Comme il est grand de taille, avec en sus la tête rejetée en arrière, allez savoir s’il ne le fait pas exprès, il donne l’impression de regarder avec condescendance son interlocuteur forcément plus petit que lui. Et pour mieux l’irriter, il se penche vers lui pour l’écouter. Il y a de la démesure dans ce ministre responsable d’un secteur où la mesure est connue. Faisons les comptes. Si on voit le milieu des patrons de presse,
aucun ne fait sa taille. La plupart sont comme les joueurs de l’équipe nationale de 1975 : petits, ramassés, replets et roublards comme des singes de la Chiffa. Comme ces responsables de journaux sont d’abord journalistes — et je partage avec eux ce travers — ils ont l’ego surdimensionné et l’envie d’en découdre avec plus grands qu’eux. En taille ou en position. Ils se voient très grands et ne comprennent pas comment on peut les toiser de haut. Mehal est ministre ? Et alors, il est pour eux ministre de la presse publique, quand, eux, sont des monarques dans leurs journaux. Ils font l’opinion, du moins celle d’une certaine population, quand le ministre a un budget aussi insignifiant que sa volonté de changer les choses est grande. Circonstances aggravantes pour lui : il a encore une toison noire et fournie sur la tête quand les autres ont du blanc ou carrément une surface lisse qui pourrait faire le bonheur d’un pou (l’horreur) skieur. Récapitulons : grand, chevelu, ministre, il y a comme un air de provoc. Octobre s’y prête fort bien d’ailleurs. Dès sa nomination, fidèle à son style direct, il a annoncé la couleur : la presse, jusque-là intouchable, doit apprendre la libre concurrence. Les journaux doivent s’acquitter de toutes leurs dettes vis-à-vis des imprimeries publiques. Et pour mieux enfoncer le clou, il ajoutera que la pub étatique doit revenir aux journaux qui ont le plus de visibilité. Langage de raison qui coule de source, non ? Eh bien non : il se trouve que la majorité des journaux visés soutient l’État, qui peut se passer en toute quiétude, vu le tirage insignifiant de la plupart d’eux, de ce soutien intéressé qui a permis à certains de bâtir des châteaux en Espagne et à d’autres de s’offrir des duplex à Paris. On applaudit le ministre ? Du tout. Levée de boucliers. Mehal que quarante ans d’APS ont pourtant durci le cuir est resté baba. Il se voulait ministre réformateur, il a appris à ses dépens qu’il faut aller vite très lentement. Ou le contraire. En d’autres termes, il lui fallait apprendre la petite musique. Pas celle de Mozart. Mais du pouvoir. Bloqué par ici, il se retrouve attaqué par là, enfin par certains journaux privés qui n’ont pas goûté ses velléités de réforme et son franc-parler. Pourtant, avant d’être ministre, Nacer Mehal était très apprécié par ses pairs du privé. Ils le trouvaient ouvert et d’obédience démocratique. Il était des leurs, même si, par sa fonction, il émargeait chez les autres. Il pensait peut-être qu’une complicité de 40 ans, forgée sur les terres du reportage, des innombrables couvertures, des blagues multiples et des rencontres heureuses, allait lui servir à la fois de bouclier contre ses anciens compagnons et de passerelles pour le dialogue. Il n’en fut rien. À chaque fois qu’il essaye de faire un pas, on tire sans sommation sur lui. Il aurait été un lapin, il serait mort depuis belle lurette. Mais c’est un vieux loup au cuir dur. Il a la sagesse de ne pas s’en formaliser, ni de s’en offusquer. Si Louis XII a affirmé : “Le roi ne tirera pas vengeance des offenses faites au duc d’Orléans”. Lui, pourra dire que le journaliste qu’il est reste indifférent aux attaques contre le ministre. Il a pris de la hauteur, non pour faire le hautain, mais parce qu’il a une haute idée de la presse. Hé, what do you expect ?
H. G.
hagrine@gmail.com
16 octobre 2011
Contributions