture à l’école. La mission est immense eu égard au retard considérable accumulé des années durant, ce qui implique directement la participation réelle effective et collective de quatre éléments indispensables et incontournables pour la concrétisation des objectifs dont le plus prépondérant est de motiver et d’inciter l’élève à aimer la lecture.
Quels seraient, selon vous, les facteurs qui favoriseraient la production de livres et l’habitude de lire?
L. A. A.: Globalement, les partenaires et relais sociaux du livre. Tout d’abord, est à la base la cellule familiale dont le rôle est déterminant pour l’imprégnation, la motivation et l’incitation à la pratique de la lecture. Ensuite l’école, institution éducative qui est la matrice pédagogique féconde pour l’initiation, l’approfondissement et l’apprentissage de la lecture. Et pour compléter, l’intervention de l’État dont le rôle, essentiel et capital, est de promouvoir la lecture auprès des jeunes générations à travers une politique du livre, de son édition et de son acquisition. Enfin pour aboutir aux éditeurs et libraires, véritables relais sociaux et culturels dont la mission fondamentale relève spécifiquement de l’éthique professionnelle et pédagogique requises dans le vaste univers didactique du livre. Vous avez, vous-même, initié dans ce sens une très utile action en publiant le dossier «À quoi sert le livre?». Je félicite tous les contributeurs écrivains, chercheurs, linguistes, traducteurs, auteurs de manuels scolaires, éditeurs, libraires,… Le contenu de ce dossier mérite une diffusion la plus large possible et un développement, là où le livre et la lecture sont indispensables.
Vous pensez, sans doute, à des «Initiatives pour la réhabilitation du livre et de la lecture»…
L. A. A.: L’opportunité du déroulement du Salon International du livre d’Alger a favorisé des rencontres très fructueuses qui ont permis une meilleure approche de la causalité de la désaffection de la lecture en milieu scolaire et en société. En prélude à cette thématique, la réflexion sur la presse initiée par vous-même dans le journal L’Expression a suscité des contributions, comme je l’ai déjà dit, fort instructives par l’apport de compétences de notoriété en la matière. Écrivains de renom, linguistes, traducteurs de référence, spécialistes reconnus en sciences éducatives, éditeurs, libraires ont, avec motivation et argumentations scientifiques, cerné la dimension de la problématique du livre et de la lecture dans l’ensemble de ses paramètres essentiels.
Par ailleurs, les débats et échanges, enregistrés à l’issue de conférences thématiques centrées sur le livre et la lecture respectivement organisées par le SILA et l’Association des Amis de la Rampe Louni Arezki Casbah les 25 et 27 septembre dernier, ont permis de relever des propositions et suggestions très perspicaces, pertinentes et pragmatiques, d’auditoires représentatifs de la culture livresque présents en nombre, intéressés et attentionnés par les thématiques porteuses développées.
Que souhaitez-vous de voir se réaliser prochainement, M. Lounis Aït Aoudia?
L. A. A.: Ah! Monsieur Kaddour M’Hamsadji, des Assises nationales du livre et de la lecture organisées par nos institutions éducatives, nos ministères de la Culture et de l’Éducation nationale!… Pour l’implication et la participation de cette importante composante et une capitalisation optimum des résultats prometteurs de la démarche, il serait opportun d’envisager un cadre de réflexion élargi à toutes ces compétences et volontés susceptibles de concourir à la réussite d’un projet national novateur tant attendu, où le livre et la lecture occuperaient une place de choix à l’école et en société pour être aimés par la jeunesse. Dans cette perspective, notre souhait est à la mesure de la dimension de l’événement, pour proposer la tenue d’Assises Nationales du Livre et de la Lecture, ce qui constituera, sans aucun doute, les jalons d’une ère nouvelle d’épanouissement et de rayonnement culturel de l’Ecole algérienne.
(*) Association des Amis de la Rampe Louni Arezki. Siège social: Palais El Menzeh (en face du mausolée de Sidi Abderrahmane), 46, rue Mohammed Ben Cheneb, Casbah-Alger
19 octobre 2011
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